ILLUSTRATIONS
de Joachim larralde
« mieux vaut parler des
jeunesses que de la jeunesse »
Propos recueillis par
Christine Monfort
Depuis les années 70, une sorte de vide règne sur le rôle de la jeunesse dans la société, explique l’historienne Ludivine Bantigny(1). S’ils vivent mieux leur jeunesse que leurs aînés, bon nombre de jeunes restent cantonnés dans une précarité institutionnalisée. —



Ludivine Bantigny













Le refus des codes
est parfois
une forme de résistance
envers la violence
de la société




























L’allongement progressif
de la scolarité
va permettre
aux jeunes
de vivre pleinement
leur jeunesse
En France, on semble souvent avoir du mal à intégrer les nouvelles générations, qui devraient pourtant être porteuses d’avenir. Cette difficulté à octroyer à la jeunesse une véritable place dans la société est-elle un phénomène propre à notre époque ?

Si on remonte uniquement à l’époque médiévale ou moderne, on constate que les jeunes avaient une place reconnue et des missions particulières dans la société. On leur accordait une véritable confiance, notamment dans la gestion des débordements, lors des carnavals ou des charivaris qui permettaient de remettre de l’ordre dans la société. Une institution comme le service militaire a marqué le passage de la jeunesse vers l’âge adulte pour des générations de jeunes hommes… Depuis les années 70, beaucoup des rites anciens et très codifiés ont progressivement disparu et laissé place à une sorte de vide sur le rôle de la jeunesse dans la société.


IÑfluencia La notion de jeunesse telle qu’on peut la définir aujourd’hui a-t-elle toujours existé ?

Ludivine Bantigny À toutes les époques, et aujourd’hui plus particulièrement, il faut davantage parler « des jeunesses » que de « la jeunesse » car les écarts sociologiques et professionnels, liés au diplôme, ont souvent eu plus d’importance dans la situation des jeunes que les écarts générationnels. C’est l’allongement progressif de la scolarité qui va permettre aux jeunes de vivre pleinement leur jeunesse. Le phénomène est assez récent. Pendant les Trente Glorieuses, plus de 50% des jeunes arrivaient sur le marché du travail à 14 ou 16 ans. Ils n’avaient tout simplement pas de jeunesse et entraient directement dans un monde d’adultes avec des semaines de travail allant parfois jusqu’à 48 heures et des abattements d’âge sur le salaire qui n’ont été supprimés qu’en 1968.


Les mouvements de contestation alimentent-ils l’incompréhension ou la crainte de la société envers la jeunesse ?

LB Pour les jeunes, le refus des codes est parfois une forme de résistance envers la violence de la société. On assiste à des moments d’exacerbation dans les moments de crise. À la fin du XIXe siècle, les révoltes sont dues aux enfants de la bourgeoisie mais aussi aux jeunes issus de milieux plus populaires. Plusieurs faits divers sont alors médiatisés et se transforment en enjeux de société. L’après-guerre est aussi un moment de cristallisation de l’inquiétude sur les jeunes. On se demande déjà comment intégrer les enfants du baby-boom et on s’inquiète des statistiques de délinquance juvénile qui augmentent car elles sont désormais prises en compte par des institutions dédiées à la jeunesse qui n’existaient pas auparavant.

De l’après-guerre aux années 60, la presse s’intéresse beaucoup à la jeunesse mais elle est souvent dans la construction d’un phantasme autour de jeunes, qui seraient par essence rebelles. Le phénomène des blousons noirs, qui émerge à l’été 1959, a par exemple été très largement alimenté par les médias. À cette époque, le discours sur les jeunes révèle souvent un discours plus général sur la société, sur la succession d’une génération encore très marquée par la guerre.


On était alors en pleine croissance économique. Les perspectives d’avenir pouvaient pourtant paraître plus favorables qu’aujourd’hui…

LB Dans les années 50, les jeunes étaient toujours la variable d’ajustement sur le marché de l’emploi. Si on a créé l’ANPE en 1967, c’est bien qu’il y avait déjà un problème de chômage, qui s’est d’ailleurs très rapidement aggravé avec le retournement économique de 1967-1968. En 1968, on estime qu’il y avait entre 100 et 500 000 jeunes au chômage. Et parmi ceux qui avaient un emploi, il n’était pas rare de voir un ouvrier qualifié occuper un poste d’ouvrier spécialisé. La question des débouchés fait partie des grandes inquiétudes du mouvement de mai 68.


Mai 68 marque-t-il un tournant dans le regard de la société française sur ses jeunes ?

LB On ne peut pas lire mai 68 uniquement à travers le mouvement étudiant. Il faut aussi prendre en compte l’héritage de la guerre d’Algérie et la transmission d’un savoir-faire politique pour organiser les manifestations, le rapport à l’immigration, à la société, à la guerre du Vietnam… C’est aussi un moment de convergence entre des étudiants qui veulent briser les frontières entre catégories sociales et les jeunes ouvriers. Pour une partie de la société, la peur de la subversion de la jeunesse naît en juin, après les accords de Grenelle et l’annonce des élections, quand le mouvement se poursuit et que la situation devient chaotique. Tout cela continue dans les années 70 avec les mouvements maoïstes. En 1974, beaucoup de partis politiques avaient intégré dans leur programme l’abaissement de l’âge de la majorité et le droit de vote à 18 ans. On pensait que c’était un moyen de donner la parole aux jeunes pour éviter qu’ils ne s’expriment de manière plus subversive. Pourtant, les mouvements d’étudiants ne vont pas s’arrêter...


Quelle place la société française accorde-t-elle aujourd’hui à sa jeunesse ?

LB Depuis les années 80, on parle de crise de l’avenir. Les politiques envers la jeunesse, initiées par le régime de Vichy, n’ont cessé de se succéder (les TUC, le CIP, le CPE, les emplois jeunes…) mais elles ont aussi contribué à institutionnaliser la précarité des jeunes. Comme si les jeunes devaient avoir un statut particulier et être par essence confrontés à la précarité en raison de leur âge. Cette forme de naturalisation de la précarité est sans effet sur l’emploi et d’abord préjudiciable aux jeunes eux-mêmes car les embauches sur les contrats aidés sont souvent un moyen de se débarrasser de jeunes un peu plus âgés. En France, la reproduction des inégalités sociales ne semble pas vraiment remise en cause et les jeunes s’y résignent, faute de mieux. Dans ce système, l’effet diplôme est discriminant.


Peut-on pour autant parler de conflit des générations ?

LB Le conflit des générations est surtout un marronnier pour les médias. Les enquêtes sociales montrent plutôt l’importance des aides intergénérationnelles, qui sont d’ailleurs de plus en plus importantes avec la crise, entre parents et enfants mais aussi entre grands-parents et petits-enfants. On s’est parfois étonné du nombre de jeunes présents dans les manifestations de 2010 sur les retraites mais il fallait sans doute y voir un des aspects de cette cohésion intergénérationnelle.

(1) Docteur en histoire contemporaine, maître de conférences à l’université de Rouen et chercheuse au Centre d’histoire de Sciences Po, Ludivine Bantigny est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment Le plus bel âge ? Jeunes et jeunesse en France de l’aube des « Trente Glorieuses » à la guerre d’Algérie (Fayard, 2007) et Jeunesse oblige, histoire des jeunes en France (XIXe-XXIe siècles) (PUF, 2009).














































Le conflit
des générations
est surtout
un marronnier
pour les médias

La presse et les jeunes :
je t'aime, moi non plus

Les news-magazines nés après-guerre ont accompagné l’intérêt de la société pour la jeunesse dès les Trente Glorieuses. En 1955, le démographe Alfred Sauvy s’inquiétait du sort que la France réservait à la vague démographique du baby-boom dans un numéro de L’Express qui jouait la provocation en titrant « Faut-il tuer les jeunes ? ». La même année, dans la grande enquête sociologique que le magazine consacrait aux aspirations des jeunes Français, Françoise Giroud évoquait le terme de « Nouvelle Vague » à propos de la génération hédoniste de l’après-guerre (quelques mois plus tard, la revue Ciné 58 l’a associée au cinéma).

Le Nouvel Observateur nous a ouvert ses archives. En période de croissance comme de crise, le news-magazine a mis la jeunesse à l’honneur. À chaque décennie, les unes traduisent son intérêt pour les attitudes et les attentes des jeunes, mais aussi l’incompréhension, voire les craintes de la société sur les codes des générations montantes. Si les « voyous » de 1966 laissent leur place à la Bof génération, les rebellions et la violence restent une préoccupation constante.

Copyrights : NO n° 87 du 13 juillet 1966 : 16 millions de voyous en France, NO n° 90 du 3 août 1966 : Les vouyous répondent, NO n° 727 du 6 octobre 1978 : La Bof génération, NO n° 1166 du 13 mars 1987 : Les jeunes sont-ils des cons ?, NO n° 2168 du 24 mai 2006 : La vérité sur la violence des jeunes.
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