IÑfluencia POURQUOI ESTIMEZ-VOUS QU’AVEC LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE, L’HUMANITÉ, TELLE QU’ELLE EXISTE AUJOURD’HUI, SOIT CONDAMNÉE À DISPARAÎTRE ?
Pierre Calmard La nature et l’univers connaissent une phase d’accélération sans précédent. Comme l’espèce n’arrive plus à muter assez vite, les nanotechnologies le feront plus vite que la biologie. Nous sommes donc à un point d’inflexion où nous voyons apparaître un être hybride, un mutant biotechnologique. Pour la première fois, une espèce a l’opportunité d’avoir une influence sur son évolution et sur sa propre descendance, à travers la fusion homme-machine et l’émergence d’un corps augmenté. C’est très enthousiasmant, mais cela confère aussi une grande responsabilité, presque morale ou métaphysique. Comme c’est inéluctable, le problème n’est pas de savoir si c’est un bien ou un mal. En revanche, l’homme doit inventer la vie qui va avec ce nouvel écosystème, et trouver les moyens de protéger sa liberté face au pouvoir de l’intelligence artificielle et des algorithmes.
IÑI QUe faut-il changer ?
PC La conscience et l’intelligence augmentée seront en partie localisées dans les réseaux. Si la limite n’est plus biologique, les consciences numérisées rendent possible l’émergence d’un ailleurs, qui n’était pas envisageable auparavant. Cet « ailleurs » étend considérablement le territoire potentiel de la liberté, ce qui amène des opportunités et des risques. Techniquement, on pourra aussi vivre beaucoup plus longtemps qu’actuellement, alors qu’on n’en aura pas forcément envie. Je plaide donc pour une inversion totale des valeurs – qui passera entre autres par la remise du désir au centre du système. Il faut se battre pour que, dans un monde devenu plus complexe, l’intelligence augmentée soit plus bienveillante et permette de réinventer le bonheur dans un monde post-digital. Cela passera également par le renforcement de l’hyper-individualité, qui n’est pas une forme d’hyper-individualisme, mais bien au contraire l’émergence d’une individualité agissante et plus empathique. L’être humain n’est évidemment pas un parangon de bienveillance, mais sur le très long terme, on voit déjà que le monde va vers davantage de pacification.
IÑI EN QUOI CETTE THÉORIE EST-ELLE COMPATIBLE AVEC LA DÉCONNEXION CHOISIE OU SUBIE, QUI COHABITE AVEC L’HYPER-CONNEXION ?
PC Ne pas profiter de cette possibilité d’être connecté à un savoir élargi devient une renonciation. Un être vivant dépend toujours de son écosystème. Les générations à venir n’auront plus le choix d’être connectées ou pas, car cela constituera leur écosystème vital. La partie de l’espèce qui choisira de rester dans l’écosystème d’avant va s’étioler et mourir, comme cela s’est déjà passé pour d’autres espèces dans l’histoire de la vie sur Terre.
IÑI TOUT CELA S’INSCRIT DANS UN PROJET GLOBAL. POURTANT, NOS SOCIÉTÉS CONSUMÉRISTES ONT DE PLUS EN PLUS DE MAL À S’ACCORDER SUR UN DESSEIN COLLECTIF…
PC L’intelligence augmentée sera collective, car elle s’inscrit dans une logique d’espèce. Pour qu’elle émerge, il faut aussi s’appuyer sur une « réévolution » individuelle. Chacun doit réapprendre à se saisir de son destin et avoir une vision critique positive pour changer le monde. C’est pour cela qu’il faudrait sans doute enseigner aux enfants, dès le primaire, la philosophie – pour donner du sens – et le code informatique – afin de leur permettre de décoder le système dans lequel ils vivent.
IÑI EN QUOI LES COMMUNICANTS SONT-ILS AU CŒUR DE CES TRANSFORMATIONS ?
PC J’ai, sur ce sujet, sept convictions, que j’explique à mes clients et qui sont nées de l’analyse dont se préfigure l’homme à venir. Aujourd’hui, la transparence est devenue fondamentale dans les relations entre les marques et leurs consommateurs. Les marques doivent donc assumer leurs responsabilités, réinventer leurs stratégies de communication, miser sur des messages plus personnels, dépasser leurs frontières, trouver ce qui détermine leur préférence de marque. En tant qu’entreprises, elles doivent aussi favoriser le bonheur de leurs salariés, de leurs partenaires, de leurs clients… Je ne crois plus aux organisations fondées sur le terrorisme mental. Les start-up sont la preuve que les entreprises peuvent avoir d’autres modes d’organisation, un respect des individus et un rapport au travail différents. D’ailleurs, les jeunes générations sont davantage attachées à un projet, et aux gens avec lesquels elles travaillent, qu’à l’entreprise en tant qu’institution. Le seul projet d’avenir, le seul projet de toute organisation, c’est la réinvention du bonheur.