12 septembre 2019

Temps de lecture : 5 min

Affaire Moix : tout ce qu’il ne faut pas faire quand on joue au « bad buzz »

Dans une société interconnectée ou chacun d’entre nous reçoit chaque jour plus de 5000 messages informationnels par jour, faire parler de soi reste un excellent moyen de poursuivre des objectifs commerciaux. L'affaire Moix serait l'exception qui confirme la règle.

Dans une société interconnectée ou chacun d’entre nous reçoit chaque jour plus de 5000 messages informationnels par jour, faire parler de soi reste un excellent moyen de poursuivre des objectifs commerciaux. L’affaire Moix serait l’exception qui confirme la règle.

Plus encore lorsque l’on possède comme M. Moix une personnalité publique, rangée dans la catégorie des « vendeurs » de marchandises intellectuelles ; et l’auteur d’un livre, vous pardonnerez l’impudence de la terminologie employée, est classée dans cette catégorie. A la lecture du passé, nous pouvons sans risque affirmer que le personnage de M. Moix a été façonné dans le moule de la polémique médiatique ; jusque-là bonne conseillère dans la conduite de ses affaires. Il existe un proverbe populaire partagé par les spécialistes de la communication que chevauche avec talent M. Moix : « dites-en du bien, dites-en du mal, mais par pitié dites-en quelque chose ». Or, l’affaire Moix serait-elle l’exception qui confirme la règle ? Voyons cela !

De victime il est devenu scélérat

L’édition du dimanche 8 septembre du journal Le Parisien Aujourd’hui en France nous apprend : « Selon l’institut de référence GFK, au 1er septembre, soit dix jours après sa publication, Orléans [le dernier livrexde M. Moix – Grasset, 2019] s’était écoulé à 8 200 exemplaires. ». Et le quotidien de conclure : « le roman, au cœur de la controverse de la rentrée, est loin de la tête des ventes ». Lorsqu’on manie cette matière inflammable qu’est la polémique, il faut œuvrer avec prudence et sans doute percevoir l’évolution de l’acte pyromane avec l’œil du connaisseur de la géographie médiatique. Certains terrains sont glissants. En cela comme en d’autres aspects de la communication, les Américains ont agi en précurseur. Le domaine judiciaire est donneur de leçon a bien des personnalités prises dans des affaires extrêmement médiatisées et à la source de nombreuses polémiques. La règle établie par nos partenaires outre-Atlantique est la suivante : Victim or Villain. Derrière l’anglicisme il faut comprendre : si tu n’es pas la victime, alors tu ne peux être que le méchant. Alors qu’il se pensait protégé par son talent plumitif et ses nombreuses amitiés dans les médias les plus influents, M. Moix a commis un péché d’orgueil : sous-estimer la réaction des personnes mises en accusation. En guise de contre- attaque, les opposants de Moix ont eu recours à l’arme atomique. La fameuse « loi de Godwin », une règle empirique énoncée en 1990 par Mike Godwin et admise sur Internet qui prévoit que plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1. Dans un débat, atteindre le « point Godwin », revient à signifier à son interlocuteur qu’il vient de se discréditer.

Moix a fracassé la loi de Godwin

Dans le cas de M. Moix il s’agit de démontrer qu’un polémiste soupçonné de positions vraisemblablement teintées d’antisémitisme, est instantanément jugé coupable par l’opinion. A lire, l’historien Gérard Noiriel dans l’article du journal le Monde du 10 septembre consacré à l’ouvrage qu’il vient de publier le Venin et la plume (La Découverte, paru le 12 septembre) – il tente de démontrer comment la rhétorique identitaire du polémiste Éric Zemmour est comparable aux imprécations antisémites d’Edouard Drumont (journaliste, fondateur du journal La Libre Parole, antidreyfusard, nationaliste et antisémite. Il est le créateur, avec le marquis de Morès de la Ligue nationale antisémitique de France. Député d’Alger de 1898 à 1902). Sans comparaison entre Zemmour et Moix, adoptons la leçon que Noiriel rappelle : « le génocide perpétré contre le peuple juif au XXe siècle interdit qu’on puisse comparer l’antisémitisme avec toute autre forme de haine, qu’elle soit islamophobe ou autre ». En cela Moix a fracassé la loi de Godwin. Ainsi, se voir dépeint sous les traits d’un adepte de cette forme de détestation de tout un peuple constitue l’acte du « mal absolu ». Pour preuve, offrir un peu d’argent à Woody Allen ou Roman Polanski pour aller voir leur film, ne voue pas à la vindicte publique et à la honte éternelle le spectateur. Et plus encore, il est admis voire recommandé dans certains cercles, de soutenir Cesare Battisti, apologiste du principe de désobéissance civile et plus prosaïquement assassin notoire et condamné. (A lire l’ouvrage de Guillaume Perrault : Génération Battisti : ils ne voulaient pas savoir (Plon, 2005)).

Le bad Buzz : une stratégie marketing assumée et parfois payante.

Certaines marques surfent sur ce concept pour tenter de le tourner à leur avantage. C’est ce qu’on peut appeler le bad buzz intentionnel, ou bad buzz marketing. En somme, un faux bad buzz provoqué par des marques pour générer de la notoriété virale.
Quelle horreur ! On pensait, dans la société du politiquement correct et de la bien-pensance devoir porter en bandoulière une héraldique anti-polémique reposant sur le fameux principe du milliardaire et philanthrope américain Warren Buffet « Il faut vingt ans pour construire une réputation. Cinq minutes pour la détruire ». A tort ! Les experts conseillent une méthode plus subtile et sans doute sournoise qui consiste à créer son tohu-bohu médiatique, car on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Moix en cela a été précurseur ; depuis toujours adepte de cette tactique pour se promouvoir.
Le site spécialisé Réputation-Vip énumère les exemples d’Ecovoiturage, Numéricable, Carambar et bien d’autres. Le bad buzz serait un moyen de se faire connaître rapidement et à peu de frais. Les deux premiers en produisant des publicités « sexistes », Carambar en incitant les médias à diffuser la #Fakenews de l’abandon de la mythique blague imprimée à l’intérieur de l’emballage de la friandise qui continue de faire la richesse et l’angoisse des orthodontistes.

Son acte de contrition scénarisé chez son compère Ruquier signe l’échec total de son opération

Yann Moix supputait pouvoir lancer une polémique intentionnelle qui, à l’instar d’autres bad buzz, userait d’une même méthodologie. Elle consiste d’abord à susciter l’indignation sur des thèmes sensibles. Ensuite, à alimenter le feu en suscitant plus d’engagements sur les réseaux sociaux. Enfin, à faire passer des messages, à vanter son produit, avec à l’appui une caution (des ambassadeurs, ses amis dans certains médias…). Et pour finir, selon l’ampleur de la polémique, éteindre l’incendie en faisant acte de contrition, comptant sur un principe – comble de l’ironie – bien judéo-chrétien qui veut qu’une faute avouée est à moitié pardonnée. Or l’édifice pensé par M. Moix n’a pas résisté au tremblement de terre, le manque de préparation de son acte de contrition scénarisé chez son compère Ruquier signant l’échec total de son opération. Lorsqu’on bâtit un bad buzz intentionnel, il n’est jamais recommandé de sous-estimer la rapidité, la puissance, l’acuité et la ténacité de « la multitude », cette masse qui constitue l’Internet comme l’appelaient Verdier et Colin dans leur ouvrage l’Age de la multitude (Armand Colin, 2015).

L’allumette du bad buzz Moix l’a changé en torche humaine
« Lo importante es que hablen de ti, aunque sea bien (l’important est de parler de soi, notamment en bien) » affirmait l’immense artiste et maitre es communication S. Dali. Dans le cas de Moix la tentative de blanchir l’auteur du scandale s’est retournée contre son glossateur. Permettez ce jeu en guise de recommandation : « en bad buzz ne jamais faire le choix de la Shoah ». Réputation ruinée, annulation de son émission de télévision sur Paris Première, victimes collatérales en la personne des amis journalistes ayant tenté de le secourir. L’allumette du bad buzz Moix l’a changé en torche humaine. L’ensemble de son écosystème, tant personnel et familial que professionnel et économique, s’est consumé pour un temps certain.

Jacky Isabello – Cofondateur de l’agence Coriolink

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