15 janvier 2018

Temps de lecture : 5 min

Le caractère plus fort que l’identité nationale ?

Se sentir patriote n'est pas le signe uniquement d'un amour transi pour les couleurs de la France. C'est aussi l'expression de sentiments et d'un caractère particuliers liés à une culture nationale. Cela définit dans l'ombre la notion d'être Français. C'est un caractère. Que dis-je, c'est un esprit !

Se sentir patriote n’est pas le signe uniquement d’un amour transi pour les couleurs de la France. C’est aussi l’expression de sentiments et d’un caractère particuliers liés à une culture nationale. Cela définit dans l’ombre la notion d’être français. C’est un caractère. Que dis-je, c’est un esprit !

Pour savoir où l’on va, il est bon de savoir d’où l’on vient. Pour les professionnels de la communication, il en va même d’une stratégie : on sait où l’on va quand on sait « qui » ils sont. Qui : les Français. Et nos chers compatriotes ne tiennent pas que dans leur carte d’identité ou leurs racines. Sachant de plus que l’être humain a des mains et non des racines, il est préférable de qualifer les Français et Françaises par leur esprit… Tous les tempéraments, tous les caractères se manifestent en France, et cela en proportions plus égales qu’ailleurs.

L’esprit français est-il notre véritable héritage ?

Être français n’est pas qu’une question de caractère. Brillants, élégants, donneurs de leçons, indisciplinés, cartésiens, spirituels, arrogants, raffinés, irrévérencieux, hâbleurs, séducteurs, futiles, experts en galanterie, amateurs de bons mots, frondeurs, joueurs, nuls en langues étrangères, chauvins bien sûr… tous ces termes reviennent immanquablement pour parler de nos compatriotes. Mais il est une expression récurrente, pour ne pas dire une locution, lorsque l’on discourt sur la France : « l’esprit français », qui renvoie à une construction de l’imaginaire liée à certaines valeurs jugées fondatrices de l’identité nationale et assumant une fonction à la fois narrative, idéologique et symbolique. En 1920, le sociologue Célestin Bouglé voyait dans cet esprit français le « ressort intérieur » et la « force profonde de notre civilisation ». Il publia à Paris notamment, de 1929 à 1933, un hebdomadaire littéraire intitulé  » L’Esprit français  » et révélateur de cette identité qui ne porte pas son nom, mais perceptible dans l’air.

Depuis la Renaissance jusqu’au général de Gaulle, c’est  au nom d’une « certaine idée de la France » que les Français ont réclamé une place dans le monde. Très bien, mais quelle idée ? Pour reprendre les mots de l’historien Gustave Lanson, « tous les tempéraments, tous les caractères se manifestent en France, et cela en proportions plus égales qu’ailleurs ». Il n’y a donc pas une seule idée. Le paradoxe de cet esprit français, c’est  qu’on lui reconnaît difficilement de la valeur -contrairement à l’esprit anglais, si caustique, ou au fameux fighting spirit irlandais. Caractérisés de façon contradictoire, à peine leur attribue t-on tel ou tel trait que des exceptions se bousculent à l’esprit. Lorsqu’on lit les auteurs classiques, on n’en voit pas moins les mêmes mots revenir avec une belle régularité. Les adjectifs les plus employés sont : gais, polis, élégants, spirituels. Les Français sont des « gens d’esprit », ils savent pratiquer « l’art délicat de la louange », ils ont à l’extrême « l’esprit de conversation », ils prisent par-dessus tout la « clarté » et la « précision ». Au XVIIIème siècle, l’élégance et l’esprit de conversation, qui triomphent dans les salons -souvent dirigés par des femmes- retiennent l’attention de l’Europe entière, qui ne manque pas de citer les « bons mots » qu’on y entend. Kant lui-même affirme* que « la nation française se caractérise entre toutes par son goût de la conversation ».

S’il sut briller dans les salons, on dirait au XXIème siècle que l’esprit frenchy vaut bien plus que cela ! Aujourd’hui, on affirmerait que prime sa sociabilité, son activité, qu’il est intrépide, gai, audacieux et surtout passionné. Un indéfectible besoin de mouvement, de gloire, d’ambition pour voir grand, endosser l’honneur et s’enthousiasmer, un esprit de corps autant qu’une sorte de comportement chevaleresque avec lequel il se plaît à s’exposer au danger…

Du panache !

Si l’on doit évoquer aussi le côté sombre, le pessimisme quasi génétique, on crie haut et fort : non, tous les Français ne sont pas atteints de sinistrose ! Non, ils ne sont pas tous englués dans une déprime chronique ! Ils sont d’éternels insatisfaits et c’est probablement ce qui rapproche tant un paysan du Larzac 100% terroir d’un jeune de banlieue quelle que soit son origine. Une insatisfaction qui s’accompagne d’un esprit de contestation et de désir d’un monde meilleur, qui font de ces deux Français que tout oppose dans la vraie vie de vrais Français, non pour l’amour du drapeau, mais par leur caractère bien trempé.

Le rejet de la centralisation administrative est à classer sans doute avec les grands traits de l’histoire politique française qui ont le plus contribué à forger l’esprit français. La centralisation fit l’unité du pays, mais avec un si tiède consentement populaire. Sous l’Ancien Régime, comme sous la Réblique, le pouvoir a son siège à Paris et s’exerce de haut en bas; les citoyens se sentent de ce fait éloignés des centres de décision. À une organisation autoritaire répond une résistance passive, qui peut prendre les formes du repli sur la vie privée, de la critique systématique, de la fronde, de la révolte… La méfiance et l’aversion vis-à-vis de l’ordre sont la règle. Et toujours d’une façon passive, qui mine, qui mine… d’où survient cette autre spécificité française : le frein à l’évolution, qui nous fait basculer maintes fois dans la révolution. Car l’histoire de France abonde en révoltes populaires et jacqueries. Ce qui fait aussi du peuple français, et peut-être le seul à ce point au monde, qu’il inspire la crainte à son élite politique. Et ça c’est une victoire, car l’esprit français empêche la moutonnerie. Et pour cela, il faut de la bravoure, une manière toute française de sublimer l’échec de l’action en victoire du cœur et de l’âme, ce panache, dont Cyrano reste l’archétype, est une constante de notre caractère.

Cet esprit… faible

Malgré une verve humaniste et nationale, l’esprit français possède une faiblesse de taille. Celle de ne pas faire la différence entre l’État et la France. La défaite de 1870 contre l’Empire allemand et le traumatisme qui s’ensuivit -avec l’amputation de l’Alsace et de la Lorraine- a permis de forger un esprit national et de revanche qui nous a menés à une première Guerre Mondiale victorieuse et à la naissance de l’État nation tel qu’on le connaît aujourd’hui. Entre 1870 et 1914, les Français ont été éduqués au patriotisme. Mais dans ce bel élan patriotique, inculqué dès l’école depuis Jaurès jusqu’à maintenant, les Français n’ont pas su et ne savent toujours pas faire la différence entre la France qui les abrite et l’État qui la gouverne. Un mélange des genres qui tend à malmener notre territoire en permanence, protégeant ainsi l’État de ses actions passées, présentes et à venir.

L’esprit français doit s’émanciper de ce mélange des genres et bien dissocier le territoire de France dans sa globalité et l’État français. Cela permettrait de repenser les fondements « spirituels » de la nation et de l’identité au travers d’un caractère commun laissant la place à une pluralité hexagonale. Peut-être une forme de « spiritualité » républicaine qui renforcerait l’esprit français pour soutenir la France tout en résistant à l’État. Un caractère qui continuerait à promouvoir l’entraide, l’ambition et… les jeux de mots. Et peu importe le milieu social et les origines. Il faudra continuer à parler aux Français en ménageant leur caractère national et leur caractère individuel, afin que les deux se rejoignent sous l’étendard de l’esprit français…

*Anthropologie du point de vue pragmatique, Emmanuel Kant.

Article tiré de la revue Influencia n°23 : « Les Français savent-ils parler aux Français ? ». Pour en lire davantage, cliquez sur la photo ci-dessous !

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