19 mai 2014

Temps de lecture : 4 min

L’AFFAIRE KERVIEL : illisible innocent ? Médiatique coupable ? Victime incomprise ?

A trop vouloir mettre en scène l'innocence de Jérôme Kerviel, ses communicants l'ont transformé en un parfait manipulateur aux yeux de la presse et en un parfait coupable aux yeux de l'opinion. Du syndrome de l'innocent-condamné à l'effet paradoxal de la crise médiatique.

Ses spindoctors ont réussi à mobiliser les médias, c’est vrai. Mais ils n’auront pas pour autant réussi à faire l’essentiel : faire adopter par les médias un « spin » favorable à Jérôme Kerviel. Jamais, ils ne réussiront à faire des médias un bouclier utile pour l’image ou la réputation de Jérôme Kerviel. Pire, ils perdront en un week-end une partie de l’opinion publique qui leur était acquise par l’overdose médiatique qu’ils lui ont imposé. Lui qui pendant toute la phase judiciaire a affirmé qu’il accepterait sa peine est venu expliquer à l’opinion qu’il n’est plus sûr de vouloir répondre à la convocation de la police. Lui qui pendant toute la phase de sa « marche » a expliqué vouloir retrouver les valeurs de son enfance, a publiquement tenté de mettre en place un chantage public au Chef de l’Etat…

Du mauvais effet des spindoctors

Jérôme Kerviel est le symbole d’une communication inefficace parce que dévoyée. Elle n’aura cessé de lui faire jouer des rôles au lieu de faire sens. Coupable naïf, innocent incompris, victime expiatoire puis repenti croyant, jamais ses communicants ne se fixeront sur une posture. Sans doute parce que jamais ils n’en trouveront une efficace. Ils finiront par médiatiser cet homme en oubliant leur rôle essentiel : influencer les médias.

L’affaire démontre bien que pour ses communicants, communiquer c’était bien évidemment diffuser de l’information pour construire la posture de Jérôme Kerviel. Mais en le poussant à dire aux Français ce qu’il convient d’adorer et ce qu’il convient d’abhorrer, ils ont commis une faute en ne réfléchissant plus à la légitimité qui était la sienne pour ce faire. Pourtant, ses communicants savaient que communiquer, c’est scénariser et théâtraliser des informations et ils ont eu raison. Sauf qu’en saturant la communication autour de cette affaire tout en faisant évoluer les revendications de Jérôme Kerviel et sans objectif clairement fixé, ils ne lui ont pas permis d’être lisible et donc crédible aux yeux de l’opinion publique.

Pour être efficace dans une communication de crise sous contrainte judiciaire, il fallait adopter un positionnement identifié comme dans un théâtre où le public doit rapidement comprendre quel est le rôle de chacun des acteurs de la pièce. Ce ne fut pas le cas en l’espèce. Une stratégie de communication de crise est nécessairement régie par des règles précises. Les communicants de Jérôme Kerviel les ont simplement toutes dévoyées. Elles sont pourtant de bon sens. L’une d’elles consiste à ne pas ni sur théâtraliser ni mépriser les événements qui surviennent. Les communicants de Jérôme Kerviel ont fait les deux que ce soit à l’égard de la marche, de la décision de justice ou de la convocation de police.

Une affaire médiatique reflet de notre époque

L’affaire Kerviel est désormais un « anti manuel » de l’art de la communication de crise. Elle est aussi un tableau saisissant de notre époque. Notre environnement médiatique est en effet à l’affût de la plus petite des aspérités de chacun d’entre nous. Les exigences de l’opinion publique sont de plus en plus strictes. L’indifférence et l’arrogance ne sont plus acceptables. C’est pour ne pas l’avoir mesuré que l’innocence médiatique de Jérôme Kerviel a fini par disparaître derrière une stratégie de communication improvisée et sur jouée faisant naitre une crise médiatique que ses communicants ne cesseront d’alimenter sans jamais tenter de prendre le recul qui s’impose sur le temps médiatique afin d’en reprendre le contrôle. Ces derniers jours, Jérôme Kerviel a fini par voir son innocence médiatique compromise.

Les communicants de Jérôme Kerviel auraient pourtant dû immédiatement comprendre que leur mise en scène recelait potentiellement en elle tous les germes d’une crise grave au détriment des intérêts de leur client. Cela ne les a pas empêché de le pousser à interpeller le Président de la République, ne tirant aucune leçon de ce qu’il sera désormais convenu d’appeler le syndrome Léonarda, affaire dont on sait qu’elle a particulièrement échaudé le Président François Hollande. Comment n’en avoir tiré aucune leçon? Le refus d’admettre la décision judiciaire devenue définitive comme cette interpellation du Président de la République le fait apparaître arrogant… l’un des traits de l’attitude du parfait coupable. L’enchaînement de ses demandes, l’instabilité de ses revendications, le manque de transparence sur ses objectifs ont transformé une marche de pèlerinage médiatisable de façon intéressante en une crise aux impacts non maîtrisés et aux coups de communication dont la ficelle est trop grosse pour être suffisamment efficace. Rien de tout cela n’est apparu suffisamment naturel pour impacter positivement l’opinion.

Plus rien sous contrôle : ni image ni message

La réalité est que Jérôme Kerviel a été victime du syndrome de l’innocent-condamné. Son problème est qu’aujourd’hui, cette communication non maitrisée lui a fait non seulement perdre son procès devant les tribunaux (la Société Générale a eu juridiquement raison), mais lui a fait perdre son image (Jérôme Kerviel a médiatiquement tort), parce que le mépris affiché et assumé à l’égard des principes de la communication de crise aboutissent souvent à une catastrophe. A trop jouer la communication, Jérôme Kerviel est apparu provocateur. A trop jouer, ses spin doctors l’ont rendu inaudible. A trop mettre en scène son rôle de repenti, il n’a pas réussi à l’endosser. Il paye désormais au prix fort son mépris du respect des codes d’une stratégie de communication de crise. L’accumulation d’erreurs qui ont pu apparaître isolées ont fragilisé l’édifice tout entier de sa riposte médiatique. Elles ont pénalisé finalement l’ensemble d’une stratégie qui a toujours peiné à le faire apparaître victime. C’est en voulant redorer son blason que ses communicants se sont dévoyés.

Le problème de Jérôme Kerviel est sans doute simple : il ne maitrise plus rien. Ses communicants non plus manifestement. Ni image ni messages. Et quand il s’agit de la liberté d’un homme, c’est particulièrement regrettable.

La prison : nouvelle étape, nouvelle (bonne) histoire ?

Jérôme Kerviel est devenu un innocent-condamné tyran médiatique incompris, qu’il prenne garde à ne pas devenir aux yeux de l’opinion publique un condamné-coupable politisé qui lasse. Une nouvelle étape s’ouvre. Depuis sa prison, ses communicants ont entre les mains le début d’une nouvelle histoire qu’il reste à écrire. Celle d’une réhabilitation d’un homme qui a fait sa peine et payer sa dette à la société. Ses communicants peuvent évidemment désormais miser sur la notoriété ainsi maladroitement acquise par Jérôme Kerviel, prisonnier Français le plus célèbre du monde, pour entamer une nouvelle riposte médiatique. Espérons pour lui, qu’elle soit enfin la bonne.

Florian Silnicki, @floriansilnicki
Expert en communication de crise

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