Olivier Nakache & Éric Toledano : « La fiction facilite un partage que le documentaire n'offre pas forcément »
Propos recueillis par
Cristina Alonso
©Arno Lam/Charlette Studio
« Invisibles », « Polisse », « Pupille »… nous emmènent chaque fois plus du côté du doc-comédie. Le film « Hors Normes » d’Olivier Nakache et Éric Toledano en est la meilleure et plus récente preuve. Et si, dans les prochaines années, le cinéma devenait plus efficace que le documentaire pour traiter des sujets qui font mal ?
 
« Invisibles », « Polisse », « Pupille »… nous emmènent chaque fois plus du côté du doc-comédie. Le film « Hors Normes » d’Olivier Nakache et Éric Toledano en est la meilleure et plus récente preuve. Et si, dans les prochaines années, le cinéma devenait plus efficace que le documentaire pour traiter des sujets qui font mal ?

Leurs regards vous transpercent et leurs paroles étonnent par leur sincérité toujours escortée d’une dose d’humour qui n’appartient qu’à eux. « Nakache et Toledano » c’est un peu comme une marque, un label de qualité, l’assurance que vous ne serez jamais floué et ressortirez de leurs histoires plus riche, heureux, intelligent et peut-être plus bienveillant. Les sept films qu’ils réalisent ensemble ont tous en commun l’humour, la tendresse, l’humanité, au rythme parfait d’un montage maîtrisé qui vous prend et ne vous lâche plus. « Nos jours heureux » est devenu un film doudou qu’on se refile sous le manteau en cas de blues aigu, et « Intouchables », LE feel good movie sans complaisance qui vous colle à votre siège comme à celui du tétraplégique dont il est question. Puis il y eut le film social « Samba » – une histoire d’amour entre un travailleur sans papiers (Omar Sy) et une cadre (Charlotte Gainsbourg) en burn out –, qui vous envoie direct au sein d’un centre de réinsertion pour les paumés de la vie que nous sommes un jour ou l’autre, et « Le Sens de la fête », un morceau d’anthologie sur les rapports humains et la critique nostalgique aussi d’un monde dont les photographes disparaissent du décor au profit d’iPhone qui mitraillent sans penser les images. Et puis c’est « Hors Normes », qui nous cloue au velours du fauteuil parce que là c’est fini.

Maintenant ils sont grands, ont une sacrée bouteille et une responsabilité dont ils n’avaient pas conscience par le passé, celle de faire un long-métrage pour évoquer sans aucune complaisance la problématique de l’autisme en France, de l’exclusion plus largement et de la force qui existe chez certains humains qui se battent chaque jour et pour toujours afin de sauver l’autre.

Alors, pour « INfluencia », le tandem va s’adonner à un exercice qui les laisse un peu pantois. Nous livrer leur âme de missionnaires sur un plateau, celle de deux garçons humanistes qui comptent bien utiliser dans le futur leur cinéma pour informer sans plomber son monde, tout en faisant bouger les lignes, s’il vous plaît.



IÑfluencia Votre dernier film Hors Normes est quasiment un documentaire porté par la comédie. Est-ce un parti pris de votre part ?

Olivier Nakache & Éric Toledano Nous creusons ce sillon depuis notre premier film, Nos jours heureux. La comédie permet, comme dans tous nos films, de rendre compte du chaos de la vie, tout en parvenant à en rire. C’est une tristesse déguisée. La fameuse politesse du désespoir. Aujourd’hui, nous avons une parole à porter, une audience [Intouchables a touché 19 millions de spectateurs en France, 51 millions dans le monde entier, Le Sens de la fête en a emporté 3 millions, ndlr], et la conviction que soit nous rentrons dans le rayon bien-être personnel, épanouissement total, soit nous jouons un rôle réel dans une société qui glisse dangereusement vers « l’ego-trip ». Le futur ne nous promet rien de merveilleux. La société est en panne. Alors nous nous sommes attelés à réaliser ce film dont nous avions peur.

Soit nous rentrons dans le rayon bien-être personnel, soit nous jouons un rôle réel dans une société qui glisse dangereusement vers « l’ego-trip ».



Peur ? C’est-à-dire…

ON & ÉT Il faut avoir peur pour aborder un sujet tel que celui de Hors Normes. Par le passé, nous étions tétanisés à l’idée de ne pas entendre rire dans les salles de cinéma, c’était comme un défi. Aujourd’hui, nous sommes touchés par le silence que provoque Hors Normes. Le sujet est grave, nous devions le traiter avec justesse, honnêteté et véracité. Il est clair que ce film donne une vision brutale de notre société, mais ce modèle fonctionne [l’histoire du film s’inspire du combat de Stéphane Benhamou et Daoud Tatou, dirigeants respectifs de structures hors normes : Le silence des Justes et Le Relais Ile-de-France, ndlr]. Ses encadrants sont de toutes religions et obédiences, Bruno est juif pratiquant et évolue au milieu des femmes voilées, Malik, le musulman, mange cacher dans la cantine tenue par les Loubavitch juifs, et tous sont unis pour les mêmes raisons : s’occuper de jeunes autistes abandonnés par tous. Les deux personnalités incarnées par Vincent Cassel et Reda Kateb travaillent encore aujourd’hui à Saint-Denis, et comme dans le film, lorsqu’ils sont l’objet d’un contrôle parce que l’association n’a ni les autorisations ni les qualifications pour mener à bien sa mission, ils finissent par dire : « Allez-y, prenez-les, occupez-vous en, trouvez-leur du travail, logez-les, nourrissez-les… » Car ces jeunes immigrés qui sont formés par Stéphane et Daoud, pour prendre des coups, faire face aux réactions totalement imprévisibles de la part des autistes, parviennent eux aussi à trouver une place dans la société grâce à cette association. Ils deviennent des référents là où ils étaient en marge de la société. Vous vous imaginez ce que cela signifie pour eux de devenir les référents d’autres êtres humains ? Eh bien c’est en montrant dans ce film cette réalité-là que nous participons à un futur meilleur.


Comment avez-vous fait pour parvenir à ce subtil équilibre entre le documentaire et la fiction ?

ON & ÉT Comme le disait Picasso, « l’art est un mensonge qui dit la vérité ». On a donc dégagé plusieurs vérités [les associations, la Ville de Saint-Denis, les boss des associations, la réalité de leur travail et celle des autistes, ndlr] pour réaliser ce film que la comédie permet d’aérer, par moments. La plongée dans le quotidien est radicale, et grâce à la comédie – les failles de chacun des personnages –, on atteint le cœur des gens plus facilement. Et puis il ne faut pas oublier que cette histoire est vraie. Il y a cinq ans, à l’époque où notre pote Stéphane était sur le point de jeter l’éponge, nous avions réalisé un documentaire [On devrait en faire un film, 2015, ndlr] pour le soutenir dans sa cause et alerter les pouvoirs publics. Tout est parti de là. D’où cette énergie sans doute.

Par le passé, nous étions tétanisés à l’idée de ne pas entendre rire dans les salles. Aujourd’hui, nous sommes touchés par le silence que provoque « Hors Normes ».



Ce film coup de poing représente un risque pour vous, pour votre producteur ?

ON & ÉT C’est notre septième long-métrage. Dans chacun d’entre eux nous avons pris un +risque. On assume complètement. Aujourd’hui, on pourrait s’arrêter là… Mais nous devons faire notre part de travail, on doit toucher les gens, leur faire prendre conscience du monde qui les entoure, cesser cette course à l’ego, au narcissisme, à l’individualisme qui fait tant de ravages.

Nous avons 46 et 48 ans, nous devons désormais faire réfléchir, nous avons besoin de faire changer la vie des gens, sinon cela n’a pas de sens.


Que vous inspire le futur ?

ON & ÉT La communication vir­tuelle nous plonge dans des comportements anormaux depuis quinze ans. Il faut prendre ce nouveau mal très au sérieux. Modifier l’enseignement, le compléter de cours de discernement, afin qu’au plus jeune âge les enfants sachent distinguer le vrai du faux. La bataille à mener est celle de la vérité contre le mensonge. Nous devons leur apprendre à se décentrer d’eux-mêmes. Nous sommes en perte d’empathie, d’attention, anesthésiés, nous devons nous désintoxiquer. L’humanité n’est pas dans une logique d’intelligence, elle est capable de tout. Comme par exemple de réfléchir en termes de normalité. C’est pour cela que nous avons intitulé le film Hors Normes. La norme nécessite d’être repoussée, remise en question. La différence continue de faire peur… Placez un autiste léger dans une école dite « normale », les parents se plaignent aussitôt que le jeune en question ralentit tous les autres. Pas une seconde ils ne s’interrogent sur ce que la différence, l’altérité apporte à chacun des autres élèves.
Cristina Alonso
Rédactrice en chef
 
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