Génération « sustainable natives », quel impact pour les industries ?
pascale Brousse
© DR
On baptisa les générations nées après 1980 X, Y, Z… que l’on engloba sous « digital natives ». Celle qui déferle aujourd’hui a intégré et appris de cette première composante technologique : elle voit le monde dans sa formidable et terrifiante globalité. Réaction : elle se veut responsable, pacifiste, vert foncé, « sustainable natives », littéralement « née engagée pour la planète », ce qui dit autant l’inquiétude que la détermination.
 
« Nous vivons un moment critique. La population sent, comprend et même vit l’urgence climatique », analyse Pierre Cannet, codirecteur des programmes du WWF France1. Depuis dix ans, les digital natives ont considérablement modifié la structure de nos vies et celle des organisations. Aujourd’hui et demain, ce sont les « sustainable natives » ou « génération climat », qui ont moins de 20 ans, qui chambouleront tous les systèmes, à tous les niveaux. Qu’on la suive ou qu’on l’abhorre, Greta Thunberg a pris le lead de sa génération, en entraînant beaucoup d’autres avec elles : « The world is waking up /… / Change is coming, whether you like it or not. »2

Ils sont sans compromis, car portés par l’urgence d’agir face à l’effondrement de la biodiversité et surtout parce qu’il en va de leur vie.


Penser planète

Et c’est justement cela qui est le plus stupéfiant : que ce soit les adolescents et enfants qui aillent sur le devant de la scène, qu’ils nous défient, qu’ils agissent et/ou mobilisent autrui. Le documentaire de Gilles de Maistre Demain est à nous sorti à l’automne 2019 est à ce titre explicite. Ils sont sans compromis, car portés par l’urgence d’agir face à l’effondrement de la biodiversité et surtout parce qu’il en va de leur vie – certains changements sont déjà irréversibles, a déclaré le GIEC3. Leur principale mission ? Avoir « un impact positif » sur le plan sociétal et environnemental, surtout dans leur vie professionnelle et même leurs investissements (en optant pour des stratégies financières visant à créer une synergie entre impact social et retour sur investissement, les objectifs prioritaires et mesurés étant sociaux, c’est l’impact investing). Les sustainable natives demandent une transformation profonde de la société. Et ils sont relayés par leurs aînés : « L’environnement est la deuxième priorité des plus de 60 ans, avec 49 % de citations, juste derrière l’avenir du système social. »4 Une de leurs forces de frappe ? Consommer autrement, même si tout un chacun n’adopte pas un comportement vertueux sur toute la ligne : « Deux personnes sur trois ont déjà changé leurs achats au quotidien pour mieux préserver la planète, selon le baromètre GreenFlex-Ademe. Et une sur quatre juge que la priorité est de réduire ses achats. »5

Face à la lenteur des États à se réformer, les jeunes se tournent vers les entreprises, en leur demandant de s’engager au-delà du développement durable, loin du green washing. L’action est d’ailleurs LA solution pour sortir des théories de l’effondrement (telle la collapsologie, dont on peut citer l’un des théoriciens Pablo Servigne : « Il faut considérer la catastrophe comme certaine », comprendre l’effondrement de la civilisation industrielle…)6.

Les consciences montent vite et les startuppers inventent une autre consommation, à laquelle marques et distributeurs doivent s’adapter très rapidement.


#flygskam, le consumérisme entre le désir et la honte

Aussi, pour les jeunes diplômés, une nouvelle forme de boycottage des entreprises apparaît, celui des compagnies polluantes. Plus de 30 000 étudiants d’écoles et universités prestigieuses ont été signataires du « Manifeste des grandes écoles pour le climat ». Il dénote du « désarroi qu’ils éprouvent face à un monde économique qu’ils jugent en décalage avec l’urgence climatique, incapables de se reconnaître dans la promesse d’une vie de cadre supérieur, en rouage essentiel d’un système capitaliste de sur­­consommation »7 En plus de la quête de sens, qui s’est diffusée parmi toutes les générations, l’engagement et la cohérence sont des valeurs majeures pour les millennials. « À quoi cela sert-il de se déplacer à vélo quand on travaille pour une entreprise dont l’activité contribue à l’accélération du changement climatique ou à l’épuisement des ressources ? »7 D’ailleurs, question transports, il sera bientôt très mal vu – si ce n’est déjà le cas – de poster sur les réseaux sociaux ses photos de vacances sur une plage exotique ou tout autre coin du bout du monde…

Le fameux #flygskam (honte de prendre l’avion) venu de Suède s’est répandu comme une traînée de poudre. Le pays veut d’ailleurs obliger les transporteurs à afficher leur empreinte carbone. Ce phénomène #flygskam a en tout cas été pris au sérieux lors de la dernière convention mondiale de l’International Air Transport Association (IATA). Et le train a rapidement attrapé cette perche : TGV Lyria distribuait en avril 2019 à ses passagers des fascicules (et une tablette au chocolat de la Coop) où l’on pouvait lire leurs remerciements pour avoir fait baisser l’empreinte carbone de leur voyage Genève-Paris vs l’avion. Dès la fin de cette année, l’opérateur franco-suisse augmentera son offre de 30 % afin de ravir des clients à l’avion.

Prochaine ligne de mire : la « honte du numérique », qui apparaît comme un secteur énergivore, avec l’explosion du trafic de données. L’empreinte énergétique du numérique repré­senterait déjà 6 % à 10 % de la consommation mondiale d’électricité et 4 % des émissions de CO2. Un vrai défi pour les GAFA, même s’ils investissent dans les énergies renouvelables. Leurs collectifs d’employés vont plus loin en leur demandant « de mettre fin aux juteux contrats passés avec l’industrie pétrolière : Amazon avec BP ou Shell, Microsoft avec Chevron et Schlumberger, Google avec Anadarko. Et de cesser leurs donations à des personnalités politiques ou à des cercles de réflexion qui s’opposent aux mesures pour le climat ». La sobriété numérique, prônée par le think thank The Shift Project, trouvera sûrement écho8.

Signaux forts pour l’avenir : certains jeunes entrepreneurs refusent de faire du chiffre d’affaires dénué d’éthique et contribuant à polluer la planète.


Branle-bas de combat

Fortes de toutes ces demandes des consommateurs, les industries se mobilisent. Celle de la mode, accusée d’être la deuxième industrie la plus polluante au monde, multiplie les annonces « vertes ». En témoigne le Fashion Pact, initié par le P.D.G. de Kering, qui réunit 32 groupes et 150 marques (dont bien sûr Stella McCartney, qui a fait poser des membres d’Extinction Rebellion [mouvement pacifiste de désobéissance civile contre l’effondrement écologique, ndlr] pour sa dernière campagne). Le pacte engage à rendre des comptes chaque année pour éliminer les emballages plastiques à usage unique d’ici à 2030 et atteindre zéro émission nette de CO2 en 2050 (une date bien trop lointaine – autant ne rien dire, le monde aura déjà basculé). Il est fort heureusement prévu que l’achat de vêtements de deuxième main dépassera le neuf d’ici à dix ans. Kiabi, lui, se veut 100 % durable d’ici à 2030, et les Galeries Lafayette continuent leur mouvement lancé en octobre 2018 en faveur d’une mode responsable « Go For Good ». Et quelle exem­plarité de la part de Patagonia, entreprise à mission (lire l’interview d’Emery Jacquillat, page 138), qui ferme ses magasins les jours de mobilisation internationale pour le climat (campagne « Facing Extinction ») afin d’inciter ses salariés et clients à aller manifester !

Le P.D.G. de Danone, Emmanuel Faber, l’avait dit en 2018 : « Les consommateurs nous quittent. » La multinationale est devenue « activiste » dans le domaine environnemental et social et a été certifiée B Corp pour l’Amérique du Nord9. Danone a également fédéré 19 entreprises autour de « One Planet Business for Biodiversity »10. D’ailleurs, dans l’industrie de la beauté, les Anglo-Saxons parlent de positive beauty activis11.

À l’avenir, l’écologie sera aussi importante que les maths, et le développement durable fera partie de l’identité des jeunes.


L’éthique nivelée au zéro

Car il n’y a pas le choix : au-delà du côté vertueux, le développement durable est devenu une question de (e)réputation des marques, pour des acheteurs ultra exigeants. La RSE est ce que le digital était il y a douze ans : incontournable, devant être placée au centre de l’intégralité des services de l’entreprise, de toutes les décisions. C’est un fait : les consciences montent vite et les startuppers inventent une autre consommation, à laquelle marques et distributeurs doivent s’adapter très rapidement. Ils pensent vrac (day by day, Biocoop ADN, The Naked Shop), système de consigne (CoZie, Biotanie), zéro déchet (Kadalys), circuits courts (Au bout du champ), produits solides (sans conservateur, sans eau), ultrafrais (Freedge Beauty), packagings biodégradables, réutilisables, recyclables, compostables (YUNI), zéro plastique (magasins Lush Naked, Ekoplaza), parfums 100 % clean (Ph Fragrances), formules ultracourtes (ELSI, Typology), DIY (Aroma-Zone, BeautyMix), responsable et accessible (Fun’Ethic), genderfluid, zéro impact pour les sols, zéro perturbateur endocrinien, zéro huile de palme (un des prochains bad buzz cosmétiques), respect animal et humain, hydroponie (Agricool), permaculture, etc. La liste est longue !

En signaux forts pour l’avenir : certains jeunes entrepreneurs refusent de faire du chiffre d’affaires dénué d’éthique et contribuant à polluer la planète. Le fondateur de Merci Handy, Louis Marty, a dit non à un grand distributeur international qui souhaitait la création de mini gels douche à petits prix (= plastique et produits anti-écologiques vs le savon). Idem pour être référencé par la première entreprise de box beauté américaine (seuls 15 % des produits reçus seraient utilisés = gâchis). D’autres ralentissent les lancements produits (« c’est anti DD ») et ne fournissent plus lorsque la saison de production est terminée. De nouvelles offres arrivent, comme Éthi’Kdo, la première carte cadeau multi-enseigne, éthique, écologique et solidaire.

Arnaud Meysselle, le CEO de REN Clean Skincare, l’a annoncé : « Pour les marques qui ne prennent pas maintenant le tournant du développement durable, dans deux ans, il sera trop tard. »12 REN, qui a propulsé le slogan « Grey is the new green », en référence à la couleur de ses flacons en plastique recyclé, est devenue la marque emblématique du groupe Unilever en termes de traction clients et d’image de marque vertueuse. Ambition d’ici à 2021 : zéro déchet.

Les entreprises gagnantes de demain seront celles qui poseront des actes forts, affirmeront leurs choix, communiqueront et fédéreront sur leurs engagements. Les sustainable brands, incarnées par leur fondateur ou dirigeant, rayonneront d’abord dans leur société pour pouvoir ensuite porter leurs convictions auprès du public, avec zéro green washing et en totale transparence (la technologie blockchain aidera).

« Pour les marques qui ne prennent pas maintenant le tournant du développement durable, dans deux ans, il sera trop tard. »  (Arnaud Meysselle, REN Clean Skincare)


Le germe d’une nouvelle civilisation ?

Dans les années à venir, l’écologie sera aussi importante que les maths, et le développement durable fera partie de l’identité des jeunes ; la création de la Muse School en 2005 en Californie, première école végétalienne du pays, a ouvert la voie13. Économie circulaire et décarbonée sont déjà des maîtres mots. Les produits de consommation afficheront leur bilan carbone et les retailers seront garants des produits qu’ils vendront, en termes de transparence et composition clean (c’est-à-dire inoffensive), incluant le packaging, l’impact environnemental et social. Faire que le consommateur puisse choisir de façon éthique et engagée, c’est la volonté de La Fourche, un supermarché bio en ligne qui affiche l’empreinte carbone de ses produits. Citons aussi en termes d’engagement : Noé par Franprix, Sources par Carrefour, Credo Beauty, Detox Market.

Le défi est de penser nouvelle civilisation, de préserver le vivant, de « rendre cool et séductrice une société plus sobre énergétiquement »7. « On a réussi à mettre fin à l’esclavage, à l’apartheid, aux dictatures communistes /… / On peut aussi mettre fin au modèle industriel et capitaliste qui détruit l’environnement et abîme nos vies », nous dit le philosophe Satish Kumar14, fondateur du Schumacher College, à Totnes (Royaume-Uni), l’une des capitales des villes en transition.

Cela peut faire peur, mais on y va ! Se réinventer face à l’urgence, voilà qui est pourvoyeur de formidables innovations « vertes ». « N’oubliez jamais qu’un petit groupe d’individus conscients et engagés peut changer le monde », rappelait l’anthropologue américaine Margaret Mead7. Et là, nous avons déjà largement dépassé le petit groupe…

1. « L’ONU sonne la mobilisation pour le climat », Le Monde, 21/09/2019.
2. Discours à l’ONU le 23/09/2019, relayé sur YouTube.
3. Le Monde, Libération et autres journaux du 26/09/2019. Par ex. : La montée des eaux est inéluctable.
4. Enquête Ipsos Sopra-Steria pour Le Monde, « L’écologie se diffuse dans toute la société », 17/09/19.
5. Les Échos, 20/09/2019.
6. Le Monde, 26/09/2019, et débat « Comment vivre dans un monde effondré ? » à l’Opéra Bastille le 6/10/2019.
7. Le Monde, 17/04/2019 et 2/07/2019. « Les enfants du siècle », discours porté notamment par Clément Choisne, jeune ingénieur de Centrale Nantes.
8. Chronique d’Alexandre Piquard, Le Monde, 27/09/2019.
9. Label américain qui marque l’engagement des entreprises qui agissent pour le bien commun, environnemental et social.
10. « Emmanuel Faber vient de lancer une coalition baptisée One Planet Business for Biodiversity à l’occasion du Sommet Action Climat des Nations Unies qui se tient à New York. 19 entreprises, dont Danone, s’unissent afin de protéger la biodiversité et promouvoir des pratiques agricoles alternatives ». LSA, 23/09/2019.
11. « Campaigning for positive change – political, social, environmental – is the driving force behind new beauty brands / … / and having an authentic purpose. » « War paint », Vogue UK, 07/2019.
12. Lors de la Journée de la Beauté du CEW le 25/06/2019.
13. De Jeff King en Californie. Lire à ce sujet « Face aux “Sustainable Natives”, les nouvelles missions des entreprises », Olivier Rouillot, sur https://blog.headway-advisory.com
14. Auteur de Pour une écologie spirituelle. Cf. Elle et Madame Figaro, 06/19.
Pascale Brousse
a fondé Trend Sourcing en 2000 après dix ans chez L’Oréal et accompagne les start-up, PME et grands groupes dans l’innovation et la création de marques green, clean, sustainable, irresistible. Elle alerte sur les tendances clés et est par ailleurs conférencière, formatrice, journaliste et enseignante. www.trendsourcing.com
 
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