4 mai 2020

Temps de lecture : 5 min

Maurice Lévy : « Il ne faut pas m’en vouloir si je pense plus en possible qu’en rêve »

Nous pensions avoir connu le pire avec cette première fois de l’histoire, où la société est confrontée non plus à sa seule survie, mais à celle de la planète qu’elle habite. La pandémie du Coronavirus nous apprend que le pire n’est jamais sûr en paralysant l’économie mondiale, et un tiers de la population chez soi… Quand elle a un chez soi. Le point de vue de Maurice Lévy, président du conseil de surveillance de Publicis Groupe, en quatre points.

Nous pensions avoir connu le pire avec cette première fois de l’histoire, où la société est confrontée non plus à sa seule survie, mais à celle de la planète qu’elle habite. La pandémie du Coronavirus nous apprend que le pire n’est jamais sûr en paralysant l’économie mondiale, et un tiers de la population chez soi… Quand elle a un chez soi. Le point de vue de Maurice Lévy, président du conseil de surveillance de Publicis Groupe en quatre points.

INfluencia : faire le bien était une obligation pour faire en sorte que la planète souffre moins. Aujourd’hui avec le coronavirus il est question de remettre l’économie en marche. Nos gouvernants ? Les entreprises ? Nous, consommateurs, citoyens saurons-nous être à la hauteur ?

Maurice Levy : cette cochonnerie pour reprendre l’expression d’un scientifique a mis à nu beaucoup de nos faiblesses, celles des états, des organisations internationales, des gouvernements, des scientifiques et autres organisations de toutes sortes. Curieusement ceux qui ont le mieux réagi, dans l’ensemble, sont les populations, à quelques exceptions mineures près. Sans doute mues par la peur, ou par l’inquiétude pour l’autre. On a ainsi pu voir le courage, l’abnégation, la générosité des soignants, mais aussi des policiers, des livreurs, magasiniers ou caissières pour n’en citer que quelques uns. On a vu aussi la créativité des entreprises pour imaginer des solutions pour travailler à distance ou pour protéger l’emploi. Les gouvernements ont été pris de surprise par l’ampleur de la crise sanitaire. Pouvait-il en être autrement? Certainement s’ils avaient eu accès aux informations réelles assez tôt et si la Chine avait été plus transparente ou l’OMS plus exigeante dans son devoir d’accès aux informations. Peut-on leur reprocher leur impréparation? Sans doute, mais souvenons-nous des railleries à l’égard de Roselyne Bachelot suite à ce qui avait été considéré comme un excès de précaution. Est-ce que demain les gouvernements vont changer? Peut-être dans certains pays….Je ne crois pas que l’état allemand qui a remarquablement géré la crise va se transformer en état providence.

En revanche je crains (pardon , mais oui, je crains) fort qu’il y ait un fort appel de protection des états et de leur transformation en états providence dans les pays du sud auxquels nous appartenons. Ce qui rendrait les prélèvements obligatoires encore moins supportables et les populations encore moins responsables. Les entreprises? On peut imaginer une évolution de paradigme avec une plus grande responsabilité des entreprises et un sens plus profond du partage. Mais pour combien de temps? Il faudrait pour que les transformations soient plus profondes et que les entreprises mettent le « bien » en tête de leurs objectifs que la finance puisse suivre. Or la finance pour l’essentiel ce n’est que la gestion des fonds de pension et des économies des épargnants. Il faut bien les rémunérer ou alors imaginer qu’ils financent les économies à perte, et cela ne peut avoir qu’un temps. Et les consommateurs? Depuis des décennies ils savent que le Made in France ce sont des emplois en France, et pourtant ils se sont détournés des produits français pour acheter moins cher des produits importés et ce faisant sacrifiant emplois et industries sur le sol français, sans parler de notre agriculture. Tout cela pour dire très simplement que j’ai des doutes sur ce type d’aggiornamento. Ce n’est pas impossible mais il faudrait tellement d’efforts, chaque jour, par chacun des acteurs, à commencer par le citoyen-consommateur, et en remontant toute la chaîne. Tellement d’efforts alors que céder à la facilité apporte des satisfactions immédiates sans trop s’interroger….

IN : comment trouver le bon équilibre entre remettre en marche l’économie sans oublier pour autant les contraintes d’apporter du sens au monde sans l’abîmer?

M. L. : les problèmes auxquels nous avons à faire face sont considérables: l’emploi, la réindustrialisation à, la reconquête de souveraineté dans certains domaines vitaux que l’on a abandonnés à la Chine et à d’autres, la lutte contre l’émission de gaz à effet de serre, la lutte contre les inégalités, (hommes/femmes, diversité…) et tant d’autres sujets avec des états impécunieux à, un endettement qui va s’aggraver avec la situation actuelle et un plan de relance qui sera aussi difficile à mettre sur pied que le déconfinement. Tout cela rend l’idée même d’un équilibre un peu illusoire. Bien sûr on peut imaginer des mesures bien calibrées mais très vite les principes de réalité vont reprendre le dessus et très vite également se poseront en termes cruciaux la lutte contre le chômage de masse (combien de personnes vont-elles retrouver leur job? combien sur le carreau?) et la faillite des PME et surtout TPE (le nombre de petits cafés, restaurants, théâtres, petites boites qui feront faillite risque d’atteindre des chiffres astronomiques). Je crains que malgré toutes les bonnes volontés, les urgences prendront le pas sur les bonnes intentions.

IN : serons-nous capables de prôner à la fois la bonté, la bienveillance, la bientraitance, la philanthropie, le don et ralentir la machine?

M. L. : ralentir la machine, la bienveillance, la prise de conscience des nouvelles nécessites seraient bienvenues pour traiter une partie des problèmes. Mais comment ralentir la machine et générer les ressources nécessaires pour répondre aux besoins urgents d’emploi, de santé, de bien être, de support de la population? Surtout si la Chine emballe la sienne et que les États-Unis, à nouveau protectionnistes ne pensent plus qu’à eux? J’aime l’idée de cette utopie: un monde de bonté, de partage, de bienveillance, ou règnerait une éthique de vie qui réduirait les fractures, les malhonnêtetés, et améliorerait le genre humain. Le petit prince n’est pas loin. Hélas, je n’y crois pas et suis profondément sceptique. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas espérer des améliorations, des progrès, plus de générosité, plus de partage, une meilleure distribution des richesses. Tout est dans un subtil équilibre entre le rêve et le possible. Il ne faut pas m’en vouloir si je pense en « possible » plus qu’en « rêve », ce qui ne m’empêche pas de rêver et de tenter d’aller dans ce sens.

IN : que pensez-vous du « tout recommencera comme avant » que certains prônent déjà?

M.L. : que de fois ai-je entendu cette phrase sentencieuse, définitive: après le premier choc pétrolier , et jusqu’à récemment au lendemain du 11 septembre ou de la crise de 2008/2009. Et pourtant comme dirait la chanson, très vite les habitudes ont repris le dessus, la compétition a retrouvé ses marques, les pays ont repris leurs marches vers leurs propres objectifs, et les hommes et les femmes se sont adaptés. La force du genre humain c’est justement de savoir s’adapter, quelle que soit la situation. Et de repartir de l’avant; parfois en balayant ce que les récentes expériences ont pu apporter , d’autres fois en se bonifiant, en devenant tout simplement meilleur. Comme je suis, malgré mon côté réaliste un optimiste forcené, je pense que nous sortirons meilleurs de cette épreuve. Et même si nous sommes incapables de changer le monde, de le rendre meilleur et plus vivable, nous progresserons et la bienveillance entrera dans le vocabulaire des entreprises, de la société…..

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