Serge Guérin : « Avec les seniors, il y a toute une économie du temps disponible à inventer »
PROPOS RECUEILLIS PAR
Christine Monfort
Selon Serge Guérin, sociologue spécialiste des enjeux du vieillissement et de la solidarité, tout montre que la guerre des générations, que l’on nous annonce pour les temps à venir, n’aura pas lieu. Il constate non seulement une paix des âges, mais aussi un renforcement du lien intergénérationnel.
 
IÑfluencia Comment la société française aborde-t-elle les conséquences du vieillissement de la population ?

Serge Guérin Ceux qui ont 80-85 ans n’avaient jamais vraiment réfléchi au fait qu’ils allaient vivre si vieux. La génération du baby-boom a aujourd’hui autour de 60 ans. Elle voit ses parents vieillir et se rend compte que c’est ce qui va lui arriver demain. Ce qui est d’ailleurs assez paradoxal pour cette génération, qui s’est construite contre les vieux et qui continue de porter le discours sur la guerre des générations. Pour les plus jeunes, cette prétendue guerre n’est pas du tout le sujet ! Aujourd’hui, les familles vivent moins ensemble, mais se choisissent davantage. Le slogan « famille, je vous hais » s’est mué en « famille, je vous aime », voire en « famille, vous êtes ma sécurité sociale ». Les antagonismes entre générations sont beaucoup moins marqués. Il y a dans les familles, et dans le monde du travail, une réciprocité entre générations, car les modes de vie ont évolué pour tout le monde.


Dans votre dernier ouvrage1, vous dites qu’il s’agit moins d’une brouille des âges que d’un brouillage des âges…

SG Toutes les générations sont connectées, même si elles ne le sont pas de la même manière. La différence n’est pas tant générationnelle que géographique (en termes d’accès au réseau) ou sociale, selon que les usages ouvrent ou non sur le monde. Pour les seniors, le numérique est le moyen de garder un lien avec des proches plus jeunes éloignés géographiquement. Le brouillage des âges est aussi très lié à une plus grande longévité de la vie. La période de l’enfance reste assez bien circonscrite. Celle de la scolarité est déjà plus mouvante. À l’âge adulte, les parcours sont beaucoup moins continus. La plupart des gens alternent, de manière voulue ou subie, des périodes de travail, d’études, de chômage et de retour à l’emploi. Dans la vie privée, les séparations obligent à traverser des situations très variées. Le phénomène des slasheurs, souvent associé aux jeunes, se retrouve tout autant chez les seniors. Pour les uns et les autres, cela peut relever d’une question de nécessité, d’envie ou d’estime de soi. On préfère parfois dire que l’on est coach que chômeur…
Le slogan « famille, je vous hais » s’est mué en « famille, je vous aime », voire en « famille, vous êtes ma sécurité sociale ».



Vous plaidez pour un nouveau pacte inter–générationnel. De quelle manière pourrait-il être porté par les pouvoirs publics ?

SG Il y a toujours un hiatus entre le discours des élites sur les vieux et la réalité de la société, où se développe une solidarité familiale ou de proximité. Beaucoup de gens vivent d’ailleurs grâce à cette économie frugale de voisinage, de solidarité et de nécessité. Tout montre que le lien intergénérationnel se renforce, et dans nos temps désenchantés, il apparaît même comme une des planches de salut et une arme privilégiée contre la solitude. Les pouvoirs publics devraient donc s’emparer de ces questions, par exemple en créant un ministère de l’Intergénération, qui toucherait à l’économie, aux territoires, à la santé, la recherche, l’éducation… Ils pourraient aussi mettre en place un service civique intergénérationnel, où les plus âgés partageraient leur expérience avec les jeunes, leur montreraient que l’on vit heureux sans posséder un ou plusieurs smartphones, leur rappelleraient que les droits impliquent des devoirs. Il y a toute une économie du temps disponible à inventer, car cette mobilisation citoyenne peut aider à refaire société. Il faut d’ailleurs arrêter de dire que les seniors sont des « inactifs ». Du point de vue de l’utilité sociale, ils sont même des acteurs majeurs ! Un senior sur deux est un bénévole. Ils représentent 32 % des élus des communes et sont les principaux aidants à la personne. Sans les retraités, le tissu associatif et le système de santé s’écroulent en France !


Le vieillissement de la population est parfois associé au déclin du pays… Or, depuis le lancement de la filière de la Silver économie en 2013, les marques semblent s’intéresser au potentiel économique des seniors.

SG La découverte d’un marché de 17 millions de personnes de plus de 60 ans est vécue comme une aubaine, mais le monde du marketing et de la publicité a trop tendance à voir le vieux comme un porte-monnaie sur pattes. Pourtant, les marques mettent beaucoup de temps à proposer une offre adaptée à leurs besoins. Elles veulent bien profiter de leur pouvoir d’achat, mais sans prendre le risque de faire vieillir leur marque, qui reste le pire cauchemar du directeur marketing. On continue trop souvent à parler aux seniors comme s’ils avaient 45 ans. Dans les agences de publicité, on ne peut pas avoir uniquement des gens de moins de 25 ans qui essaient de vendre à des plus de 50 ans ! Ces juniors auraient besoin de travailler davantage avec des créatifs seniors pour les aider à mieux se mettre à la place de la silver generation. Plus qu’une source de déclin, le vieillissement est un champ d’innovation sociale et technologique. La Silver économie fait preuve d’une belle inventivité, même si certains acteurs ont une vision des seniors très liée à la dépendance. Les propositions pour les personnes âgées doivent toujours veiller à ne pas être trop intrusives, ni stigmatisantes. Comme dans toute filière en construction, il y aura beaucoup de disparitions, mais d’autres choses vont très bien marcher. Certaines très simples, et d’autres très technologiques.
le monde du marketing et de la publicité a trop tendance à voir le vieux comme un porte-monnaie sur pattes.



Comment trouver des parcours du bien vieillir ?

SG Il y a plein de nouvelles solutions à inventer. Les maisons de retraite devraient s’ouvrir davantage sur l’extérieur, avoir des horaires adaptés aux rencontres intergénérationnelles ou aux activités qui créent du lien social. Entre le moment où l’on peut rester à domicile et celui où l’on doit entrer en maison de retraite, on voit par exemple naître des colocations générationnelles, où des gens du même âge se regroupent et se sentent moins seuls. Pour les seniors les plus aisés, les résidences services sont en forte croissance. Moins elles seront stigmatisantes et plus elles seront installées en centre-ville, plus il sera facile pour les gens d’y faire venir leur famille, un coiffeur, leur médecin… et de continuer ainsi à vivre de la façon la plus normale possible.


Les seniors recoupent en fait plusieurs générations. Comment relever le défi du grand âge et de l’autonomie ?

SG On parle de plus en plus de générations de seniors et de générations d’aînés. L’autonomie des aînés est un enjeu majeur. En 2007, trois candidats à la présidentielle s’étaient engagés à créer un « cinquième risque » lié à la dépendance. Mais en 2012, la question du grand âge a été totalement absente du débat. Chez les aînés, il y a proportionnellement moins de gens en grande perte d’autonomie, mais ils sont de plus en plus nombreux. Comme ils entrent plus tard en maison de retraite, leur état cognitif est souvent plus dégradé. Pour cette génération, il faut trouver des solutions qui réduisent les prises de médicaments et qui privilégient la conversation, l’exercice physique et la valorisation de la personne.

1. La guerre des générations aura-t-elle lieu ? Serge Guérin et Pierre-Henri Tavoillot, Calmann-Lévy, 2017.
christine monfort
Journaliste INfluencia
 
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