14 avril 2020

Temps de lecture : 27 min

Covid-19 : Brooklyn Shelter, music must go on.

Influencia diffuse désormais le journal de bord de Michaël Boumendil, fondateur de Sixième Son le mercredi Cette somme représente les huit jours qui viennent de s'écouler. Un futur livre ? Le suspens est là.

Influencia diffuse désormais le journal de bord de Michaël Boumendil, Pdg de Sixième Son le mercredi. Cette somme représente les huit jours qui viennent de s’écouler.  Un futur livre tant l’intrigue écono-covido-familialo-virussée se lit bien?

Journal du 2 avril 2020
20e jour de confinement
Je me lève tôt et je suis content. Pas habituel ces temps-ci. Cette petite conférence pour l’Institut Européen du Design me réjouit. C’est comme si je sortais de la maison. Et puis, c’est à Rome. Et l’Italie, c’est l’Italie. La session est divisée en deux. En première partie, une interview filmée que j’ai donnée il y a quelques semaines, et qui sert d’introduction au sujet : la musique au service de la puissance des marques. La seconde partie, c’est mon intervention en direct et un jeu de questions/ réponses. Mon italien fonctionne suffisamment pour que je comprenne toutes les questions, sans besoin de traduction. Pour m’exprimer, c’est autre chose. Et comme il se trouve qu’on ne parle ni de gastronomie, ni de foot, mon vocabulaire est un peu court. Je réponds en mélangeant l’anglais, le français, l’italien. Pas forcément une bonne idée. Echange de 45mn. Pour conclure, chacun y va de ses remerciements et de ses vœux de santé. Jusqu’à présent, nous avions tous fait « comme si de rien n’était ». Plus maintenant. Je contiens difficilement mes larmes. Forza Italia !

J’appelle ma sœur. Elle ne répond pas. Elle m’écrit. « C’est bien le corona. Je suis sorti ce matin faire d’autres examens. Le médecin veut me mettre sous Chloroquine mais pas avant que je ne voie un cardiologue. Suis fatiguée. Pas le courage d’aller voir un cardiologue. Pas le courage de sortir à nouveau de la maison. On verra demain ». On sonne. Isa revient visiblement contrariée. La livraison de viande qu’elle attendait depuis 10 jours est arrivée. Ce qu’elle voit finit de l’achever. Il n’y a pas la moitié de ce qu’elle a commandé. J’essaye de la réconforter mais je vois bien que ça ne marche pas. Elle s’autorise un moment de découragement. Elle est sur tous les fronts et c’est bien elle qui tient la maison. L’insouciance apparente de la famille tient à elle. Si elle ne tient plus, nous ne tiendrons pas longtemps. L’occasion de rappeler à la petite troupe familiale la chance qu’ils ont d’avoir une maman pareille.
Est-ce que je vais être payé(e) ? Combien?

Nous avons remplacé l’apéritif digital avec l’équipe par un échange sur la façon dont nous gérons la crise chez Sixième Son. Me remontait de-ci de-là les difficultés de certains à comprendre notre situation et à s’adapter à ce drôle de contexte. J’imagine aussi que certains appréhendent les décisions que nous prenons ou que nous pourrions prendre. Et puis, je sais bien que la plus simple des questions n’est pas la plus anodine. « Est-ce que je vais être payé(e) ? Combien ? Combien de temps ? ». Depuis le début, je suis convaincu qu’il faut accorder la plus grande attention à ce que personne ne décroche. Pas peur ou par méconnaissance. Par réflexe aussi. Je me passe de préambule et parle de nos objectifs du moment. Très vite, je leur décris le quotidien des équipes chargées du plan de sauvegarde. Réussir à obtenir les paiements de ces clients qui nous doivent encore de l’argent. Comprendre les dispositifs du gouvernement et pouvoir bénéficier des aides. Organiser avec les banques la gestion de la trésorerie en se disant qu’on est partis pour six mois de grandes difficultés. Je vais le répéter plusieurs fois, mais je veux que le message soit bien compris : « Nous ne sommes pas en mauvaise posture pour affronter cette crise mais il serait complétement insensé de pêcher par excès de confiance ». Je rentre dans le détail des projets affectés, et ils sont nombreux. Je rentre dans le détail des décisions de gestion. Je précise aussi qu’il y aura une limite à la transparence. Dès qu’une information ne me semblera pas certaine, dès qu’une décision ne sera que provisoire, je ne communiquerai pas. Je demande à chacun de s’exprimer tour à tour, pour donner de ses nouvelles et poser des questions. Certains s’expriment avec naturel et détermination. D’autres semblent fragilisés ou dans le doute. Ne laisser personne de côté. Je note le nom de ceux qui me semblent être en moins bonne posture. Leur consacrer plus de temps.

J’ai l’impression d’avoir papillonné toute la journée

Mes parents vont bien. Les voir par écran interposé me rassure. Ils sont si fragiles, parfois comme des enfants. Ils ne comprennent toujours pas cette crise. Est-ce que je dois attribuer ce trouble à leur âge, 96 ans pour mon père, 88 pour ma mère ? Est-ce que les repères leur manquent ? Est-ce trop demander à leurs esprits parfois fatigués ? Est-ce que je dois leur donner des éléments qui font peur pour qu’ils prennent tout cela au sérieux ? Est-ce que je dois faire comme si tout allait bien et ne pas les tourmenter ? Je ne sais pas et personne ne le sait. Alors, je leur parle comme s’ils comprenaient. Ce n’est pas grave s’ils ne comprennent pas, pour autant qu’ils restent chez eux, à l’abri. Cette journée s’achève avec le sentiment que j’ai mal travaillé. J’ai l’impression d’avoir papillonné toute la journée. Dans les rendez-vous téléphoniques ou télé-conférences. Toujours inquiet qu’un enfant débarque au milieu des échanges. Toujours interrompu par le bruit d’un petit qui crie « Papa » ou « Maman ». Il n’y a que ces deux heures, tous les soirs, entre 22h et minuit. Le seul moment de calme où la concentration semble atteignable. Le seul moment désormais où j’ai l’impression d’être productif. Deux heures, ça passe vite.

Journal du 3 avril 2020
21e jour de confinement
Isa s’est levée avant moi ce matin. Ce n’est pas habituel. Elle a dû pressentir quelque chose. J’attends deux minutes. Protocole tacite entre nous qui voudrait qu’elle me ramène un café de la cuisine. Souvent, c’est en sens inverse. Je le précise au cas où Florence Foresti ne me lise. Au bout d’une minute, ce n’est pas ce à quoi je m’attends. J’entends Isa qui hurle. « Dégage, mais dégage ». Elle le répète dix fois. Je vais dans la cuisine en courant. Isa est ébouriffée, son visage rouge. Une livraison a eu lieu ce matin. Ce sont les écureuils du quartier qui l’ont réceptionnée. Et ils se sont servis. Il y en a un qui s’entêtait malgré Isa et ses cris. Les courgettes et un carton sont déchiquetés. Le carton, qui contenait un carton, qui contenait le carton avec des plaquettes de chocolat. Trois couches d’emballages ne les ont pas dissuadés. Ces derniers jours, le moral d’Isa est très lié à sa capacité à gérer les approvisionnements. Mardi le lait, hier la viande. Le chocolat devenait lui aussi plus rare. Et le frais reste aléatoire. J’essaye d’en rire. Elle pas du tout. On sauve ce qui peut l’être. Ma sœur m’a laissé un message. Elle n’a pas la force de sortir et d’aller consulter un cardiologue. Ce n’est pas une bonne nouvelle. Sans cette consultation, pas de chloroquine. Pas de traitement à ce stade. Elle n’a pas la force de parler non plus. La fièvre est forte et lui ôte toute volonté.

L’émotion dans la communication des marques

Il est 10h ici. J’entame un échange prévu de longue date avec un spécialiste des stratégies de rupture pour les marques. Kevin, un ancien d’Interbrand, souhaite que nous mettions en place des synergies entre nos expertises. Il y a un mois, il a écrit un article intéressant sur la place de l’émotion dans la communication des marques. Tous les diagnostics qu’il formulait avant la crise, tous sans exception, se trouvent confortés désormais. Toutes ses recommandations, notamment en matière de gestion de marque et d’expérience client, trouvent davantage d’intérêt aujourd’hui. Kevin plaide pour le développement d’un patrimoine émotionnel des entreprises construit différemment. Il m’explique pourquoi il croit fermement à l’expertise de Sixième Son dans les futurs dispositifs des marques. Il démontre comment certaines communications se retournent contre leurs commanditaires quand l’émotion n’est pas précisément la bonne. Traduction libre : « Les écarts émotionnels tactiques traduisent le vide stratégique ou un opportunisme devenu insupportable aux consommateurs ». Il faudra qu’il le dise plus simplement. Je partage avec lui le résultat de deux recherches menées en Europe et aux USA par Sixième Son. Nous prenons rendez-vous à la fin du mois. Chacun doit formuler des propositions pour engager des travaux en commun. Je retiens surtout qu’il passe déjà l’essentiel de son temps à penser à l’après. Je passe l’essentiel de mon temps à penser à l’équipe et à gérer le présent.

46% d’augmentation de vente des armes en mars aux États-Unis.

C’est le chiffre du jour. Que dire. Depuis que j’habite ici, je me garde bien de porter un jugement sur les Américains car j’ai compris que ça n’existait pas, les Américains. Les habitants de New York, au milieu desquels je vis, sont tellement éloignés des Texans que j’ai beaucoup fréquentés cette année grâce à un formidable projet lancé en juin prochain. À Chicago aussi, il y a un état d’esprit différent. Différent aussi de ces gens d’Atlanta, que je sens parmi les plus créatifs mais aussi les plus accablés, parfois par le poids de l’histoire de ce Sud ségrégationniste. Alors, je me tiens à l’écart de toute généralité. J’ai du mal à imaginer ce que les Français comprennent de cette ruée vers les armes à feu. Elle peut signifier tellement de choses, mais rien qui ne soit pas inquiétant. Qu’importe l’explication. Une chose est sûre. Certains Américains ne prennent toujours pas ce virus au sérieux. Certains Américains se préparent à une apocalypse tout bonnement biblique. Je passe en revue les mails de la journée. J’ai de plus en plus l’impression de passer à travers. L’impression de flotter, d’oublier. J’écris à ceux dont je n’ai pas eu de nouvelles cette semaine. J’envoie quelques messages plus personnels avant de tout fermer pour nos 24h sans écran. Je m’inquiétais de ne pas avoir de nouvelles de P., un créatif de l’équipe, un garçon posé et réfléchi. Julien vient d’en avoir. « Il a été diagnostiqué positif et il va mieux. Rétabli ou quasiment ». C’est bien de se souvenir de ça. Rétabli. Cela existe aussi.

Journal du 4 avril 2020
22e jour de confinement
Hier soir, à nouveau, nous avons donc tout éteint. Ce nouvel épisode de détox digital, ce shabbat de déconnexion, est maintenant un repère que la famille attend avec une forme d’impatience. 24 heures sans écran. 24 heures de répit. L’évolution de la situation à New York, une vidéo affreuse qui a circulé hier ici sur l’hécatombe dans un hôpital de Manhattan, une autre sur les projections de cas et de décès. C’est trop. Je relance mentalement mon appel à contribution. Un contrôle covidal. Que quelqu’un invente un logiciel qui filtre tout ce qui se rapporte de près ou de loin à l’épidémie. Vite. Cette semaine, c’est donc sans mauvaise volonté que tout le monde m’a donné ses écrans. Je les éteins avec une vraie satisfaction. De courte durée. Le dîner familial tourne à la guerre des clans. Tout le monde s’accroche avec tout le monde. Pour un oui pour un non. Gabrielle ne veut pas manger, si ce n’est des pâtes. Elle pleure. Elia ne veut pas être assise à côté d’Eva Luna. Elle pleure. Eva Luna s’est tordue la cheville en marchant sur une poupée de Gabrielle. Elle pleure. Bethsabée enrage de voir son frère Théo rire en voyant ses sœurs pleurer. Elle crie. Théo en a marre de toutes ces filles. Il râle. Isa, au beau milieu du repas, se lève. Elle a eu son compte et va se coucher. Les enfants débarrassent avec une mauvaise volonté affichée. Je les renvoie dans leur chambre. Pas longtemps. Ça hurle. Bethsabée arrive dans le salon avec coussin et couette. Du calme. Qui ne dure pas. Elia s’est cognée en courant après Eva Luna qui n’a pas voulu lui donner son coussin. Eva Luna et Théo courent l’un après l’autre, réveillent Isa. Je leur cours après. Théo s’enferme dans la salle de bain. Il y passera la nuit. Folklorique.

Un moment de tranquillité pour Isa et moi

De bon matin, Isa se lance dans un exercice de revue des troupes. « Tu as demandé aux enfants comment ils allaient et ce qu’ils pensaient de cette situation ? ». J’ai un peu honte. C’est parti. Chacun paraît content de prendre la parole. La seule que la situation inquiète réellement est Bethsabée, 12 ans. C’est la seule qui exprime de la peur, notamment pour ses grands-parents. Théo dit qu’il trouve ça pénible mais pas inquiétant. À bientôt 14 ans, le confinement est pour lui l’occasion de tester ses parents, leur permissivité, leur autorité et l’évolution des options de jeu dans Fifa20. EvaLuna ressent moins la peur que le manque. Ses copines, ses cousines. Le regard permanent des autres la lasse. Elia est contente, car c’est Elia. Et Gabrielle, tant qu’elle a ses biberons au chocolat, ses pâtes, sa mère à moins d’un mètre et accès à Netflix, le monde est parfait pour elle. Sans les écrans, les livres me tendent les bras. Mon livre du jour est « 2084 », de Boualem Salal. Du jour, non. Là aussi je bute et, comme la semaine passée, je lâche au bout de 60 pages. Je tâtonne dans la bibliothèque. « J’ai cru qu’ils effaçaient toute trace de toi » de Yoan Smadja. J’avais tellement aimé ce livre, sorti il y a 2 ans, que j’avais acheté un exemplaire pour chacun des membres de l’équipe Sixième Son. Quand on trouve le bonheur, il faut le partager. Il m’en reste un exemplaire, là sur l’étagère. Je m’y replonge et suis incapable de le lâcher. Je le dévore. Les enfants me rappellent à mes devoirs. Theo m’arrache le livre des mains « Tournoi de Backgammon ». Le gagnant a le droit d’imposer un gage aux autres. La chance me sourit. Je gagne. Mon lot : je demande un moment de tranquillité pour Isa et moi. Un rêve. Nous voilà seuls, enfin, tous les deux dans notre chambre. Je ferme à clé. Isa lance un cri de soulagement. Ephémère. « Un p’tit frère, un p’tit frère, un p’tit frère ». La troupe, emmenée par EvaLuna, scande en rythme à la porte. Compris. On retourne au backgammon. Le p’tit frère, ce sera pour plus tard. À l’heure de rallumer téléphones et téléviseurs, les alertes et les notifications résonnent comme un flot en panique. La dernière conférence de presse du Président Trump alimente les news. La semaine qui va s’ouvrir va être « terrible ». Le plan d’alerte de l’État fait sonner tous les téléphones à la maison. « New York a besoin de personnel médical. Faites-vous connaître si vous êtes diplômé(e) ». Le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, nous préviens par email. « Nous avons déjà perdu des frères, des sœurs, des parents, des amis, des voisins. J’aimerais vous dire que ça ira mieux prochainement. Je ne peux pas. » Il aura suffi de deux minutes pour replonger dans la réalité. J’éteins à nouveau.

Journal du 5 avril 2020
23e jour de confinement
Le lever est militaire. La fine équipe est convoquée dans la cuisine. Le rassemblement est sonné par Théo. Isa rappelle l’objectif de la journée et des jours prochains. Hormis Gabrielle qui rigole avant qu’un seul mot n’ait été prononcé, tout le monde prend les choses au sérieux.
Isa dans son rôle de chef d’orchestre a lancé les hostilités du rangement de printemps. Nous devons tous désormais consacrer 4 heures, a minima, aujourd’hui pour ranger et préparer le retour des beaux jours. Demain et après-demain, ce sera deux heures par personne. C’est la tradition qui précède nos vacances de Pâques. Tout doit être bouclé pour mardi prochain. C’est la date à laquelle nous étions censés partir pour des vacances familiales chez mes parents. Je suis chargé de la cuisine. J’ai en effet largement fait la preuve de mon incompétence les années précédentes dans le traitement du linge. J’avais mélangé les tailles, les enfants, les saisons. « Malgré de bonnes intentions évidentes » me répète Isa, bienveillante. Cette année, je vise la réhabilitation. La cuisine à ranger et à nettoyer, ce n’est pas qu’un exercice simplement logistique. Très vite, je le constate, c’est une plongée culturelle. Par exemple, je trouve un bocal de gros cornichons au vinaigre, mal caché derrière des boîtes de conserve. C’est comme cela que je vois que nous ne sommes toujours pas de vrais Américains. Le bocal fait bien 50 centimètres de haut et pèse 10 kilos au bas mot. Ce bocal impressionne. Moi-même, qui le déplace, il m’intimide. Je suis convaincu qu’un bon gars du Midwest ne s’en laisserait pas compter. À sa vue, il ne ressentirait qu’envie et l’ouvrirait sans coup férir. Nous, petits Français, avons renoncé. Caché derrière une pile de boîtes de maïs depuis au moins 6 mois, le cornichon triomphe et dort du sommeil du juste. Quelque chose me dit que l’an prochain personne n’aura encore osé l’ouvrir.

L’une des opportunités que nous offre le confinement, c’est de parler davantage avec les enfants. C’est aussi de les entendre se parler entre eux. Chez les quatre plus grands, la tentation est forte désormais de privilégier l’anglais. Ni Isa, ni moi n’aimons ça. Nous échangeons souvent entre parents d’élèves sur les petites astuces pour maintenir vivace la langue maternelle, en plus de l’anglais. Isa et moi tâchons de ne rien lâcher mais de le faire de façon créative, ludique. Sous peine de passer pour de vieux schnocks. Petite séquence people. Alec Balwin, – oui LE Alec Baldwin – vient parfois aux réunions de parents d’élèves. En fin d’année, il nous demandait à Isa et à moi ce que nous faisions de particulier pour cela. Sa femme étant hispanophone, et ses enfants encore petits, il veut prendre le pli. Ce jour-là, je n’ai pas trouvé de bon exemple à lui donner sur notre « spécificité familiale » dans la lutte pour la sauvegarde du français. S’il avait été là aujourd’hui, il aurait compris. Vers 15h, j’entends Bethsabée qui hurle. Théo lui as pris, sans consentement, l’éponge qui lui servait à nettoyer ses étagères. Elle lui court après. Sans surprise, elle accumule les insultes et les jurons dans la langue de Shakespeare – quoi qu’il ne soit pas certain que William y reconnaisse ses petits. J’interviens. Bien sûr je dois choisir. Apaiser les tensions ou faire une petite leçon dans la langue de Molière. Naturellement, mon sens de la patrie commande. « En français, en français », dois-je hurler le temps d’arriver jusqu’à eux. Bethsabée fait un effort en premier. « Je te promets Théo que si tu ne me rends pas cette fucking sponge, je vais t’arracher « un » couille si je t’attrape ». Comme tout pédagogue américain qui se respecte, avant toute critique, il faut donner confiance et flatter. « C’est très bien Bethsabée, il ne faut pas que tu te laisses marcher sur les pieds. Néanmoins, on ne dit pas sponge, mais éponge. Et puis le mot couille est féminin. On l’utilise rarement au singulier. C’est ce qui crée sans doute cette confusion dans ton esprit. Une couille, mon ange. Une couille. » Alec, si tu m’écoutes…
Je ne dois pas être le seul à confondre désormais les jours de la semaine. Une agence de branding espagnole nous écrit pour nous dire qu’un de leurs clients souhaite accélérer le travail sur son repositionnement de marque. Ils souhaitent que Sixième Son créé leur identité sonore. Le patron de l’agence me propose un call en fin de journée. C’est une bonne nouvelle. Et j’espère qu’elle en annoncera d’autres. Nouveau mail. Un mail d’excuses. « Désolé, j’ai cru qu’on était lundi. On s’appelle demain ».

Depuis 15 jours, nous applaudissons et faisons du bruit à la fenêtre tous les soirs à 19h. Comme ailleurs dans le monde, nous saluons le travail incroyable du personnel de santé. Ce soir, c’est inédit, il y a du monde, beaucoup de monde. La première fois, les voisins d’en face étaient sortis, intrigués, sans plus. Depuis, rien. Nous étions tellement seuls que les enfants en tiraient un embarras visible. Aujourd’hui, à toutes les fenêtres de toutes les maisons, on voit des gens et on entend des bruits et des applaudissements. Je retiens que les casseroles rameutent plus de monde que les mains qui claquent. « Make some noise », crie Elia. Isa me demande « Tu crois qu’ils commencent à comprendre ? ». Je ne m’avance pas. Les enfants sont ravis. Et leur satisfaction ne fait que grandir quand Isa annonce une soirée ciné. On fait très français. La soupe aux choux. Théo trouve les mots justes. « Et ben, ils savaient faire des effets spéciaux en 1881 ». Forcément un peu vexés, Isa et moi remettons les choses en place. 1981. « Quand même », ose-t-il. Tout le monde part se coucher sans rechigner et le sourire aux lèvres. Une alerte sur mon téléphone. « Cette semaine, ce qu’il va se passer ici, c’est des Pearl Harbour ou des 11 septembre dans tout le pays ». Je referme le téléphone.

Journal du 6 avril 2020
24ème jour de confinement
« We will meet again ». Nous nous reverrons. Elizabeth II sur les écrans britanniques reprise dans le monde entier. Qu’est-ce que cela veut dire ? Un appel à la patience, à l’unité. C’est aussi le message d’un chef qui sait ses troupes troublées et en attente d’autorité. Quand nous reverrons-nous ? À l’heure où je regarde cette vidéo de la Reine d’Angleterre, j’apprends que leur Premier ministre est hospitalisé. La Monarchie héréditaire au secours du pouvoir populaire issu des urnes. « We will meet again ». Je commence peut-être ma semaine avec un optimisme en berne. Nous nous reverrons, d’accord. Dans ce monde-là, ou dans le suivant ? Ne l’attrape pas, Elisabeth… À New York, le matin ressemble à la veille en pire. La ville se prépare pour un autre monde qui rappelle les sombres heures du monde d’avant. Ce matin la presse titre à nouveau et en très gros caractères : « Pearl Harbor sanitaire ». Les autorités – drôle de mot en cette période – prédisent que beaucoup d’Américains vont vivre la pire semaine de leur vie. Et la semaine d’après ne devrait pas être mieux. Deuil et Misère. Les Noirs Américains sont surreprésentés dans la population contaminée. Colleen m’envoie des infos de Chicago. Colleen qui a ouvert Sixième Son aux États-Unis il y a 8 ans, me parle souvent de sa ville. 70% des décès liés au virus appartiennent à la communauté noire. Pourtant, les Noirs ne représentent pas plus de 30% de la population totale de Chicago. Idem dans beaucoup d’autres villes, dans beaucoup d’autres états. Une nouvelle fracture à venir dans un pays qui n’en manque pas. Aujourd’hui, il n’y a rien de positif à l’horizon. Ou bien c’est moi qui regarde mal.
La réunion de 09h30 débute avec retard, à cause de moi. Un peu de mal à m’extraire des news et de mes pensées. Les questions financières sont vite évacuées. Rien de neuf depuis vendredi si ce n’est les échanges avec les banques. Beaucoup de documents à réunir pour obtenir d’éventuels prêts garantis par l’État. La réunion tourne rapidement autour de l’équipe, de sa santé et de l’impact psychologique de tout cela à l’aube de cette troisième semaine de confinement. Ce matin, je reçois deux messages de l’équipe. Les mots diffèrent mais le sens est le même. « Plus aucun travail à faire. Je fais quoi ? ». La gestion du vide. Le mot prend plus de sens pour certains. Ceux qui avaient du mal à affronter la réalité n’y échappent plus.
Elia, 6 ans, arrive pendant une visioconférence. Elle me tire sur l’oreille pour que je me penche et me fais un baiser. « Bonjour Papa. T’a mis un short aujourd’hui ? ». Elle repart. De l’autre côté de l’écran tout le monde fait comme si c’était normal. Gabrielle, jamais en reste, arrive à son tour. « Papa, tu me mets un chouchou ? ». Je connais son cinéma. Elle veut faire comme Elia et surtout regarder avec qui je discute. Elle ne connaît personne et repart. De l’autre côté de l’écran, l’une des clientes s’exclame « Et le chouchou, alors ? ». Trop de conférences téléphoniques. Trop de visioconférences. Ça sonne de partout. Sandrine Levy-Amon me le disait aussi. En période de confinement, on peut facilement vouloir surcommuniquer, se suroccuper, pour se rassurer, pour ne pas faire face au vide. Je décide de sécher une conférence téléphonique et m’en retourne vers mes guitares. Je laisse courir les doigts. « Purple Rain » à nouveau. Isa arrive. « Tu joues du Goldman, toi, maintenant ? ». Je ne vois pas le rapport. Quoi que. Pas faux en fait. Goldman. Mais lequel ? Tous ! Je me lance dans un mariage à trois : « Puisque tu pars » – « Purple Rain » – « Pas toi ». Je bifurque un peu, puis beaucoup. « So long, Marianne, it’s time that we began to laugh and cry, and laugh and cry about it all again ». De circonstance, Leonard Cohen.

Power of Sound, Power of Brands

Ma conférence en ligne pour les directeurs marketing de Finlande est demain. Les tests techniques faits la semaine passée ont montré que tout marchait, sauf le son. Pas inutile le son quand le thème de votre intervention est « Power of Sound, Power of Brands ». Une petite assistance technique nous trouve une astuce pour éviter le chaos. Je retiens cette phrase de l’organisatrice : « Tout le monde attend cet échange avec impatience. On manque de choses pour nous occuper qui soient à la fois utiles et rafraîchissantes ». Venue de Finlande, cette phrase me fait immédiatement penser à un verre de vodka. Je déraille et m’imagine déguisé en bouteille de Finlandia, la vodka locale faite avec de l’eau pure et glacée des sources finlandaises – c’est marqué sur la bouteille.
Est-ce cette seule pensée qui suffit à me détendre ? J’aborde le brief qui nous arrive de façon très apaisée. Je suis vraiment content d’entendre un patron de marque expliquer pourquoi la période se prête à une vraie réflexion sur la marque et l’expression de son identité. Il m’explique pourquoi il a besoin d’une identité sonore puissante aujourd’hui, bien plus qu’hier. Il parle de cette nécessité de la marque de trouver le ton juste, l’émotion juste. Il s’attend à ce que beaucoup de marques tombent dans le pathos avec facilité mais pas avec bonheur. Combien sont-ils, ces directeurs marketing, directeurs communication, capables de tenir en ces temps de peur, de douleur et de doute un tel discours ? Lui est constructif, offensif dans le bon sens du terme, mais il ne fait pas le malin. Son entreprise va souffrir. « On pourrait souffrir encore plus si notre marque n’est pas prête quand il faudra redémarrer ». Le brief est clair. La vision de la marque aussi. Le doute porte en réalité sur la capacité de la marque à s’engager sur les délais dans ses prises de décision. Bien sûr. La disponibilité des uns et des autres. Une autre affaire. On fait avec.
Ma sœur n’arrive toujours pas à me parler. Je l’appelle. Elle ne répond pas. WhatsApp. Danièle is typing. Encore. « Parler me fatigue. Pourtant la fièvre baisse un peu. J’ai réussi à me lever, à marcher dans l’appartement. Au bout de 5 ou 6 mètres, c’est comme si j’avais couru 30 kilomètres. » Nos parents veulent la voir, l’entendre. Respectivement à 96 et 88 ans, ils m’appellent pour me dire : « On peut faire Skype ou Zoom avec ta sœur ? ». Difficile de ne pas sourire. Et puis non. Ils ne savent pas que Danièle a été testée positive. Ils ne savent pas qu’elle a perdu 8 kilos en 10 jours. Elle n’arrive pas à manger. Pourquoi les inquiéter ? J’espère juste que Danièle sera en état. De quoi ? Je ne sais pas. Peut-être de ne pas les inquiéter.

Journal du 7 avril 2020
25ème jour de confinement
Gabrielle a débarqué à 4h du matin dans notre lit, et visiblement, elle voulait parler. Le hic, c’est que ni Isa ni moi n’en avions vraiment l’intention. Et pour tout dire, ni Isa ni moi n’avons compris dans quelle langue Gabrielle voulait converser. Après s’être glissée doucement entre nous deux, et presque sur le ton de la confidence, Gabrielle commence à nous dire des choses, beaucoup de choses, compréhensibles d’elle seule. Isa et moi nous regardons. Lequel allait se charger de la réveiller ? Gabrielle se redresse et s’assoit dans le lit, tout en continuant à parler sa drôle de langue, mais cette fois le geste en plus. Je tente une chose pour tester son état de conscience. À l’oreille, je lui glisse « Gabrielle, embrasse-moi s’il te plaît ». Elle s’interrompt à peine, tourne la tête vers moi, tend ses lèvres vers ma joue et m’embrasse. Elle pousse un petit soupir de soulagement et reprend son monologue version gloubiboulga. Tout doucement je susurre : « Allonge-toi, tais-toi et dors ». Ce qu’elle fait.

Test de connexion dans 15mn avec Helsinki

Je peine à me lever. Il faut aller vite. Test de connexion dans 15mn avec Helsinki. La conférence en ligne commence bientôt pour Marketing Finland. Le temps de prendre une douche, un café, de mettre une chemise. C’est parti. Oui, il manque un pantalon, des chaussettes, des chaussures. Ce sera pour après. Ah les joies de la technique ! La plateforme finlandaise bloque les sons de ma présentation. Le même problème que la semaine passée, sauf que l’astuce que nos amis finlandais avaient trouvée ne marche pas. On improvise. C’est la première fois ce matin que je présente ce concept de « Emotional Decency », de décence émotionnelle sur lequel je travaille depuis une dizaine de jours. Je fais mon possible pour expliquer les conséquences de la crise, telles que je les entrevois. Je reste prudent, mais les choses changeront en matière d’identité de marque et de communication pour les entreprises. Je pense que jamais dans l’histoire moderne, l’humanité n’a pris une telle mesure de l’essentiel et donc du superflu. Je crois que nous serons nombreux à travers le monde à développer une forte sensibilité, une potentielle extrême susceptibilité qui va rendre certains messages publicitaires, certaines images, certains mots simplement inacceptables. Je crois notamment que bien des marques vont devoir abandonner tout un pan de leur communication. Changer d’habitudes. Fini les ressorts caricaturaux, faux, hypocrites, accessoires, dérisoires. Beaucoup de messages qui glissaient sur nous, parce que sans intérêt, sans personnalité, sans pertinence, vont être perçus comme de vraies agressions. L’émotion, à la condition qu’elle soit juste, légitime, oui, mille fois oui. L’émotion et le partage. Pas la promo ni le pathos gratuit. Et la musique offre des possibilités formidables pour relever ce défi, à condition de savoir-faire. L’ « Emotional decency », c’est pour moi l’émotion légitime et utile proposée en partage par les marques. Il me reste du travail pour approfondir. La conférence se passe bien. Une trentaine de participants. Il y a bien plus que des Finlandais. Des questions arrivent de Suède, d’Ukraine, d’Espagne. Moi aussi j’apprends des choses. Je comprends que la période est propice à la réflexion chez tous. Quelques réflexions sur l’autorité des marques me semblent très justes. Une interrogation sur le patriotisme économique me laisse perplexe. Je vois surtout que personne ne sait à quoi ce nouveau monde ressemblera, ni s’il sera très différent. Personne ne s’attend à ce que rien ne change. À la maison, Isa bat le rappel. C’est l’avant-dernier jour pour terminer le nettoyage de printemps. Je retourne à la cuisine, puisque c’est le terrain de jeu que l’on m’a attribué. En quittant mon bureau, j’entends Théo qui demande à pouvoir ranger le salon en plus de sa chambre. Petit malin. Isa et moi le voyons venir. Il nous prend pour qui ? Depuis le début du confinement, qui dit salon dit télé, qui dit télé dit Xbox, qui dit Xbox dit Fifa. Et donc Théo. Je continue pour ma part l’immersion culturelle dans les provisions familiales. Éponge et gants en main. J’attaque. Et je trouve un truc que je déteste vraiment derrière le miel. Pourtant c’est moi l’avais acheté : du beurre de cacahouète. L’indispensable Peanut Butter sans lequel le petit-déjeuner américain ne serait pas américain. Idem pour leur goûter. Vraiment, je déteste. J’en avais acheté il y a 6 mois quand nous avions des souris à la maison. À Brooklyn, ce n’est pas rare. Notre propriétaire m’avait envoyé une vingtaine de pièges à clapet. Il m’avait recommandé de mettre du Peanut Butter, pas du fromage, en guise d’appât. « Le fromage, ça sèche et la souris peut l’attraper, le tirer sans s’engager sur le piège. » Je sentais, à l’écouter, le vécu du trappeur brooklynien. Je me suis exécuté. Aujourd’hui, je n’en reviens pas. Le Rubicon culinaire a donc été franchi. À ma grande surprise, le pot de Peanut Butter est presque vide. Et je vois mal les souris refermer le pot après s’être servies. Je repose l’éponge. L’enquête débute. Elle sera courte. Tous les enfants raffolent désormais de Peanut Butter. Si je comprends bien, quand ils goûtent chez leurs copains, chacun y va de sa larme de crocodile. « Chez nous, on n’en a pas. » Ils se font passer pour Causette et moi je suis Ténardier. Je suis celui qui refuse du Peanut Butter à ses enfants. Comme une envie de me lever, de tendre le poing et d’entonner La Marseillaise. D’ailleurs, je tends le poing. C’est beau car Isa a compris à la vue de mon bras tendu. « Si tu cherches ton éponge, elle est dans l’évier ».
Ma sœur répond bien tard au message que je lui ai envoyé. J’aimerais tellement qu’elle me dise qu’elle n’a plus de fièvre. Elle se connecte au Zoom familial. Moi aussi. Ça en fait du monde. Mes parents, leurs 3 enfants, leurs 18 petits-enfants et presque autant d’arrière-petits enfants. Tout le monde parle, puis plus personne. Chacun a compris qu’il vaut mieux se faire des signes que d’amplifier la cacophonie. Mes parents sont ravis. Ils s’adressent à chacun de façon méthodique. Surtout n’oublier personne. Ils feraient l’appel, ce ne serait pas si différent. Danièle active sa caméra. Le fait-elle exprès ? Elle est debout devant sa fenêtre de sorte que le contre-jour ne permette pas de la voir autrement que floue. Malgré ça, moi, je vois surtout qu’elle a beaucoup maigri. Elle parle doucement mais ne semble pas essoufflée. Elle ne parle pas longtemps. Les parents ne notent rien.

Journal du 8 avril 2020
26ème jour de confinement
Vraiment. Si quelqu’un s’ennuie, qu’il vienne chez nous. Il est environ deux heures du matin quand tout commence. Un grand bip, dans le hall je crois. Très puissant, comme un début d’alarme. Au début, ça taquine et puis on se rendort. Jusqu’au bip d’après. Ai-je rêvé ? Tout le monde dort. Ça recommence. Il me faut un bon quart d’heure pour me dire que ça ne va pas s’arrêter tout seul. Je me lève. De toute évidence, le système anti-incendie cherche à nous dire quelque chose. Ce n’est pas grand-chose, car le bip est court. C’est quand même important, sinon ça ne sonnerait pas toutes les 60 secondes. Je cherche mon téléphone et tape « Nest incendie bip toutes les minutes ». Je trouve une assistance en ligne. « Le système requiert votre attention. Connectez-vous à votre application ». Je n’ai pas d’application mais j’ai une idée. Le propriétaire de la maison utilise toujours le même nom et mot de passe pour tout ce qui concerne la maison. Pour payer les factures ou se connecter au Wifi. Je tente sur le site de Nest et ça marche. C’est là que j’apprends que les piles de tous les capteurs sont mortes et qu’il faut les remplacer. Dans le manuel, j’aime beaucoup l’une des informations. « Par mesure de sécurité, la notification sonore ne prendra fin que lorsque le problème aura été réglé. » On est donc parti pour une belle nuit. Je pense que le gars qui a pensé à cette notification bruyante toutes les 60 secondes, devait être fasciné par la technique chinoise dite du supplice de la goutte d’eau. Vous êtes allongé et une goutte tombe sur votre front à échéance régulière. Plus l’écart entre les gouttes est grand, plus le supplicié croira que la dernière goutte était vraiment la toute dernière. Plus l’impact psychologique sera fort quand une nouvelle goutte viendra le frapper. Plus vite il deviendra fou ou docile, parce que ça ne va pas s’arrêter. Sophistiqué. Il me faudra 1h45 pour trouver l’échelle, démonter les capteurs des plafonds, trouver des piles, les insérer, remettre les capteurs en place. Il est 4h17 quand la sonnerie prend fin. Je suis un héros, mais personne n’est là pour m’acclamer ni même témoigner de mon exploit. Et demain matin, les enfants ne me croiront pas une seconde si je leur raconte. Cruel. Il est 5h, Isa se lève et me trouve au bureau. « Pourquoi tu ne dors pas ? Il est tôt, viens te recoucher ». Cruel.
Évidemment, la journée prend un goût différent. J’attaque le premier call dans un état un peu second. Je me ressaisis car le sujet en vaut la peine. Dans le contexte actuel, un call sur une campagne publicitaire qui n’est pas annulée ou repoussée, c’est suffisamment rare pour que chacun y mette du cœur à l’ouvrage. Il y une empathie, une tendresse étonnante et pourtant évidente entre des gens qui ne se connaissent pas en réalité. Il y a de la bienveillance. Je fais part de mes idées musicales et propose une idée plus rupturiste pour apporter du piquant à l’une des séquences. Pas d’ego mal placé. Toutes les réactions sont sincères et constructives. Ce serait fou que ce virus pousse certains à laisser leurs egos à la porte pour mieux révéler leur talent et leur humanité. Je ressors de ce call heureux. J’aime mon métier depuis toujours. Ce moment me fait l’aimer encore davantage.
Plus d’Internet. Je suis dans un call et puis plus rien. Théo, Bethsabée, EvaLuna et Elia sont en distant learning avec leurs écoles. Isa et ses parents sont en FaceTime. Notre connexion est aux abois. C’est un signe. La nuit fut courte. Je pars dans la chambre la prolonger un peu. Je m’autorise 20mn. Je vais dormir 3 heures.
J’ai loupé un point financier et j’arrive en retard à un call créatif. Sur Hangout, personne ne me fait remarquer que j’ai les cheveux en pétard. Créatif quoi. Ensuite, je parle à Louise. On se connaît depuis longtemps. Je l’adore. L’intelligence, la vision, la précision, la curiosité et le charme. Ancienne directrice de la communication de l’un des plus grands groupes de luxe au monde. Toujours en mouvement. Toujours un temps d’avance. Louise décide de lancer une start-up dont l’objectif est de mettre à la disposition des entreprises, les meilleurs praticiens de la marque et de la communication dans une optique de transformation. Vous avez besoin d’un directeur de la communication de haute volée pour 3 mois ? Bingo. Louise et Benoit ont appelé leur start-up « Juste, Maison de Talents ». J’adore. « Je suis un peu folle de lancer maintenant, non ? » Non. Ce n’est pas après la crise qu’on aura besoin des talents pour transformer les entreprises. C’est maintenant. Je crois fermement que cette crise n’est pas qu’un facteur de ralentissement. Dans beaucoup de domaines, ce sera un facteur d’accélération et de transformation.

« Le temps est long »

« Le temps est long ». Je l’ai entendu trois fois aujourd’hui. « Rien à faire. Rien ne se passe. » Oh que si, il s’en passe des choses ! Ici, l’hécatombe s’amplifie. La crise sanitaire, la crise économique, la crise sociale et ethnique. Bernie Sanders serait prêt à jeter l’éponge. Joe Biden, 78 ans en novembre, affrontera donc Donald Trump, 74 ans en juin, pour devenir Président des États-Unis. Un tigre du zoo du Bronx, testé positif au virus. Ne manquait plus que ça, les animaux. Ce n’est pas bien ce que je fais. J’avais dit que j’arrêtais de regarder les news. Peux pas.
Mon beau-frère a cherché à me joindre il y a 3 heures. 4 fois. Pas entendu sonner. Il est tard en France. Je rappellerai demain. J’espère que ce n’est rien.

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