Jeunesse, énigme des siècles
cristina alonso
Illustrations • Étienne Delatour
On les affuble de petits noms ou de gros mots pour (mieux) les cerner. On leur attribue des âges afin de pouvoir les dompter. On les qualifie d’à peu près tous les adjectifs dans le but de les identifier. Et puis comme ils représentent un « grand marché », on les pourchasse d’assiduités commerciales sophistiquées… Pour cela, on cherche, on enquête, on sonde, on établit des « groupes », dans lesquels on puise pour déterminer des « catégories », on secoue bien fort, et on en sort une… « génération ». Puis on s’appesantit. Difficile d’attraper ces jeunes au lasso.
 
Coller aux « us » mouvants de la génération des 18-30 ans – voire 37 selon Martine Dagnaud*  – depuis que l’Internet s’est imposé comme the place to be, to live, to buy, to meet, to sell, to check… what else? est devenu une tannée. Pour qui ? Pour tous les adultes, en fait. Tous ceux qui leur veulent quelque chose. Qui ont affaire à eux. Parents, enseignants, employeurs, psychologues d’un côté. Entreprises du Cac 40, marques mythiques de prêt-à-porter, de luxe, établissements financiers, sociétés d’assurances, de services, compagnies aériennes, ferroviaires, fabricants de loisirs, restaurateurs, médias, opérateurs de télécom de l’autre. Autant d’individus et de secteurs qui sans exception inventent mille et une façons de les tracer, les comprendre, les satisfaire, leur montrer la voie.

L’âge de la pause

Il y eut la génération silencieuse (individus nés entre 1925 et 1945), celle des glorieux babyboomers (1946-1965), puis celle baptisée par l’Américain Douglas Coupland les X (1965-1980), qui porta son héritage de réussite matérielle comme un carcan… Les suivants, Y ou millennials, nés entre 1980 et 2000, ébahissent leurs aînés par leur agilité, leur capacité d’adaptation, leur manière si cool de faire quinze choses à la fois, de commenter les infos du matin au soir, de commander un « McDo », « un jap », une salade grecque comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. D’appeler un Uber parce qu’ils ne se voient pas prendre le métro, de décider que c’est au Canada qu’ils voudraient partir pour leur année de césure. Alors qu’ils viennent de finir leur master de droit, ils décident de « se donner un an pour s’essayer à la musique (leur passion d’enfance), pour monter un groupe et voir si leur vraie vie ce n’est pas celle-là au fond », dixit Thomas Cailley, le réalisateur du long-métrage Les Combattants et de la série Ad Vitam. Ce temps – entre le moment où se finissent les études et celui où il faudrait se lancer dans la vie active – est devenu une page blanche à remplir. Une sorte de sas, « une parenthèse » comme l’explique Lambert Stroh, fondateur du magazine Hobbies, lorsqu’une fois leur « contrat » rempli vis-à-vis de leurs parents (passer un bac +3, +4 ou +5, un BTS, un master, etc.), ils s’offrent ce « luxe ».

Les MILLENnIALS ébahissent leurs aînés par leur agilité, leur capacité d’adaptation, leur manière si cool de faire quinze choses À la fois.


C’est que, pour la plupart, ils ont entendu des petites phrases prononcées par des adultes mortifiés qui les ont rendus méfiants. Les « je ne suis pas bien payé pour toutes ces heures passées », « le DRH m’a expliqué que j’étais trop senior », « je ne suis plus rien dans le monde de l’entreprise », « cela fait quinze ans que je travaille pour rien »… Merci, très peu pour eux. Et puis il y a la planète à sauver. De nouvelles opportunités, un nouveau sens à trouver à sa vie, des missions autrement plus responsables et héroïques pour se réaliser. Alors que l’on demandait à leurs parents d’être de bons petits soldats obéissants, eux baignent dans une atmosphère étrange, où la fin du monde (attentats, planète détériorée, climat déréglé) côtoie la numérisation prometteuse de lendemains qui chantent à tue-tête.

L’« inter » générationnel

Alors, ils se projettent dans un univers différent, où tout est « start-up ». Inventer des applications ? Devenir menuisier ? Recycler du plastique ? Créer sa griffe bio ? Être influenceur en photographiant son goût pour la déco, le sport, la danse ? S’improviser youtuber en créant des tutos pour enseigner « l’art » du cupcake ou de jardiner en ville ? Lancer un site de rencontres pour apprendre l’anglais, le russe, le chinois ? Parce que le monde a gagné une nouvelle dimension : Internet. « Il ne suffit pas d’utiliser Internet. Il faut penser Internet », insiste le sociologue Serge Guérin**. Le spécialiste du vieillissement le rappelle : « Il y a plus brouillage des âges que brouille des âges. La différence n’est pas tant générationnelle que géographique, en termes d’accès au réseau, ou sociale. Tout montre d’ailleurs que le lien intergénérationnel se renforce et il apparaît même comme une des planches de salut et une arme privilégiée contre la solitude. Les pouvoirs publics devraient s’en inspirer, par exemple en créant un ministère de l’Inter­génération qui toucherait à l’économie, aux territoires, à la santé, la recherche, l’éducation… »

LES « Y » baignent dans une atmosphère étrange, où la fin du monde côtoie la numérisation prometteuse de lendemains qui chantent à tue-tête.


Alors, certes, il y a les gentils enfants de 25 ans qui entreprennent de former leurs parents à copier-coller, « pommezéder », « keynoter », « photoshoper », « illustratorer » ; qui les engagent à commander sur des applications, à « aller sur Amazon », à écouter Deezer plutôt que cette playlist ringarde qui les suit depuis des années, à regarder des séries sur Netflix au lieu de mater Profilage épisode 326 sur France 2… Puis les laissent plantés là, devant ladite série, car ils vont dans leur chambre avec leurs amis pour la vie regarder le match PSG-Nantes grâce à un abonnement Canal+ payé 9 euros (sans période de résiliation de 24 mois), leur signifiant en passant qu’il serait temps de résilier celui à 76 euros qu’ils versent gentiment depuis trente ans à la chaîne cryptée… Alors, oui, les adultes ont du mal à suivre, deviennent aigris, ou admiratifs, ou dépressifs… selon les jours. Une chose est sûre, il y a comme un écart entre cette jeunesse qui vit à plein régime, et ces parents écartelés entre leur peur et leur admiration.

Un temps paradoxal

Des jeunes qui ne sont pas UN. Il y a ceux des villes et ceux des champs. Les agiles et les fragiles. Et puis tout ce que la Société, les Marques, les Politiques leur promettent et la réalité. « Les médias leur font croire que les réseaux sociaux leur permettent de se fédérer autour d’une cause et d’avoir du poids, commente Monique Dagnaud. Les opinions, les idées circulent… je suis bien plus dubitative quant aux effets transformés dans la réalité. Je pense même qu’ils peuvent être contre-productifs. Ce qui s’est passé pour le Printemps arabe, les mouvements populaires en Tunisie, au Maroc, en Égypte, initiés par des jeunes gens éduqués qui se sont trouvés un sens commun sur Internet, ont tenu six mois dans la rue, puis les régimes en place ont compris la menace et ont tout balayé. »

« Des injonctions paradoxales qui atteignent, blessent voire traumatisent ces jeunes bien plus qu’eux-mêmes ne le pensent », évoque Patrice Huerre, psychiatre et psychanalyste, dans un entretien donné au journal La Croix. Bien plus qu’on ne le pense, en réalité. « Parce que communiquer par Skype, Messenger, Twitter, Whats­App, ne pas vouloir travailler à n’importe quel prix, être difficile à suivre, voyager dans le monde entier, faire des années de césure, quitter le nid familial, s’installer en coloc, partir un an à l’étranger, revenir… ne constitue pas une construction de soi, une identité », indique Maurice Trojman, psychanalyste.

Pour les moins chanceux, une seule issue : vivre par procuration « la vie des autres », en restant en tête à tête avec leurs écrans.


Pour les moins chanceux – ceux qui n’arrivent pas à se tisser des perspectives, d’où qu’ils proviennent socialement –, une seule issue : vivre par procuration « la vie des autres », en restant en tête à tête avec leurs écrans, au risque de s’isoler tout à fait. « Nous étions dans un monde physique certes difficile, mais réel, nous sommes désormais dans un monde où nous sommes fragilisés parce que dans l’illusion du numérique tout puissant », renchérit Serge Guérin. Pas étonnant que dans cette période chahutée et passionnante à la fois, certains perdent pied. On est bien gentil de les rassurer : il faut « réussir sa vie » plutôt que « réussir dans la vie », « choisir plutôt que de subir », « créer sa société pour ne pas dépendre de son chef », etc. De fait, le réveil est parfois, souvent, difficile. « Les jeunes n’ont jamais autant bu, ne se sont jamais autant drogués, n’ont jamais autant fait de TS [tentatives de suicide] », assène David Gourion, psychiatre, auteur de l’ouvrage Les Fragilités de la jeunesse.

Rien de nouveau sous le soleil brûlant de notre époque cynique ? Non. Rien. En période de guerre ou de révolution, on aime la jeunesse parce qu’elle est une réserve de soldats. Aujourd’hui, face à la pénurie de travail et sur une planète en péril, la société s’organise pour faire peser tous ses poids sur ses jeunes… La (seule) différence ? C’est que nous sommes dans une société « dite » civilisée et que notre violence couve sous une distribution de coquilles vides que sont les mesures d’accompagnement des jeunes, concluent les observateurs de cette jeunesse multiple qui a le monde à ses baskets, la planète à sauver et son futur à construire.

*Monique Dagnaud est sociologue, auteur notamment de Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion, Presses de Sciences Po, 2011. **Serge Guérin, Pierre-Henri Tavoillot La Guerre des générations aura-t-elle lieu ? , Calmann-Lévy, 2017.
Cristina Alonso
Rédactrice en chef
 
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