Être humoriste, c'est être féministe
cristina Alonso
Elles ont beau donner de la voix, elles sont toujours sous-présentées sur scène et dans les festivals, qui les jugent trop « filles ». Pourtant, les femmes qui ont dû se battre pour avoir le droit de faire rire dans une société patriarcale n’ont désormais aucun tabou et font rire de tout.
 
Trois femmes sur douze comiques au gala de clôture du Montreux Comedy Festival, qui fêtera en décembre 2019 ses 30 ans ; neuf femmes sur cent artistes lors du festival d’humour Juste Pour Rire de Montréal depuis sa création en 1985 ; sept femmes sur cinquante-six humoristes sur les scènes du Marrakech du rire. Malgré leur nombre croissant, les femmes humoristes représentent encore une minorité.

Réservé aux hommes

C’est que « faire rire » a, jusqu’à récemment, été une affaire d’hommes, un rôle dévolu exclusivement aux pères de famille, chefs d’entreprise, à ceux qui exerçaient le pouvoir… « Faire rire, comme l’explique Sylvie Testud, comédienne, réalisatrice et auteure de cinq romans, était tout simplement une manière implicite d’asseoir sa supériorité, de clouer le bec, d’en imposer… » à ses vassaux, en l’occurrence les femmes au sein du foyer, les salariés (hommes et femmes) dans les usines, sociétés, fabriques. Une manière de subordonner son monde à coup de blagues grivoises, sexistes, auxquelles il fallait acquiescer poliment ou simplement baisser la tête prudemment. Au théâtre, une seule femme (pas une humoriste) est restée célèbre pour ses répliques implacables : Yvonne Printemps. Il faut dire que la chanteuse est l’épouse libre, spirituelle et volage de Sacha Guitry. « Et qu’il fallait en avoir », plaisante Sylvie Testud. Ainsi, à cette petite phrase de l’irrésistible dramaturge : « Tu sais un jour on écrira sur ta tombe : “Yvonne Guitry enfin froide” », Yvonne Printemps répondit du tac au tac : « Sur la tienne on mettra : “Sacha Guitry enfin raide” », faisant allusion à ses soucis très masculins. Reste que pour avoir cet esprit, il fallait avoir en face de soi un homme qui le permette. « Sans Guitry, cette réplique n’aurait pas existé, ou ne serait pas restée dans les annales, poursuit l’auteur de Gamines. Les femmes, malgré leurs avancées, sont encore à l’aube de la parité. »

Le droit de rire

C’est sans doute pour cette raison que la Canadienne Francine Lareau, qui se plaignait du peu de femmes programmées au festival Juste pour rire en 2016, s’est lancée pour son second spectacle dans un hommage à l’humour au féminin. En effet, un an après Chus pas connue (encore !), cette dernière écrit Merci Manda, La Poune, Dodo, Denise, Clémence et tant d’autres ! Des actrices, chanteuses qui ont marqué l’histoire de l’humour burlesque au Québec, entre les années 1920 et 1960. À mi-chemin entre devoir de mémoire et cours d’histoire, la comédienne livre un spectacle qui est devenu une référence pour des professeurs d’université canadiens, honteux d’avoir négligé ces femmes extraordinaires. « Elles ont tenu tête à leur famille, au clergé, à la société. Juliette Pétrie et La Poune ont été les premières femmes à gérer un théâtre en Amérique du Nord. Quand La Poune dirigeait le Théâtre National, elle n’avait pas 30 ans et les femmes n’avaient pas encore le droit de voter au Québec », rappelle Francine Lareau. Car les curés interdisaient à leurs ouailles, surtout les femmes, d’assister à leurs spectacles, sous prétexte que les propos qu’on y tenait étaient indécents.

Une histoire à la marge ? En France, à la même époque, sévit Jacqueline Maillan, ancienne étudiante en droit qui décide de rejoindre le cours Simon (René Simon qui lui conseille d’arrêter la tragédie parce qu’elle fait rire lorsqu’elle joue Racine) pour devenir la comédienne de boulevard que l’on sait. Ainsi devient-elle La Maillan en créant son propre show, J’ai deux mots à vous dire, au théâtre de La Michaudière en 1984, puis en jouant Pièce Montée en 1991, un one woman show écrit par Pierre Palmade alors âgé de 23 ans. « Jacqueline Maillan, qui tout comme Alice Sapritch, s’adonne à la pub… » On se souvient du spot sexiste au bon sens du terme puisque « la grande comédienne s’attaque à son physique tout en faisant le ménage avec Jex Four! » se souvient la comédienne, encyclopédie de l’humour. Suivront Zouc et son humour absurde, Sylvie Joly et son génie bourgeois…

Qu’en est-il des humoristes aujourd’hui ? Bousculent-elles à leur tour l’humour ? Que racontent-elles sur notre société ? Valérie Lemercier, Muriel Robin, Florence Foresti, Anne Roumanoff se revendiquent de cette école à laquelle elles ont été dopées jeunes. Extrêmement drôles, mais sans mobile féministe apparent. Des thèmes comme la famille, les ouvriers, les amis, les tracas du quotidien, le surréalisme parfois…

Laissant leur féminité de côté, LES LAURA LAUNE OU BLANCHE GARDIN nous ouvrent les yeux sur un monde schizophrène.


Vulgarité et noirceur assumées

« Aujourd’hui, les trentenaires sont bien plus cinglantes, et cyniques, parce que l’époque l’est aussi. Elles n’ont pas attendu #MeToo pour réagir à la violence de la société et laissent leur féminité de côté pour finalement nous ouvrir les yeux sur un monde schizophrène. Leurs spectacles sont souvent des œuvres féministes qui ne disent pas leur nom », poursuit Sylvie Testud. Ainsi La Bajon aux mirettes rondes et vulgarité assumée évoque-t-elle les hommes, dont elle situe le cerveau « juste en dessous de celui des labradors », sa vie de chômeuse et ses relations avec Paul… Emploi. Ainsi l’angélique blonde et faussement douce Laura Laune et son petit Maxime adopté, dont elle comprend pourquoi sa vraie maman l’a jeté dans le Nil et chante sur scène son renvoi à l’orphelinat – un sourire touchant aux lèvres. Ainsi Blanche Gardin, ton serein, raconte-t-elle sa première sodomie et la douleur ressentie à la tête, parce que le garçon est trop occupé à la pénétrer pour faire attention à elle… ou bien, mains en prière, son avenir de femme sans enfant qui revient de chez Picard après avoir fait congeler ses ovocytes, et rangé au congélateur « ses enfants pas nés à côté des poissons panés ».

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’humour des femmes n’est pas léger. Et même bien plus âpre que celui des hommes, qui malgré quelques saignées à la Desproges, Gaspard Proust ou Coluche, restent simplement… drôles. « Chez les femmes, l’humour va beaucoup plus loin, car il est en prise avec leur lutte pour se faire entendre, leur part intime, ce qu’elles ont subi dans une société malheureusement encore machiste », conclut la réalisatrice, qui travaille à son film Le Bal des célibataires. Alors, oui, l’humour est bien une arme féministe.
Cristina Alonso
Rédactrice en chef
 
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