14 juin 2020

Temps de lecture : 3 min

Le street art : une expression politique virale pour un virus mondial

La pandémie a fait germer à travers le monde une multitude d’oeuvres de rue aux messages politiques incisifs. De l’irresponsabilité des dirigeants à l’hommage aux soignantes, cette politisation de l’espace public est venue interroger les dérives de notre société et les pistes pour la rendre plus désirable.

La pandémie a fait germer à travers le monde une multitude d’oeuvres de rue aux messages politiques incisifs. De l’irresponsabilité des dirigeants à l’hommage aux soignantes, cette politisation de l’espace public est venue interroger les dérives de notre société et les pistes pour la rendre plus désirable.

Si le secteur de l’art et de la culture ont su se réinventer en temps de crise par la numérisation de ses expositions, rien ne remplace le charme sensoriel d’être physiquement face à une oeuvre. Et puisque les musées sont pour l’heure toujours fermés, c’est le moment idéal de se tourner vers l’univers sémillant du street art. Un mouvement artistique qui démuséifie la peinture et porte souvent des messages politiques forts. Jérôme Mesnager, peintre de rue et père des fameux corps blancs, rappelle le lien historique entre art de rue et politique : « le street art a souvent été corrélé à des moments politiques déterminants. De mai 68 aux grèves des 35h jusqu’aux manifs étudiantes, l’art de rue a souvent su entrer en résonance avec l’actualité ».

Jérôme Mesnager, France

L’homme dont les silhouettes blanches ont été reproduites dans le monde entier à d’ailleurs rebondi à sa manière à la crise sanitaire. « On m’a beaucoup demandé de peindre des corps blancs assis tout seuls, comme une manière de refléter l’isolement et la solitude qui se sont aggravés durant la pandémie. C’est une forme de revendication suggestive qui raconte une histoire sans parole ».

De la France au Brésil

Cette expression politique par la rue s’est déployée à travers le monde entier. En Angleterre, Banksy a par exemple peint un enfant en train de jouer avec une poupée d’infirmière aux côtés de grands héros comme Batman et Spiderman. Un hommage rendu au personnel soignant accroché sur l’un des murs de l’hôpital de Southampton. Intitulée Game Changer, l’oeuvre va être vendue aux enchères au profit du service de santé britannique.

En France, le street artiste parisien Combo a également peint une infirmière dans une posture de combattante. « Certains héros portent des capes, d’autres portent des masques » écrit-il sur Instagram. Dans la ville brésilienne de São Paulo, le peintre Kobra a dessiné les visages de cinq enfants portants chacun un masque avec un symbole religieux différent. « Nous surmonterons cela ensemble, mais séparés. Ou séparés, donc ensemble » déclare-t-il sur les réseaux sociaux.

Kobra, Brésil

D’autres artistes se montrent plus critiques vis-à-vis des responsables politiques. À Bristol en Angleterre, John D’oh a fabriqué un pochoir blâmant Donald Trump et sa déclaration relative à l’injection de désinfectant dans les poumons pour lutter contre le coronavirus. « Trump a trouvé un remède. Un seul spray et vous n’aurez plus à vous soucier de la pandémie » assène-t-il. Au Brésil, l’artiste Aira Ocrespo a tourné en dérision son président Jair Bolsonaro en le peignant affublé d’un nez rouge de clown. Une façon de tourner en dérision l’incompétence du chef de l’État brésilien dans la gestion de la crise sanitaire.

Aira Ocrespo, Brésil

Dernier exemple, celui de l’australien LUSHSUX qui peint le président chinois Xi Jinping vêtu d’une combinaison de protection en train de déclarer : « Circulez, il n’y a rien à voir ». Une allusion au taux d’infection quatre fois plus élevé que ce qu’avait déclaré le chef du Parti communiste chinois.

Lushsux, Australie

Des revendications au détriment de la poésie

Selon Jérôme Mesnager, l’expression politique du street art est importante et nécessaire, mais ne doit pas négliger son aspect poétique. « Depuis 40 ans, j’ai voulu séparer la poésie des revendications politiques. L’espace public a besoin des charmes de la poésie. Pour moi la revendication, c’est plus qu’applaudir à 20h et publier une photo de street art sur Instagram ». Pour autant, le peintre dont les corps blancs sont présents des catacombes de Paris à la Muraille de Chine apprécie le caractère politique du street art. « Quand Bansky a peint le Radeau de la Méduse de Géricault pour dénoncer le traitement des migrants, c’était engagé et en résonance avec l’actualité ».

Le peintre français en profite pour rappeler la multiplicité des formes de street art et sa nature par essence inféodée. « Le street art, c’est plein de gens qui font ce qu’ils veulent, chacun à sa pensée et son histoire. C’est avant tout des gens qui s’expriment sans pensée commune ni concertation». Une expression propre à chacun qui reflète la richesse d’un mouvement carnavalesque au sens du philosophe Mikhail Bathkin. Les règles sociales sont en effet écartées au profit d’une critique joyeuse et essentielle de la société. En exprimant nos frustrations collectives, l’art de rue oscille entre des messages politiques et poétiques, mariant parfois les deux comme dans le Radeau de la Méduse revisité par Bansky. Une politisation de l’espace public bienvenue en ces temps propices à la refonte d’un contrat social épuisé.

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