Christian Saint-Étienne : « On aura toujours besoin d'un travail qualifié pour faire fonctionner le capital »
Propos recueillis par
Christine Monfort
© DR
Christian Saint-Étienne est économiste. Professeur titulaire de la chaire d’économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), il est aussi coprésident de l’Institut de l’iconomie, un néologisme qui renvoie à la troisième révolution industrielle, liée à l’informatique et aux technologies de l’information. Alors que le mix capital-travail avait structuré pendant des siècles la pensée économique et sociale, [...]
 
Christian Saint-Étienne est économiste. Professeur titulaire de la chaire d’économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), il est aussi coprésident de l’Institut de l’iconomie, un néologisme qui renvoie à la troisième révolution industrielle, liée à l’informatique et aux technologies de l’information. Alors que le mix capital-travail avait structuré pendant des siècles la pensée économique et sociale, cette nouvelle économie fait réapparaître la crainte du remplacement du travail de l’homme par la machine. Pour Christian Saint-Étienne, ces inquiétudes n’ont rien de neuf et actent surtout le fait que les mutations en cours nous propulsent dans une nouvelle période de profonde transformation. Les évolutions du monde du travail sont loin d’être figées, et pas seulement pour les personnes qui travaillent dans l’orbite des plateformes numériques.

Christian Saint-Étienne est l’auteur de plusieurs livres parmi lesquels « Trump et Xi Jinping : les apprentis sorciers » (2018), « Osons l’Europe des nations » (2018), « Relever la France. État d’urgence » (2016), « La France 3.0 » (2015), « L’Iconomie pour sortir de la crise » (2013), ou encore « France état d’urgence, une stratégie pour demain » (2013).



IÑfluencia Le travail est-il toujours une valeur aussi porteuse face au capital dans les modèles économiques qui se sont déployés ces dernières décennies ?

Christian Saint-Étienne Nous sommes entrés, depuis les années 1980, dans une nouvelle révolution industrielle basée sur l’informatique et la donnée. Les deux premières révolutions, qui s’étaient appuyées sur la machine à vapeur puis l’électricité, avaient duré chacune environ un siècle. Dans les cinquante premières années, beaucoup d’innovations s’étaient développées et avaient contribué à créer une offre, mais sans grande augmentation de la productivité. Dans la deuxième partie du cycle, les évolutions s’étaient plutôt situées du côté de la demande et on avait constaté une accélération des gains de productivité. La troisième révolution se déroule pour le moment comme les deux précédentes. Les années 2020 seront donc clé, car ce sont elles qui permettront de déterminer s’il y a (ou pas) une accélération de la productivité au fur et à mesure de l’appropriation des nouvelles offres. Dans ce contexte, on aura toujours besoin d’un travail qualifié pour faire fonctionner le capital.

Les années 2020 seront clé pour déterminer si la troisième révolution industrielle se traduira  (ou pas) par une accélération de la productivité.



Pourtant, on voit souvent naître des craintes sur le remplacement du travail de l’homme par la machine…

CSÉ Ces interrogations avaient aussi émergé lors des deux premières révolutions industrielles. Cela fait deux cents ans que l’on se pose régulièrement les mêmes questions ! On entend souvent dire que l’intelligence artificielle permettrait de se passer du travail, mais il ne faut jamais oublier que l’IA est conçue par des gens et qu’elle travaille à base de capteurs qui sont aussi produits par des travailleurs… Il faut aussi rester prudent sur les prévisions. Il y a cinq ans, on disait que la voiture autoguidée serait partout à partir de 2018. On voit que ce n’est pas du tout le cas et que l’informatisation du système n’est pas aussi rapide qu’anticipé.


Le travail aura donc toujours une importance dans nos vies ?

CSÉ Absolument, mais il va continuer à évoluer. Les tâches simples ont déjà été beaucoup automatisées et le seront encore de plus en plus. À moins d’entrer dans une phase de déshumanisation totale, on aura toujours besoin des emplois de services à la personne… Les transformations du monde du travail sont toujours difficiles à imaginer. En 1820, 90 % des gens travaillaient dans le monde rural et 80 % dans l’agriculture. À cette époque, personne n’aurait cru qu’entre 1820 et 2020, la population française pourrait tripler, que les paysans ne représenteraient plus que 3 % de la population et qu’il y aurait de nos jours moins de chômage qu’à l’époque. C’est pourtant ce qui est arrivé.


Que peut-on attendre d’un processus de production intégrant de plus en plus de robots ou de cobots, placés sous la coupe des algorithmes ?

CSÉ Le robot aide l’homme à être plus efficace, mais il ne le fait pas disparaître. On continuera à travailler, mais les besoins en qualification changent tellement qu’il faut faire un effort colossal d’apprentissage et de formation professionnelle tout au long de la vie. Pour se maintenir dans la sphère du travail, les gens doivent aussi accepter de bouger. Attention toutefois à ne pas idéaliser les possibilités d’adaptation : un travailleur de la métallurgie de 55 ans licencié dans les Vosges ne va pas se transformer en infirmier de 30 ans à Paris… Dans ces zones où l’emploi est sinistré, il sera indispensable de faire des efforts considérables de réindustrialisation, ce qui n’a pas été fait dans les vingt dernières années en France. Il y a eu, sur ce sujet, une faillite de la politique publique.

À moins d’entrer dans une phase de déshumanisation totale, on aura toujours besoin des emplois de services à la personne…



La montée en puissance du travail indépendant va-t-elle se poursuivre ?

CSÉ Il y a dix ans, on pensait que le travail salarié à temps plein était terminé. C’était faux et on est reparti dans la création massive de contrats à durée indéterminée (CDI). Le nombre d’indépendants en France a fortement chuté depuis 1990. Dernièrement, il a légèrement réaugmenté, mais ce n’est pas non plus une lame de fond. Les indépendants représentent toujours moins de 15 % des actifs. Ce qui a changé, c’est qu’ils sont devenus plus visibles. On ne prêtait pas forcément attention aux maréchaux-ferrants, mais on peut voir dix fois par jour les cyclistes qui parcourent les villes pour livrer des colis ou des repas ! La manière dont les plateformes s’appuient actuellement sur ces indépendants est d’ailleurs indigne. C’est un retour au xixe siècle. Ils sont les cobayes d’une mutation qui n’est pas encore maîtrisée. Les initiatives ouvertes par la Californie pour requalifier en contrat de travail le lien qui lie les chauffeurs VTC aux plateformes vont donc dans le bon sens.


L’économie de plateformes pousse-t-elle à multi­plier les emplois précaires ?

CSÉ La troisième révolution industrielle crée une économie informatisée – ou « iconomie » – qui représente 40 % du produit intérieur brut (PIB). Selon les pays, les plateformes ne comptent que pour 5 % à 7 % du PIB et ne sont donc qu’une sous-partie de cette révolution. Dans le reste de l’iconomie, il y a de très bons emplois. Ceux qui travaillent au siège social de Google ou de Facebook ont un salaire moyen trois fois supérieur à celui des autres secteurs. Il faut encore faire évoluer les règles sociales et fiscales applicables aux plateformes, qui se sont beaucoup développées parce qu’elles n’appliquaient pas les mêmes règles fiscales et sociales que les autres entreprises.


Comment y parvenir ?

CSÉ Il faut réussir à être ferme, sans rigidifier la situation. Cela suppose d’établir un certain nombre de critères qui permettent de déterminer si on a affaire à un emploi stable ou à un emploi qui l’est moins. Un certain nombre de ces salariés veulent rester indépendants, mais il faut arrêter de dire que quelqu’un qui travaille tout le temps pour une plateforme choisit de le faire. Parmi les emplois indépendants subis, on peut aussi citer tous les gens de 55 ans qui deviennent consultants parce qu’ils ont été licenciés et qui, souvent, s’en sortent d’ailleurs plutôt bien.

Les nouveaux indépendants sont les cobayes d’une mutation qui n’est pas encore maîtrisée.



Chacun doit-il s’attendre à devenir son propre patron ?

CSÉ Tout le monde n’est pas câblé pour être indépendant ! Cette situation crée une incertitude que certaines personnes ne peuvent pas gérer. Ce n’est pas pour rien que, chaque fois qu’ils le peuvent, les gens essaient d’être salariés et d’avoir un CDI. Pour monter volontairement son entreprise, il faut être habité par un projet ou avoir une qualification. Un excellent charcutier, coiffeur ou ébéniste va s’en sortir et le fait d’être indépendant ne l’empêchera pas de vivre. En revanche, si vous n’êtes pas reconnu pour une qualification très précise, c’est très dur.


Faut-il s’attendre à ce que les carrières soient encore moins linéaires qu’aujourd’hui ?

CSÉ Les passages entre les différents statuts vont se généraliser. La plupart des gens resteront majoritairement salariés, mais ils auront de temps en temps des périodes où ils deviendront indépendants. Le plus probable, selon moi, est qu’il y aura de plus en plus de systèmes mixtes, soit en alternance, soit en même temps. Par exemple avec des gens qui seront à mi-temps salariés et à mi-temps indépendants, ou deux tiers salariés et un tiers indépendants. C’est pour cela qu’il faut coordonner les régimes de sécurité sociale afin de ne pas être obligé de taper à six ou sept portes le jour où il faut reconstituer sa carrière. La réforme en préparation sur les retraites est partie d’une bonne idée avec la création d’un régime universel. Elle s’est transformée en régime unifié et c’est catastrophique. Il faudrait plutôt aller vers un système informatisé commun avec des règles qui permettent de passer très facilement d’un régime à l’autre, en transportant ses droits.
christine monfort
Journaliste INfluencia
 
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