17 octobre 2025

Temps de lecture : 4 min

Le Futuroscope, devenu un « parc à sensations », a-t-il perdu son âme ?

Le Futuroscope a bien changé. Autrefois temple de la technologie et de lʼimage, il est devenu un parc d'attraction qui fait la part belle aux sensations. Il reflète en cela le retour en force de l'expérientiel. Au risque de perdre sa singularité ?

En entrant dans lʼAquascope, le nouveau parc aquatique du Futuroscope, on comprend vite que quelque chose a changé. Fini les grandes salles obscures et les écrans géants : ici, la lumière, le son et lʼeau deviennent les nouveaux supports du spectacle. On ne regarde plus une image, on la traverse.

Ce virage symbolise la transformation du Futuroscope : un parc qui, autrefois temple de la technologie et de lʼimage, se réinvente en destination sensorielle.

Dʼun rêve technologique à la désillusion numérique

Lorsque René Monory inaugure le Futuroscope en 1987, il imagine une vitrine de lʼinnovation française. Le parc naît à une époque où le pays croit encore dans le progrès industriel : Ariane, TGV, Minitel. À Poitiers, on vient contempler le futur sur écran géant. Le succès est immédiat : 2,9 millions de visiteurs en 1997.

Mais le modèle sʼessouffle rapidement. Dans les années 2000, lʼimage est partout : sur les télévisions, les ordinateurs, puis les smartphones. Le Futuroscope, pionnier du numérique, se retrouve dépassé par son propre sujet. En 2003, la fréquentation tombe à 1,16 million. Le futur promis sʼest banalisé.

Revivre plutôt que regarder : la relance par lʼexpérience

Le parc décide alors de se réinventer. Sous la direction du Département de la Vienne, puis de la
Compagnie des Alpes, il mise sur une nouvelle approche : lʼexpérience avant tout.

Les attractions deviennent plus immersives, plus physiques. LʼExtraordinaire Voyage (2016) fait voyager dans les airs, Objectif Mars (2020) propulse dans lʼespace, et Chasseurs de Tornades (2022) plonge le public dans un cylindre dʼécrans LED à 360°, élu meilleure attraction du monde par la Themed Entertainment Association.

Le public suit. En 2024, le parc franchit à nouveau les 2 millions de visiteurs pour un chiffre dʼaffaires de 134 millions dʼeuros. Le pari est gagnant. Mais il marque aussi un tournant : le Futuroscope nʼest plus seulement un parc de “filmsˮ. Il est devenu un parc à sensations.

La stratégie Bouin : faire ressentir plutôt quʼexpliquer

Arrivé en 2018, Rodolphe Bouin porte une vision claire : faire du Futuroscope une destination complète. Son plan Vision 2025, financé à hauteur de près de 300 millions dʼeuros, comprend deux hôtels (Station Cosmos et Ecolodgee), un espace événementiel (Arena), un second parc (Aquascope) et plusieurs nouvelles attractions.

©Julien THOUVENET (ODIBI)/JL AUDY/FUTUROSCOPE

Cette logique dʼensemble vise à transformer le Futuroscope en « resort », capable de concurrencer des sites comme le Parc Astérix ou le Puy du Fou, qui dépassent chacun les 2,8 millions de visiteurs par an.

Mais le projet ne se limite pas à des chiffres : il change profondément la philosophie du parc. Le
Futuroscope sʼéloigne du savoir pour privilégier le ressenti.

« Au début, la technologie suffisait à bluffer les visiteurs, ce nʼest plus le cas… la technologie a tendance à sʼeffacer et doit devenir un ingrédient au service dʼune expérience suscitant des émotions.ˮ, disait Bouin à la Tribune.

Ce choix séduit le grand public, mais divise les fidèles de la première heure. Le risque, disent certains, est de perdre le sens, derrière lʼeffet.

Changement de philosophie : passer du regard à l’expérience

Contrairement à ce quʼon pourrait croire, le Futuroscope nʼa pas renié son héritage visuel : il lʼa adapté. Chasseurs de Tornades reste un film, mais intégré dans un dispositif où lʼécran devient circulaire, mouvant, et enveloppe le spectateur.

Dans Objectif Mars, la technologie sert toujours un propos scientifique, mais au lieu dʼun documentaire, on le vit à travers un coaster. Et dans lʼAquascope, lʼeau elle-même devient image : un support physique et symbolique.

Autrement dit, lʼécran nʼa pas disparu, il a changé de forme. Il nʼest plus une surface à regarder, mais un environnement à explorer. Cette transformation résume bien la philosophie actuelle du parc : passer du regard à lʼexpérience. Une évolution en phase avec son époque, mais qui interroge la frontière entre émerveillement et divertissement pur.

Mission Bermudes : la bascule technologique

Inaugurée à lʼété 2025, Mission Bermudes illustre cette nouvelle ère. Conçue avec Mack Rides, elle utilise un système inédit, le Rocking Boat, qui combine parcours aquatique et montagnes russes.
Les visiteurs embarquent sur de véritables bateaux qui flottent, tournent, plongent et passent dʼune
section “mouilléeˮ à une section “sècheˮ, dans des décors spectaculaires.

©JL AUDY/FUTUROSCOPE

Lʼattraction, dʼun coût estimé à 25 millions dʼeuros, est une prouesse technique autant quʼun symbole : le Futuroscope ne veut plus montrer la technologie, il veut la faire ressentir. Mais cette surenchère technologique pose aussi une question : jusquʼoù aller dans la quête de sensations ? À force de transformer chaque attraction en performance, le parc risque-t-il de perdre ce qui faisait son charme originel : le plaisir dʼapprendre autrement ?

Le parc gagne en spectacle ce qu’il perd en singularité

La transformation du Futuroscope reflète une évolution plus large : celle dʼune société où lʼémotion prime sur la compréhension. Les visiteurs cherchent moins à “voir le futurˮ quʼà le vivre intensément, le temps dʼune expérience.

Le parc sʼaligne sur cette attente avec cohérence. Pourtant, à mesure quʼil gagne en spectacle, il perd un peu en singularité. Ses attractions les plus récentes pourraient, pour certaines, exister ailleurs : à Europa- Park, à Efteling, ou même dans un parc américain.

Ce que le Futuroscope doit préserver, cʼest sa différence : cette capacité à relier la science, la technique et le rêve, à donner du sens à lʼinnovation. Car derrière les effets spéciaux et les budgets millionnaires, cʼest bien une question culturelle qui se joue : comment continuer à parler du futur sans se contenter de lʼimiter ?

Prochain défi : réconcilier le spectacle et le sens

Le plan Vision 2025 vise à stabiliser la fréquentation autour de 2,5 millions de visiteurs par an. Le Futuroscope a prouvé quʼil pouvait se réinventer sans perdre son public. Reste à savoir sʼil saura préserver sa raison dʼêtre : un lieu où la technologie ne sert pas seulement à émerveiller, mais aussi à comprendre le monde.

Dans un paysage du divertissement où tout devient “immersifˮ, le Futuroscope reste un laboratoire unique. Son défi, désormais, sera de réconcilier lʼémotion et la réflexion. Non pas choisir entre les deux, mais retrouver ce qui faisait sa force : cette capacité à faire aimer le futur, non parce quʼil impressionne, mais parce quʼil inspire.

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