Marques digitales : l’éternité pour tout bagage ?
georges lewi
© DR
Aucune dictature n’a jamais modifié la nature de ce qu’elle dominait, celle du pixel (inaltérable) prouverait-elle le contraire ? Une marque née numérique a-t-elle de facto la vie éternelle ? Ou si, jeune et belle, elle ne résiste pas ad vitam, quel est donc « à l’écran » le symptôme de la ride ? Dans quinze ans, digitales ou traditionnelles, quelles marques seront plus fortes, lesquelles disparues ? Être une marque numérique, c’est pas si facile.
 
Les classements de valorisation financière des marques (type Interbrand ou Kantar) montrent que les marques numériques (les GAFA, NATU…) prennent désormais les premières places. Ces marques, qui ont entre 15 et 25 ans, valent dix fois plus que les « anciennes marques historiques » qui ont entre 150 et 250 ans. Comme si la valeur était désormais inversement proportionnelle au temps de présence sur un marché.

S’agit-il d’espace et de temps ?

Que restera-t-il dans quinze ans de cette révolution quand les jeunes marques digitales d’aujourd’hui seront vieilles à leur tour ? Le numérique renforce-t-il ou détruit-il la logique de marque constitutive de notre monde économique ? Ce qui est sûr, c’est que tout semble bouleversé. Des mar­ques « anciennes » comme Stan Smith, Converse, Spring Court, Pataugas, Puma montrent leur capacité à se renouveler. Elles séduisent les millennials après des décennies de traversée du désert. A contrario, de nombreuses marques « contemporaines » revendiquent une antériorité ; on observe en effet une multiplication de celles qui affichent un « long » passé : established in, « depuis 1972 ». Le temps est au cœur de la nouvelle bataille des marques. Chacune semble avoir besoin « en même temps » d’enracinement temporel et de signes de rupture. Il en va de même avec l’approche spatiale ; elles doivent être dans le cloud et dans la vraie vie. Avec le développement du digital, les DNVB (digital native vertical brands) rencontrent les marques traditionnelles dans ce nouveau statut, hybride, de « click & brick ». Les pure players sont tentées par une expérience physique et développent des show-rooms (cf. Made.com, Cdiscount) pour répondre au besoin qu’a le consommateur dans son nouveau comportement d’aller jusqu’au bout du digital : toucher réellement le produit après l’avoir effleuré sur l’écran du smartphone. Un pure player comme le géant Amazon lui-même se rapproche discrètement d’enseignes physiques en rachetant Whole Foods ou en passant des alliances avec Monoprix. En sens inverse, les marques/enseignes (« mortar ») traditionnelles se lancent dans le développement de places de marché (cf. Fnac, La Redoute, Carrefour) passant de la place de marché dont elles étaient la représentation à la place de marché dont elles deviennent le symbole.

Les GAFA ou NATU valent plus que les Vuitton ou Chanel. Comme si la valeur était désormais inversement proportionnelle au temps de présence sur un marché.


Ce qui les démarque

Les grandes marques numériques, à commencer par les GAFA, ont, dès l’origine, développé trois paramètres essentiels du branding : l’utilité, la communauté et la relation. Là où le branding classique s’appuyait pour lancer une nouvelle marque sur la fonction identitaire et la quête d’une nouvelle cible, la marque digitale s’est imposée comme immédiatement utile. Elle tire de ce bénéfice « concret » une légitimité générationnelle et identitaire, et cultive par essence sa relation avec son public dès le premier contact. Car elle n’hésite pas à forcer le dialogue avec ses consommateurs en les incitant fortement à donner leur avis sur le restaurant choisi, le produit acheté, le site lui-même. Clé de leur réussite, les marques digitales gagnent la bataille de l’attention à la première rencontre et de ce fait gagnent celle de l’« engagement », mot clé du vocabulaire numérique issu directement de la sémantique militaire ou religieuse.

Pourtant, en moins d’une génération, le mouroir des marques a accueilli des Yahoo, Second life, Hotmail… malgré le succès exceptionnel de leur démarrage. On les croyait immortelles, elles meurent en moins de quinze ans. Le branding avait des règles de conduite « strictes ». Le branding numérique peut se comparer à une course sur autoroute sans limitation de vitesse. Tout, très vite et sans contraintes. Mais pas sans risque. Toutes les règles sont bousculées à la manière d’un Uber faisant sauter en un temps record le numerus clausus des confréries de taxis partout dans le monde, d’un Amazon rebattant les cartes de la distribution globalisée.

Cependant, le cycle de vie des marques numériques invite à réfléchir sur la difficulté de leur survie en comparaison à la facilité de leur naissance. Lancer un site est simple. Devenir puis rester le numéro 1 de son secteur, et par conséquent espérer survivre, est une prouesse. Dans une rue marchande, le chaland, qui avait décidé de faire son shopping, allait d’une vitrine à une autre, d’un magasin à un autre, d’une enseigne (qui pouvait se croire marque) à une autre. Sur Internet, il n’y a plus de temps à perdre. Seule la meilleure marque surnage et peut survivre. Dans chaque catégorie précise, il n’en restera qu’une, deux peut-être ! Car les marques digitales investissent avant tout le quotidien des gens. Elles sont là comme un compagnon, un accompagnateur, un « co » et non plus comme un guide lointain. On peut avoir plusieurs mentors dans sa vie, mais on a souvent qu’un seul vrai ami.

Le branding avait des règles de conduite « strictes ». Le branding numérique peut se comparer à une course sur autoroute sans limitation de vitesse. Tout, très vite et sans contraintes. Mais pas sans risque.


Ce qui les marque

Et les marques retrouvent leur fonction première : être utile. Leur perception est fondée sur trois fonctions principales : une fonction transactionnelle, de meilleur rapport qualité/prix (ou qualité/temps) perçu, une fonction identitaire d’une communauté adhérente à une nouvelle promesse, et une fonction aspirationnelle correspondant à des valeurs universelles. Amazon née de sa fonction transactionnelle – avec une promesse basique de délais tenus, prix et sécurité de transaction – a su s’en échapper très vite, en devenant un phénomène générationnel. La génération Z refuse de négocier, apprécie la facilité et surtout la confiance faite par la marque à son client, prouvée dans sa politique de retour et de remboursement immédiat. Apple, qui continue de développer sa promesse identitaire et de revendiquer un certain élitisme dans de très nombreux domaines, étend chaque jour son influence. Que serait le monde sans Apple ? Google, partie d’une logique aspirationnelle (améliorer le monde), montre sa capacité également à aller partout, à faciliter la vie, à être très utile voire incontournable. Les grandes marques numériques ont prouvé leur capacité à intégrer les trois fonctions en même temps et à les développer en un temps record.

48  % des belief-driven buyers (ou « consommateurs-acteurs ») se disent prêts à défendre une marque lorsque celle-ci soutient la même cause qu’eux, ainsi que les mêmes valeurs. En parlant haut et fort de ce qui les meut, les marques peuvent gagner jusqu’à deux fois plus d’individus « spectateurs » qui seront prêts à prendre parti pour elles. L’échelle de préférence des marques a cependant évolué, on retrouve aujourd’hui dans le top 10 Google, Amazon, Samsung, Microsoft, Apple, Huawei, elles proviennent de la technologie et non plus de la mode. Jadis, les griffes d’équipement de la personne comme Nike, Adidas ou Zara évinçaient toutes les autres. Zara est 25e et Adidas 50e dans le classement Interbrand 2018.

De nouvelles méthodes de valorisation financière des marques, qui prennent en compte non seulement la notoriété, mais la valeur ajoutée réelle, deviennent indispensables.


Le principe de réalité : l’humain

Une offre basique ne suffit plus. Les marques doivent impérativement couvrir les trois fonctions pour être désormais crédibles. Le temps est plus féroce que l’argent, et le consommateur acceptera plus facilement de perdre quelques euros que quelques minutes. La perception de médiocrité est corrélée au temps perdu. Il y a, par conséquent, moins de place pour les marques sur le Web que dans le monde physique.

Certes, à côté des « grandes marques », il y aura toujours de la place pour de « petites marques identitaires », de plus en plus attributives et chaque jour plus innovantes. C’est la fin d’un système qui vit depuis cinquante ans d’« expédients produits », de me-too cachés sous des appellations trompeuses et des promotions permanentes. Les marques digitales cochent presque toutes les cases. Elles sont, dès leur naissance, utiles, identitaires, et forcent la relation au cœur de leur stratégie d’engagement. Il leur manque la dimension sociétale, donner du sens à la consommation, comme savent le faire les grandes marques historiques. Hermès, Dior, Dom Pérignon, Danone, Mercedes, Ferrari… expriment l’excellence construite avec le temps. Il serait donc plus facile d’accélérer le temps de la conquête que celui de la mémoire. De nombreuses start-up qui vivent dans un esprit de « crâmage », c’est-à-dire de construction de notoriété sans réalité commerciale suffisante, vont aussi devoir très vite s’interroger sur leur modèle économique et… l’avenir de la marque. Déjà 90 % des start-up font faillite. De nouvelles méthodes de valorisation financière des marques, qui prennent en compte non seulement la notoriété, mais la valeur ajoutée réelle, deviennent indispensables.1 Valeurs d’aujourd’hui, valeurs de demain. Certaines marques historiques comme Louis Vuitton ou Chanel2 regagnent, à nouveau, de précieuses places dans les classements de valorisation financière des marques mondiales.

Demain, dans quinze ans, il y aura moins de marques, mais elles seront plus fortes !

1. Cf. Méthode Valomarques. www.valomarques.com
2. Louis Vuitton est 18e et Chanel 23e dans le classement Interbrand 2018.
Georges Lewi
est spécialiste des marques, mythologue, consultant et conférencier notamment auprès de l’Association pour FAvoriser la Création d’Entreprises (AFACE) et de l’Association progrès du management (APM), investie dans le domaine de la formation managériale. Il est membre du conseil scientifique de l’ADETEM (Association des professionnels du marketing français). Il tient un blog à la croisée de ses passions, la mythologie et le management, Mythologicorp.com. Son dernier essai paru s’intitule Devenir une marque mythique : storytelling et digital (Vuibert, 2019).
 
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