LA MADELEINE DE PROUST INSPIRE LA PUB
MAUD VINCENT
Illustrations • Amélie Barnathan
À la faveur de l’accélération technologique, les neurosciences franchissent une nouvelle étape : les data émotionnelles émergent, augurant d’un mix marketing renouvelé donnant la primeur aux émotions. De quoi séduire les marques, attirées par la promesse ultime du neuromarketing : s’inscrire dans l’esprit des consommateurs.
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Devenir la madeleine de Proust du consommateur : un graal pour toute marque. Et pour y parvenir, rien de plus efficace que de jouer la carte des émotions et de l’appel aux sens. « Nous savons aujourd’hui que le cerveau émotionnel est au cœur des décisions des individus. La composante émotionnelle du cerveau est en effet beaucoup plus rapide que sa composante analytique, qui fait appel à notre logique », explique Étienne Bressoud, directeur marketing science de l’institut BVA.

« L’IDÉE QU’IL EXISTERAIT UNE SORTE DE “BOUTON D’ACHAT” À ACTIONNER DANS LE CERVEAU RELÈVE DU MYTHE. LE NEUROMARKETING N’EST QU’UN OUTIL DE MESURE. »


En livrant une lecture directe de l’émotion et de ce que ressent réellement la personne, les techniques neuroscientifiques séduisent les annonceurs. « Elles permettent de dépasser le non-verbal et la limite du déclaratif, qui est le gros point faible des études classiques », poursuit l’expert. « Les émotions sont stockées, traitées et gérées dans le système limbique, où se forme également la mémoire. Pour activer celle-ci, il faut donc jouer sur l’émotion et les cinq sens, qui ont un accès direct au cerveau », souligne Michel Badoc, professeur émérite de marketing à HEC et coauteur d’un ouvrage de référence sur le sujet1.

Vers un marketing du love

Les love brands, ou marques irrésistibles, ne s’y trompent pas en prenant en compte les besoins émotionnels des individus, pointait TNS-Sofres dans une étude en 20142. À l’ère digitale, cette dimension émotionnelle est encore plus stratégique pour susciter l’engagement. Face à la saturation du temps de cerveau disponible lié à l’explosion des contenus et des points de contact, et dans un univers ultrarapide, l’émotion est de plus en plus clé pour se différencier et gagner la bataille de l’attention. Et pour ce faire, les marques jouent à plein la carte de l’humour, de la surprise, du storytelling, du spectacle… La montée en puissance de la communication visuelle – de la vidéo à l’image en passant par les gifs animés et les émoticônes – n’est pas anodine.

« Dans un univers mobile où l’on consomme son fil d’actu très rapidement, l’image a un pouvoir supérieur au mot. Le cerveau ne met que 13 milli­secondes pour l’identifier », souligne Julie Pellet, en charge du développement d’Instagram pour l’Europe du Sud.

Du côté des pratiques professionnelles, le neuromarketing tient-il ses promesses ? Sans conteste pour Étienne Bressoud, pour lequel « il a largement fait la preuve de son efficacité pour les tests publicitaires : spot TV, test de packaging, sans oublier le domaine des études organoleptiques ». La société Impact Mémoire s’appuie ainsi sur les sciences cognitives pour pré- et post-tester les concepts créatifs et publicitaires des marques (film, packaging, PLV, logo) : « Notre méthode d’analyse des processus mémoriels permet d’évaluer l’efficacité d’un message publicitaire et au-delà de mesurer sa capacité à s’inscrire dans l’esprit du public », rapporte Bruno Poyet, son président.

Nourrie par les neurosciences, la méthode comportementale du nudge (« coup de coude ») se montre redoutablement efficace pour inciter les individus à adopter un nouveau comportement sans qu’ils en aient conscience. Récente, la méthodologie est, à l’heure actuelle, utilisée à des fins vertueuses pour favoriser les éco-gestes, le don de sang ou encore l’arrêt du tabac3.

Un engouement du marché et des GAFAs4

Basées sur l’intelligence artificielle, les neuro­sciences sont en plein développement grâce à la puissance algorithmique à leur disposition. On peut désormais quantifier les émotions, et donc progressivement construire des modèles d’optimisation publicitaire. La miniaturisation des technologies et les progrès logiciels facilitent les expérimentations. Nul besoin de mettre en place des protocoles lourds et onéreux qui passeraient par le port d’un casque EEG ou un scanner IRM5, les neurosciences proposent aujourd’hui des outils de mesure du système nerveux beaucoup plus accessibles sous la forme de bracelets connectés et de petits capteurs.

Preuve de cet engouement, les signaux se multiplient sur le marché ces dernières années : le puissant institut d’études marketing Nielsen a racheté en 2010 le leader expert dans l’utilisation des neurosciences, Neurofocus. Le sujet est en vogue au sein de la Silicon Valley. Que l’on pense à Alphabet (Google), Facebook et son centre d’intelligence artificielle à Paris, ou bien encore Microsoft. En 2016, la firme lançait l’application iOS Microsoft Selfie avec un algorithme capable de détecter les émotions exprimées par les personnes identifiées sur une photo. Initialement développé en tant qu’application pour les Google Glass, le logiciel spécialiste de l’analyse faciale de la start-up Emotient est entré dans l’escarcelle d’Apple en janvier 2016.

Optimiser l’expérientiel

D’abord circonscrit au test publicitaire, le neuromarketing étend désormais son champ d’application à l’expérience client. « Les feel data® sont le chaînon manquant dont les entreprises avaient besoin pour être réellement client centric. Si les données de vente (taille du panier, nombre de visites, etc.) sont essentielles pour comprendre le parcours client, elles ne disent rien du ressenti du consommateur. En intégrant les feel data® dans leur mix marketing, les marques vont pouvoir avoir une vision plus globale de leurs clients et prospects, et se concentrer sur l’optimisation de l’expérience client, et non plus seulement sur la seule performance », loue Xavier Fischer, spécialiste des neurosciences et Chief Innovation Officer du laboratoire conseil en neuromarketing Datakalab.

Avec l’essor des mesures périphériques et à la faveur de l’accélération technologique, les techniques s’affinent et deviennent plus précises. Pour parvenir à définir les émotions que ressentent les individus face à un stimulus, il faut combiner l’apport des différentes technologies (reconnaissance faciale, mesure électrodermale, analyse de la cohérence cardiaque, eye tracking, etc.), qui, prises seules, présentent de vraies limites. L’activité électrodermale (EDA), par exemple, qui mesure la micro-transpiration par la conductance cutanée au moyen de deux électrodes posées sur les doigts, indique l’intensité d’une émotion, mais ne dit rien de sa nature. « La valeur des data émotionnelles repose sur leur croisement. C’est la condition pour construire des cohortes émotionnelles, définir l’empreinte digitale des émotions et détecter des modèles comportementaux », appuie Xavier Fischer.

« LA VITESSE EST DEVENUE UNE VALEUR EN SOI ET L’ÉMOTION A REMPLACÉ LA LOGIQUE. »


« Attention toutefois à ne pas surestimer le pouvoir des neurosciences, tempère Étienne Bressoud, pour qui ces techniques ne sont qu’un outil d’étude complémentaire. Elles doivent être associées aux traditionnelles méthodologies d’études pour être interprétées, elles apportent un réel complément d’information. » Et si l’émotion joue un rôle crucial dans le processus de décision d’achat, « d’autres facteurs importants bien connus de la psychologie comportementale influent sur le choix, tels le statut social, la norme sociale, l’aversion à la perte ».

Au-delà, le neuromarketing pose la question du libre-arbitre de l’individu : le consommateur est-il maître de ses décisions ou influençable ? Pour l’ensemble des experts rencontrés, le soupçon de manipulation du cerveau qui colle à la peau du neuromarketing est un faux débat. « Il y a une réelle confusion entre mesurer l’émotion et provoquer l’émotion. L’idée qu’il existerait une sorte de “bouton d’achat” à actionner dans le cerveau des consommateurs pour que ces derniers achètent un produit relève du mythe. Le neuromarketing n’est qu’un outil de mesure », argue l’expert.

Influence ou contrôle ?

Les nano- et les biotechnologies laissent pourtant entrevoir une exploitation des neurosciences qui dépasse largement la seule observation du système nerveux, comme en témoigne Sophie Lacour, prospectiviste et docteur en sciences de l’information : « La DARPA, l’agence du département de la Défense des États-Unis chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies destinées à un usage militaire, travaille depuis 2014 sur des implants capables de détecter, de moduler des envies. Qu’il s’agisse de puces offrant une interface cerveau-machine (BCI – Brain Computer Interface) ou régulant les émotions, plusieurs milliers de personnes à travers le monde sont déjà équipées d’une puce neuronale. »

En parallèle, des expériences menées sur des rats au MIT (Massachusetts Institute of Technology) en 2013 ont démontré le pouvoir manipulatoire des neurosciences : « On peut faire bouger la queue d’un rat en activant telle zone de son cerveau ou bien encore lui implanter des faux souvenirs. Qui nous dit que demain nous ne serons pas capables d’activer le dégoût du chocolat à des fins d’équilibre alimentaire par exemple ? » questionne la chercheuse. Pour elle, cette menace du contrôle de nos émotions n’est pas à prendre à la légère. « Sous couvert de nous faire plaisir en répondant au plus près de nos besoins, on enferme l’homme dans des stratégies de consommation dont il n’a pas conscience. Ces outils visent l’hyper-contrôle et éloignent l’humain de son libre-arbitre en évacuant subrepticement l’imaginaire, la sérendipité, l’aléatoire. »

De son côté, Michel Badoc attire l’attention sur un autre danger potentiel des neurosciences dans le contexte digital actuel. Alors qu’en théorie, raison et émotion dialoguent en s’équilibrant mutuellement, l’accélération du temps propre à l’ère numérique ne favorise pas l’exercice critique de la raison. « Le cerveau a besoin de temps pour prendre une décision réfléchie, de 25 minutes au minimum à une nuit lors d’un choix important. » Or, dans l’univers digital qui est le nôtre, la vitesse s’est imposée et guide nos routines, court-circuitant notre raison : fast-food, fast-retail, speed-dating, speed-meeting… « La vitesse est devenue une valeur en soi et l’émotion a remplacé la logique. » Une aubaine pour les marques : immergé dans une vie connectée dont l’immédiateté est le mot d’ordre, le cerveau saturé du consommateur se montre encore plus sensible à leur pouvoir émotionnel.

1. Le Neuro-consommateur. Comment les neurosciences éclairent les décisions d’achat du consommateur, Michel Badoc, Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou, éditions Eyrolles, 2016.
2. « Le secret des marques irrésistibles », TNS-Sofres, 2014.
3. « Le nudge, pour faciliter le passage de l’intention à l’action », INfluencia #17, avril/juin 2016, p. 108.
4. Google, Apple, Facebook, Amazon.
5. En France, l’IRM à des fins marketing est interdit par la loi : « Les techniques d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d’expertises judiciaires » (loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011, article 45). Elles sont autorisées partout ailleurs en Europe.
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