LES INTERDITS REPRENNENT DU TERRAIN
FRÉDÉRIC THERIN
L’art de la manœuvre s’est imposé dans le monde de la réclame. Non que le politiquement correct soit devenu une censure, il faut jouer avec les lois pour que pub se fasse, que produit se vende. Témoignent ces publicitaires français qui positivisent et font de la contrainte le marchepied de leur créativité, en toute légalité.
 

Affiches tirées du projet Pornographisme, ou comment la classification X oblige les producteurs et les distributeurs à troquer les formes généreuses de leurs actrices contre des titres tapageurs usant d’un lexique d’un autre temps, portés par des typographies inoubliables et bien ancrées dans leur époque…

Certains freins peuvent vous permettre d’aller plus loin et plus vite… La période actuelle n’est pas simple pour les créatifs. Depuis quelques années, leurs libertés se réduisent comme peau de chagrin. Les interdits, de plus en plus nombreux, semblent limiter leurs habilités à pouvoir imaginer des campagnes de communication inédites et originales. « Aujourd’hui, la plupart des photos prises par Jean-Paul Goude ne seraient pas publiées dans la presse ou placardées dans les rues, car elles seraient considérées comme sexistes et trop dénudées, constate Gilles Deléris, le cofondateur de l’agence W. Pierre Desproges ainsi qu’Elie Semoun ne pourraient plus jouer sur scène leurs anciens spectacles. Des effets sociétaux post-soixante-huitards ont encouragé le retour de certaines idées conservatrices et l’émergence d’extrêmes rigides de droite. Il est effrayant de constater que les interdits reprennent du terrain.


L’agence Forward, pour Pernod Absinthe, a demandé à la Maison Kitsuné de créer un design suivi d’une collection de mode en phase avec l’édition limitée de l’absinthe.


Cette évolution a eu notamment des conséquences sur les campagnes d’affichage qui sont devenues lénifiantes et désastreuses. [La société d’affichage] Avenir n’aurait plus le droit de montrer sur ses panneaux Myriam, qui promettait “d’enlever le haut” avant de s’engager à “enlever le bas”. C’est fou de penser que cela était possible en 1981, mais plus aujourd’hui. »
Ce « mal » est particulièrement français. « Nous vivons dans un pays particulier dans lequel les réglementations concernant notamment la publicité sur les cigarettes et l’alcool sont les plus strictes au monde, reconnaît Eric Tong Cuong [qui a fondé l’agence BETC et le label Naïve avant de présider EMI pour finalement co-créer l’agence de communication La Chose]. Mais on peut pleurer face aux contraintes qui se dressent devant nous… ou au contraire les embrasser. Je suis convaincu qu’elles représentent un véritable moteur de créativité. »
On peut pleurer face aux contraintes qui se dressent devant nous… Ou au contraire les embrasser.



ARRONDIR CRÉATIVEMENT LE CADRE

Un mal peut parfois être un bien… « Lorsque la censure est importante, il faut être imaginatif et se surpasser, résume Alexandre Sap, le fondateur de l’agence de com’ Forward. C’est lors des périodes de chaos que la créativité est la meilleure et la plus forte. La renaissance italienne est la conséquence de siècles d’interdits. Un philosophe n’écrit jamais aussi bien que lorsqu’il est en prison. La frustration nous pousse à être créatif. » La loi Évin votée en 1991, qui encadre la publicité sur les boissons alcoolisées et interdit toute propagande directe ou indirecte en faveur du tabac, ainsi que la distribution gratuite de cigarettes et les opérations de parrainage, a représenté un véritable casse-tête pour les professionnels.
« Il a tout d’abord fallu bien étudier ce texte pour comprendre ce qu’on avait encore le droit de faire, se souvient Alexandre Sap. Nous avons alors estimé que le meilleur moyen pour contourner les interdits était de ne pas parler du produit en lui-même, mais de ses valeurs… Pour le lancement de Pernod Absinthe, nous avons insisté sur le fait qu’il s’agissait de la marque des artistes, car cet alcool a inspiré de nombreux grands peintres comme Picasso… »


L’agence Forward, pour Pernod Absinthe, a demandé à la Maison Kitsuné de créer un design suivi d’une collection de mode en phase avec l’édition limitée de l’absinthe.


Pour faire connaître un label ou un nouveau produit, les communicants sortent des sentiers battus en utilisant des supports originaux et innovants. « Nous avons demandé à Maison Kitsuné d’imaginer un design pour une édition limitée de notre absinthe, surenchérit Alexandre Sap. Nous avons lancé cette bouteille comme une collection de mode, avec des présentations à New York, Londres, Tokyo et Paris. Pour éluder les contraintes juridiques tout en faisant passer nos messages, nous devons changer notre courbe d’apprentissage en utilisant notamment les méthodes du guérilla marketing. » Cette technique ne date pas d’hier… « Le succès mondial du film Emmanuelle en 1974, qui a attiré 45 millions de spectateurs, dont 9 millions en France, a encouragé de nombreuses salles en France a montré des films de fesses, rappelle Mickaël Draï, qui va sortir au mois de novembre un livre intitulé Pornographisme. Mais lorsque le président Valéry Giscard d’Estaing a décidé l’année suivante de modifier la législation en prévoyant une taxe plus lourde et la fin des subventions publiques pour les 3 000 cinémas qui diffusaient du porno au début des années 1970, les exploitants ont choisi de faire profil bas et d’être plus discrets en ne montrant plus de corps nus sur leurs affiches. Ils ont préféré imaginer des titres racoleurs et présenter des typographies tape-à-l’œil pour attirer le regard des passants. Les amateurs ont ainsi pu voir Les Gros Seins de la fermière, Pornotissimo, Le Membre de fer, La Grosse Cramouille de la garagiste ou La Mouillette infernale… Le graphisme utilisé pour La Grande Giclée était, lui, très évocateur. On n’était pas là pour rigoler à cette époque… »
Un philosophe n’écrit jamais aussi bien que lorsqu’il est en prison.



DÉPASSER LA LIMITE AUTORISÉE

Les créatifs et les communicants n’hésitent plus aujourd’hui à flirter avec la légalité pour faire fi de certains interdits. Un fabricant français de spiritueux peut par exemple demander à sa filiale américaine de commander une campagne publicitaire à une agence afin d’offrir ses spots à un média local, comme le New York Times, pour qu’il les diffuse sur son site. Les internautes du monde entier, et notamment… français, pourront ainsi voir des publicités d’une marque d’alcool hexagonale sans que la loi Évin ne soit enfreinte. « Au même titre que le réfugié politique qui écrit un livre à l’étranger pour qu’il soit échangé sous le manteau dans son pays d’origine, on devient une sorte de réfugié créatif », résume le fondateur de l’agence Forward.
La Toile offre ainsi un nouvel espace de liberté pour les créatifs.
Les créatifs et les communicants n’hésitent plus aujourd’hui à flirter avec la légalité pour faire fi de certains interdits.



« Les spécialistes du marketing font trop de tests en amont pour des publicités destinées à la télévision parce qu’ils veulent trouver un barycentre qui leur permettra de plaire à tout le monde, regrette Eric Tong Cuong. Mais il est impossible d’atteindre un tel but ! Personne ne possède 100 % de parts de marché ! La multiplication des tests vous pousse à faire des choses plus caricaturales et moins subtiles. Internet nous offre davantage de liberté. On peut diffuser sur le Web des trucs barrés, qui peuvent ensuite monter à la télé en cas de succès. La Toile est un laboratoire qui nous permet de drainer de nouveaux publics et de rendre les marques plus cools, car les clients nous laissent de plus grandes marges de manœuvre. »
Ne croyez pas pour autant que les créatifs fassent tout et n’importe quoi lorsqu’on leur lâche la bride… « Je suis convaincu qu’il n’existe pas de création sans contraintes, tranche Gilles Deléris. La contrainte est fertile, car elle permet d’imaginer des choses qui n’ont jamais été faites auparavant dans un cadre existant. La liberté absolue est un fantasme qui rend fou. C’est particulièrement vrai en France, un pays dans lequel les structures sont extrêmement fortes. La tour Eiffel est un symbole de créativité, mais elle a été construite en respectant des règles d’ingénierie très strictes. Tout acte créatif est par définition l’attaque d’un interdit, mais cela ne veut pas dire qu’il ne respecte pas certaines contraintes… » À méditer...
FRÉDÉRIC THERIN
Journaliste, correspondant Allemagne INfluencia
 
ABONNEZ-VOUS À LA REVUE
SOMMAIRE
FERMER
S'ABONNER À LA REVUE INFLUENCIA

Je peux accéder immédiatement à la revue digitale et recevrai mes revues papier par courrier.

Je pourrai accéder à la revue digitale après réception du paiement et recevrai mes revues papier par courrier.
JE ME CONNECTE OU M'ABONNE POUR ACCÉDER AUX CONTENUS ×
J'AI UN COMPTE (JE SUIS ABONNÉ.E OU J'AI ACHETÉ CE N°)
E-mail

Mot de Passe


JE SOUHAITE M'ABONNER POUR 1 AN OU ACHETER UN/PLUSIEURS N° SPÉCIFIQUE.S DE LA REVUE

Accédez immédiatement à votre Revue en version digitale. Puis recevez la.les Revue(s) papier par courrier (en cas d'achat ou de souscription à l'offre complète Papier + Digital)

JE ME CONNECTE OU M'ABONNE POUR ACCÉDER AUX CONTENUS ×
J'AI OUBLIÉ MON MOT DE PASSE
E-mail


JE M'ABONNE, ME REABONNE OU COMMANDE UN N° ×
OFFRE PRINT + DIGITALE + AUDIO

JE M'ABONNE

Vous aurez accès aux numéros 37,38,39,40
de la revue papier et leurs versions digitales.
L’abonnement démarre à réception du paiement.
1 an - Envoi en France - 98 €
1 an - Envoi à l'Étranger - 129 €
1 an - Tarif Étudiant - 78 €
JE COMMANDE UN SEUL N°
Numéros encore disponibles en version papier et digitale.
No37 - Le désir - 29 €
No36 - Mobile - 29 €
No35 - Inspirations 2021 - 29 €
No34 - Le Travail - 29 €
No33 - Le Good - 29 €
No32 - Territoires - 29 €
No31 - Art de Ville - 29 €
No30 - Spécial 15 ans - 29 €
No29 - Sport - 29 €
No28 - Femmes engagées - 29 €
No27 - Les jeunes - 29 €
No26 - I.A. - 29 €
No25 - La pub TV - 29 €
No24 - Le Retail - 29 €
No23 - Les Français - 29 €
No22 - Entertainment - 29 €
No21 - Curiosite - 29 €
No20 - Emotion - 29 €
No19 - Transformation - 29 €
No18 - Inspiration - 29 €
No17 - Anthologie - 29 €
No16 - Vivre connecté - 29 €
No15 - Le Shopper - 29 €
No13 - L'Influence - 29 €
No11 - Le Futur - 29 €
No10 - La Ville - 29 €
No9 - Data - 29 €
No5 - Les Médias - 29 €


Hors-série - Conversation - 29 €
Voir +
OFFRE DIGITALE + AUDIO

JE M'ABONNE

Vous aurez accès aux numéros 37,38,39,40
de la revue en version digitale.
1 an - Version digitale - 79 €
JE COMMANDE UN SEUL N°
Numéros disponibles en version digitale uniquement.
No digital 37 - Le désir - 25 €
No digital 36 - Mobile - 25 €
No digital 35 - Inspirations 2021 - 25 €
No digital 34 - Le Travail - 25 €
No digital 33 - Le Good - 25 €
Voir +
Commande avec obligation de paiement

J'accepte les Conditions Générales de Vente
JE CRÉE MON COMPTE
INFORMATION FACTURATION
Nom*

Prénom*

Société

Activité de l'entreprise

Email envoi de facture*


Adresse*

Code Postal*

Ville*

Pays

Tel

Fax



J'AI DÉJÀ UN COMPTE INFLUENCIA

INFORMATION FACTURATION
Nom*

Prénom*

Société

Activité de l'entreprise

Email envoi de facture*


Adresse*

Code Postal*

Ville*

Pays

Tel

Fax



JE CONSULTE GRATUITEMENT LA REVUE ×


Nom*

Prénom*

Email*

Fonction*

Société

Activité de l'entreprise