Élisabeth Laville : « dire aujourd'hui que les citoyens ne se soucient pas de consommer responsable est une vue de l'esprit »
Propos recueillis par
Cristina Alonso
© DR
Diplômée de HEC en 1988, Élisabeth Laville s’essaye au planning stratégique avant de lancer le cabinet de conseil Utopies en 1993. Passionnée, entre autres, par les questions d’éducation, d’alimentation durable, d’entrepreneuriat social, d’innovation durable et consommation responsable, à la croisée de ces sujets, elle fonde en 2004 Graines de Changement [...]
 
Diplômée de HEC en 1988, Élisabeth Laville s’essaye au planning stratégique avant de lancer le cabinet de conseil Utopies en 1993. Passionnée, entre autres, par les questions d’éducation, d’alimentation durable, d’entrepreneuriat social, d’innovation durable et consommation responsable, à la croisée de ces sujets, elle fonde en 2004 Graines de Changement – un laboratoire de projets innovants à l’origine de Campus Responsables (le premier réseau de grandes écoles et universités engagées sur le développement durable en France) et de Mes Courses pour la Planète (l’observatoire de la consommation responsable).

Prix Veuve Clicquot de la Femme d’Affaires de l’année et décorée Chevalier de la Légion d’Honneur en 2008, elle est l’auteure du best-seller « L’Entreprise verte »* et à l’origine du rapport « Pour une consommation durable » remis au ministère de l’Écologie en 2011.

Fan de sports de glisse, elle se déplace en longboard dans Paris et avoue pratiquer le surf… Ce qui l’inspire pour évoquer « les vagues » que les acteurs de l’industrie prennent, ou pas, afin d’être responsables. Pour son client Danone, Utopies a conçu un voyage d’études autour des « Sustainable Brands », et pour Botanic, restructuré l’offre pour en faire un leader des produits maison et jardin naturels et écologiques. Élisabeth Laville commet aussi « Go for Good » pour Les Galeries Lafayette, une action destinée à promouvoir la présence des marques responsables au sein de cette grande place de tendances.

*L’entreprise verte : le développement durable change l’entreprise pour changer le monde, éditions Village mondial, 2002.



IÑfluencia Développement du­ra­ble a souvent rimé avec vœu pieu. Quel est votre sentiment, seulement des paroles ou enfin des actes ?

Élisabeth Laville Le développement durable est un changement culturel qui doit se faire au sein de la culture dominante. Cela fait vingt-cinq ans que nous faisons un travail de fond auprès des entreprises pour faire évoluer les pratiques à impact positif au sein de celles-ci, et travaillons à convaincre leurs dirigeants de l’importance d’en être. Ce premier grand chapitre est, je crois, enfin clos. Maintenant, nous sommes à un point de bascule des consciences. La norme sociale a changé, il n’est plus question de dire le développement durable ça ne m’intéresse pas, on ne fait rien. Le discours est là. Alors, certains diront qu’il est de bon ton d’affirmer que l’on intègre cette notion au sein de l’entreprise et de sa stratégie, mais il n’y a pas que des paroles en l’air… il y a des actes. En revanche, les pratiques ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.

Tout le monde n’est pas Air France, qui a annoncé qu’à partir de janvier les vols intérieurs seraient neutres en carbone.



Prêcher la bonne parole pendant vingt-cinq ans pour constater aujourd’hui que certains acteurs sont à peine convaincus de la nécessité de bouger, n’est-ce pas un peu frustrant ?

ÉL Non, c’est très long de changer les consciences, c’est un travail d’évangélisation. Chacun agit à sa manière. Il faut mettre en mots, en récit cette évolution culturelle qui est désormais présente partout. Certains le font avant de s’atteler à la tâche, d’autres pendant ou après avoir commencé à se transformer. Mais une chose est sûre, les entreprises sont conscientes de leur devoir d’agir. Maintenant, tout le monde n’est pas Air France, qui a annoncé qu’à partir de janvier les vols intérieurs seraient neutres en carbone, ou KLM, qui insiste sur le fait qu’il vaut mieux prendre le train sur les trajets intérieurs… Il va falloir faire plus, mieux, plus radical et pas uniquement à horizon 2050. Les objectifs de l’accord de Paris [accord sur le climat approuvé lors de la COP21 par l’ensemble des 195 délégations le 12/12/2015 et entré en vigueur le 4/11/2016, ndlr] prévoient de réduire l’empreinte carbone de 80 % par individu, de la faire passer de 11 tonnes équivalents en CO2 à 2 tonnes… On n’y est pas du tout. Si les citoyens à leur échelle peuvent agir sur 20 %, le reste, les 60 % des réductions de l’empreinte carbone qu’il faut atteindre, viendra des gouvernements, des entreprises et des marques.


Quel est l’acteur le mieux placé pour évangéliser la population ?

ÉL Tous les acteurs culturels. Ceux qui déterminent nos mentalités. La famille, l’école, les religions – si toutefois elles ont encore une influence –, les sociétés comme les nôtres. Le problème est immense, il s’agit de former tout le monde dès maintenant, alors que les consciences ne sont pas de même niveau partout et dans tous les secteurs d’activité. Ceux qui sont à la tête d’une entreprise, les salariés, les enfants… J’ai fait une interview croisée avec quatre chercheurs pour la revue de Nature & Découvertes Canopée sur les villes durables, tous ont évoqué sans se concerter l’école comme meilleur véhicule de l’évolution. Mais, pour cela, il faut que les enseignants soient aussi formés. C’est une chaîne entière qu’il faut éduquer en parallèle pour qu’apparaisse une vraie cohérence dans les actes de chacun. Si on ne change pas les citadins de demain, on ne changera rien. Les vingt-cinq prochaines années seront l’ère des fab labs, des makers, c’est-à-dire des traductions des paroles en actes. Il faut changer le discours collectif, assez vite et plus radicalement passer aux actes significatifs.

Les vingt-cinq prochaines années seront l’ère des fab labs, des makers, c’est-à-dire des traductions des paroles en actes.



Sentez-vous plus d’implication de la part de vos interlocuteurs ?

ÉL Je vais prendre un exem­ple très visuel : le surf, que je pratique très mal mais suffisamment tout de même pour faire une métaphore. J’ai l’impression que cela fait vingt-cinq ans que les vagues déferlent. Il y a ceux qui prennent une vague, ceux qui attendent la suivante, ceux qui s’y fracassent. Mais chaque nouvelle vague entraîne plus de monde vers le rivage. Il suffit pour cela d’observer le monde de la mode. Certains ont pris la vague il y a longtemps, l’Ethical Fashion Show créé par Isabelle Quéhé en 2004, le salon de la mode éthique lancé en 2007, la marque Veja imaginée en 2004 par François-Ghislain Morillion et Sébastien Kopp.

D’autres la prennent maintenant. De grands acteurs s’engagent : la Fashion Week de Londres en refusant tout vêtement fabriqué avec de la fourrure, le Fashion Pact sur lequel s’est engagé François-Henri Pinault – commandité en avril 2019 par Emmanuel Macron à l’occasion du Fashion Summit de Copenhague. Ce sont des avancées importantes, même si c’est de la fast-fashion que doivent venir les grandes mutations et changements de consommation.


Si la fast-fashion sent son business menacé, elle sera dans l’obligation de changer son modèle…

ÉL Non, pas forcément. Les entreprises ne sont pas forcément conscientes de ce risque. Même si nous avons des signaux faibles dans la mode. Le nouveau patron des H&M USA a déclaré souhaiter sortir du jeu des promotions et des prix les plus bas. Il a été nommé pour ce qu’il pense a priori, ce en quoi il croit, donc cette nomination est un signal pour tout un secteur. Nous observons dans les études consommateurs que les femmes en ont assez qu’on ne leur parle que des prix les plus bas, qu’il n’y ait pas d’autre discours plus constructif, plus de valeur ajoutée.

Il y a ceux qui prennent une vague, ceux qui attendent la suivante, ceux qui s’y fracassent. Mais chaque nouvelle vague entraîne plus de monde vers le rivage du développement durable.



Quelle industrie est selon vous la plus à même de bouger ?

ÉL Cela ne m’intéresse pas de réfléchir en fonction des industries. Chez Utopies, on raisonne depuis toujours sur la part d’influence, pas sur la part de marché. Ce qui nous meut c’est de faire basculer un secteur grâce à nos réflexions. Nous avons imaginé, créé, monté l’opération Go for Good pour les Galeries Lafayette à partir d’un travail sur la stratégie RSE. Au sein de l’entreprise, personne n’était persuadé qu’il fallait faire un travail sur l’offre durable… Le discours marketing consiste souvent à dire que si on ne nous demande pas tel ou tel produit, c’est que l’on n’en a pas besoin. Or, dire aujourd’hui que les citoyens ou les consommateurs ne se soucient pas de consommer responsable est une vue de l’esprit. Il suffit de mettre en place une offre, et de le faire savoir, pour comprendre que le développement durable parle à chacun d’entre nous. Ce qui s’est révélé exact avec Go for Food. Cette action destinée à promouvoir les marques éthiques fonctionne. Désormais, le distributeur qui communique sur cette opération, annuelle, influence l’ensemble du secteur de la mode. La prochaine étape étant de s’engager à mettre en rayons d’ici à 2024 un quart de l’offre labellisée Go for Good.


C’est un peu l’Act for Food de la mode que vous avez mis en place en fait…

Élisabeth Laville Non, il n’y a pas d’engagement de la part de Carrefour de transformer le quart de son offre. Mais peu importe, cela va dans le bon sens. Reste que l’enseigne ne fait rien pour les vêtements, les détergents, les fournitures scolaires… Moi, ce qui m’intéresse, c’est de voir progresser les pourcentages : Philips s’est engagé en 2010 à produire tous ses produits 100 % durables en 2020. Emmanuel Faber, chez Danone, fait un travail remarquable. Le programme sur le climat des Nations Unies c’est Act Now, agir maintenant. Expliquer aux consommateurs, aux journalistes qu’on essaye de mettre moins de plastique, moins de sel… c’est bien, mais ces derniers se demandent pourquoi on ne l’a pas fait avant. Donc, si je veux avoir le plus d’impact possible, je dois me concentrer sur les industries qui sont à la rue. Parmi les secteurs les plus polluants, il y a la construction. Si on fait évoluer les leaders mondiaux du bâtiment que sont les Français Bouygues et Vinci – qui produisent chacun 40 % des déchets, 40 % d’émissions de CO2 –, on devient sérieusement influents et exemplaires aux yeux du monde. En ce qui concerne le luxe, l’enjeu est similaire. La France est le pays du luxe : plus les décisions prises par les grands groupes que sont Kering, LVMH, Chanel ou d’autres sont exemplaires en matière de développement durable, meilleur sera l’avenir de la planète, car leur rayonnement fera des émules.
Cristina Alonso
Rédactrice en chef
 
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