ILLUSTRATIONS
d’arthur poitevin
LES FAUSSES ROUTES DE LA DISTRIBUTION

Par
Jean-Louis Rossignon
LES DISTRIBUTEURS ONT-ILS BIEN LA TÊTE SUR LES ÉPAULES LORSQU’ILS PROMETTENT DES PRODUITS À FOISON ? CAR, DE LEUR CÔTÉ, LES CLIENTS ONT LA TÊTE QUI TOURNE ! N’EST-IL PAS TEMPS DE RÉTABLIR LA VÉRITABLE NATURE DU SHOPPER (C’EST UN HOMME COMME LES AUTRES) ET COMPRENDRE CE QUE CELA IMPLIQUE CONCRÈTEMENT SUR LE TERRAIN DE LA CONSOMMATION ?






























LES ACTUELS FORMATS DE MAGASIN RÉPONDENT PEU AUX NORMES D’ORGANISATION ET DE MÉCANISME DE LA VISION ET DU CERVEAU











































































































CE SERA AVEC LES SERVICES, ET SURTOUT AVEC LA RELATION QU’ELLES SAURONT TISSER AVEC LE SHOPPER, QUE LES ENSEIGNES DE DISTRIBUTION VONT GAGNER DES PARTS DE MARCHÉ


Aujourd’hui, la vie d’un shopper est difficile : c’est un « animal » qui, il y a soixante ans, vivait paisiblement dans sa « clairière » de petites boutiques sympathiques et qui, aujourd’hui, se lève avec la migraine rien qu’en imaginant qu’il doit aller faire ses courses dans des méga-structures environnementales sans appétence émotionnelle, ni encore moins affective… Alors, comme tout animal confronté à des « difficultés », il se révolte. Et c’est là que réside le grand problème ignoré de la grande distribution : le client est avant tout un être physique, physiologique et psychologique, qui a des règles de fonctionnement inconscientes à respecter ! Un « individu » avant d’être un client !


LA DÉMESURE À L’ENCONTRE DU CONFORT

D’un point de vue physiologique, plusieurs facteurs influencent profondément le « confort » des individus. En 1931, quand le premier Prisunic, sis rue Caumartin à Paris, ouvre ses portes sur quelques centaines de mètres carrés, son nombre restreint de références reste accessible au « fonctionnement » des individus-clients. Aujourd’hui, un hypermarché de 15 000 m2 peut compter 60 000 références ! Ces actuels formats de magasin répondent peu aux normes d’organisation et de mécanisme de la vision et du cerveau des individus : ce sont souvent des bâtiments de type industriel, très hauts de plafonds quadrillés de lignes de néons à n’en plus finir, et plus encore investis d’une résonance sonore assez… importante.

Cette multiplication fréquentielle sonore – autrement dit la résonance – est un phénomène acoustique qui a de fortes répercussions sur la fréquentation d’un espace : elle fait tout simplement « fuir » l’individu, car elle crée un désagrément physique et physiologique qui engendre des « états » de peur, voire de panique dans certains cas.

Le phénomène de proxémie est une autre manifestation environnementale qui trouble le fonctionnement physiologique. Il s’agit en fait d’une réaction inconsciente que chacun d’entre nous développe lorsqu’il circule dans un espace public (le magasin en est un) : une certaine distance est indispensable entre chaque individu pour que les « corps » physique et psychologique se sentent « à l’aise », faute de quoi ils envoient un signal au cerveau qui programme la « fuite au plus vite » dudit lieu quand il y a trop d’affluence.

Si l’on observe les comportements dans un immense magasin d’un géant de la distribution dont l’allée centrale de circulation est semée de « bacs » de marchandises, on constate que la très grande majorité des clients longent ces « bacs » sans les voir, sans y jeter un seul coup d’œil ! Ils sont en fait absorbés par le fait de ne pas accrocher avec leur caddie les autres personnes allant en sens inverse. Ils (les dames en particulier) détestent se sentir « frôlés », et si cette gêne persiste, quittent l’allée sans même s’en rendre compte, tout simplement parce que l’organisme n’y est pas « rassuré ».


L’ASPIRATION À UN COCON SENSORIEL

Au-delà de ce « malaise » physiologique, l’individu a besoin de se sentir « bien » pour acheter, et pour cela, il faut que l’environnement général réponde avec un minimum de critères sensoriels. Assuré de ce minimum, l’organisme peut envoyer un message cérébral inconscient : « C’est bien cet endroit, on s’y sent bien, tu peux rester ! » Le magasin de déco Zôdio l’a bien compris. Voilà une enseigne qui a décidé de « sacrifier » les premiers mètres de son magasin, où… ne rien vendre, juste « se montrer », immerger le client dans un cocon sensoriel plus ou moins hermétique pour lui donner envie de « découvrir » et l’inciter à se découvrir des envies d’achat imprévues, car le magasin est « comme chez lui ». Ces ambiances « comme chez soi » provoquent la sécrétion de neurotransmetteurs (dopamine, noradrénaline, sérotonine) qui sont des composants chimiques alimentant une « chaîne » comportementale que nous connaissons bien : l’onirisme, l’hédonisme et le narcissisme. Et si un magasin parvient à reconstituer un « moment de vie » (préférons cette expression au terme « expérience »), il démontre que c’est « chez lui » que l’individu peut vivre un moment qui s’adresse à ces trois facteurs comportementaux fondamentaux, qui dirigent en fait toutes ses « actions ».

Ainsi, une autre raison du « mécontentement » de notre organisme physiologique est que les magasins aujourd’hui proposent profusion de produits ! Or, que se passe-t-il lorsqu’un client se trouve devant des montagnes de produits ? D’abord, sa vision – et sa vision périphérique en particulier qui « alerte » la vision fovéale d’un sujet visuel « intéressant » – démissionne, car elle ne capte pas suffisamment de « masses » visuelles consistantes pour les analyser : il y a – pour elle – trop « d’images » fragmentées pour qu’elle parvienne à focaliser visuellement sur toutes les offres.

Ensuite, c’est la mémoire sensorielle qui a besoin de recevoir des différents sens des stimuli (vue, ouïe, toucher, goût, odorat) suffisamment « puissants » pour transmettre cette « information » à la mémoire à court terme qui va l’analyser. Et si celle-ci estime que les stimuli correspondent à ce que la mémoire épisodique (la mémoire qui stocke et gère l’émotionnel et l’affectif) cherche, elle les lui envoie pour les « ressentir ». Si cette partie de la mémoire à long terme est « impressionnée », elle va reconstituer des « souvenirs » positifs et donner un ordre à l’individu d’acheter.

Mais voilà, la mémoire à court terme a une capacité d’analyse limitée : entre quatre et sept stimuli par champ visuel qu’elle ne garde « en mémoire » que deux secondes tout en plus ! Et vu le nombre de stimuli inconsistants par mètre carré dans un magasin, elle « démissionne » elle aussi et envoie un message à la mémoire épisodique disant : « Là, je suis trop “fatiguée”, je suis “assommée” de stimuli que je ne parviens pas à analyser, car ils sont trop nombreux et peu consistants. Donc je ne t’envoie pas de stimuli ! » Raison d’un zapping assez élevé des offres en grande distribution. Ce n’est pas un hasard si apparaissent aujourd’hui dans les hypermarchés des « sous-concepts » qui sont comme des boutiques à l’intérieur de la boutique, et qui sont plus proches des sensibilités cérébrales et mémoratives des « individus-clients » ; ces « boutiques » sont plus émotionnelles dans un soi-disant contexte d’authenticité.


UN DIALOGUE DE SOURDS

Autre sujet pour lequel l’individu et ses fonctionnements physiologique et psychologique sont contrariés : le client a du mal les jours d’affluence à trouver un vendeur pour l’aider à choisir un produit suivant ses besoins. Ce ne serait pas si grave si les informations produits étaient « accessibles » et compréhensibles… Un exemple concret pioché dans le domaine de l’électroménager : sauriez-vous dire quelle est la différence entre un micro-ondes de 1 200 watts et un autre de 1 800 watts ? Nous, non, et vous non plus probablement. C’est là que le bât blesse : les distributeurs ne réfléchissent pas « client », mais « produit » ! Parce qu’ils vendent des « watts » et pas le bénéfice « client », qui pourrait être dans notre cas qu’un four de 1 200 watts dégèle une pièce de viande en 12 minutes quand celui de 1 800 watts le fera en 7 minutes.

Ce dialogue de sourds entre consommateurs et distributeurs s’avère bel et bien dans la réaction psychologique et sociétale négative des premiers vis-à-vis des seconds. Écoutons pour s’en convaincre le cri quotidien de l’individu-client depuis quinze ans : « Cher distributeur, cela fait plus d’un demi-siècle que tu empiles produits sur produits, que tu barres les prix d’une semaine sur l’autre, que tu organises une Foire aux Vins et une Semaine du Blanc coup sur coup… Maintenant, tu vas mettre provisoirement sur le côté toutes tes offres et me “regarder” dans les yeux pour me dire ce que tu peux FAIRE POUR MOI avant de me vendre quoi que ce soit ! Capito ? » Cette revendication a pris une ampleur particulière ces cinq dernières années. Car, aujourd’hui plus que jamais, l’individu a besoin qu’on s’occupe de lui. Il « dit » à la distribution : « Ma vie quotidienne est difficile, fais mon plaisir quotidien ! »


DES SERVICES « NON NÉGOCIABLES »

Ce ne sera donc plus sur le champ de bataille dévasté des prix que les enseignes vont créer de la « plus-value » pour le client. Ni sur celui des produits d’ailleurs ; un mauvais produit disparaît très rapidement, d’où découle une uniformité lissée des offres. Ce sera avec les services, et surtout avec la relation qu’elles sauront tisser avec le shopper, que les enseignes de distribution vont gagner des parts de marché. Certes, et sur ce point Internet est une chance inespérée pour les magasins physiques, si les services sont élaborés sur le Net, ils ne seront certainement pas aussi pointus que ceux délivrés par un conseiller en magasin et que les clients ne peuvent pas toujours (re)trouver sur la Toile.

Mais attention, pas n’importe quel service : un distributeur récemment interrogé sur ce que – à son avis – sont ses avantages concurrentiels, a à notre étonnement apporté cette réponse : « Nos prix, nos promotions, notre service de financement et notre service livraison. » Voilà de nouveau quelque chose qui échappe à la distribution : ces pseudo-avantages sont en fait dans la psychologie de l’individu des « acquis non négociables ». Un client ne va pas fréquenter un magasin dit de grande distribution si celui-ci n’offre pas d’office les meilleurs prix, n’a pas des promotions ou ne propose pas au moins des services de financement ou de livraison. Pour terminer, cette anecdote amusante, et éclairante : en 1954, en Belgique, ouvrait le premier supermarché Delhaize ; les premiers clients entraient dans ce « self-service » et attendaient que l’on vienne les servir… Eh bien, on pourrait y revenir !

Le parcours actuel du shopper en magasin est encore loin d’être un long fleuve tranquille ! Mais ne nous méprenons pas, il n’est pas question de prôner le retour au « tout-épicerie-de-quartier », il est temps tout simplement que la grande distribution pense d’abord et avant tout « client » en apprenant comment un client fonctionne, consciemment… et surtout inconsciemment ! Cela s’apprend facilement ; des règles basiques en neurosciences peuvent fournir aux enseignes les outils pour évaluer ce qui va fonctionner, ou pas, en termes d’organisation, d’aménagement, etc. Ce qui sera beaucoup plus difficile, c’est le « changement de culture » dont ont besoin les entreprises du secteur de la distribution, et qui passera par la prise de conscience du ras-le-bol du shopper, envahi, submergé, noyé qu’il est sous des promotions et des magasins sans inspiration aucune, car, in fine, ce n’est pas ça qui fait tourner la boutique ! C’est une importante erreur de jugement qui se révèle de jour en jour...
JEAN-LOUIS ROSSIGNON
Il est éthologue et a fondé LABretail, un des rares bureaux européens composés de neuroscientifiques issus des sciences neurocognitives qui analyse le comportement des clients in vivo et in situ en magasin.



Vu le nombre de stimuli inconsistants par mètre carré, la mémoire courte démissionne et envoie un message à la mémoire épisodique disant : « Là, je suis trop “fatiguée” »
Illustrations d’Arthur Poitevin

























































































































LES DISTRIBUTEURS NE RÉFLÉCHISSENT PAS CLIENT, MAIS PRODUIT ! ILS VENDENT DES WATTS ET PAS LE BÉNÉFICE CLIENT !





















































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