29 janvier 2018

Temps de lecture : 5 min

Quand le marketing vend vraiment de l’air

Il y a quatre ans, un milliardaire chinois commercialisait des canettes d'air pur dans des mégalopoles irrespirables de l'Empire du milieu. Deux ans plus tard, la start-up Vitality Air vendait du CO2 des montagnes canadiennes sur eBay. Depuis le marketing cynique est passé par là. Un marché est né et il crache sur nos tombes comme dirait Boris Vian.

Il y a quatre ans, un milliardaire chinois commercialisait des canettes d’air pur dans des mégalopoles irrespirables de l’Empire du milieu. Deux ans plus tard, la start-up Vitality Air vendait du CO2 des montagnes canadiennes sur eBay. Depuis le marketing cynique est passé par là. Un marché est né et il crache sur nos tombes comme dirait Boris Vian.

Orizon est un cabinet de conseil immobilier proposant d’estimer gratuitement la valeur économique de biens que vous souhaiteriez acquérir à l’avenir. Spécialisée dans l’anticipation de la montée des océans et des mers, l’agence concentre son offre sur l’estimation de biens qui seront situés en bord du littoral d’ici 2100. En novembre dernier, l’opportunisme cynique de cette entreprise bad buzz symbolisait sciemment la vénalité d’un ultra-libéralisme capable de flinguer la planète pour son seul référent : l’argent. Heureusement, Orizon n’était qu’une splendide campagne Greenpeace orchestrée par l’agence digitale Artefact. Malheureusement Vitality Air et son commerce de canettes d’air pur n’est pas un hoax publicitaire, elle. Depuis 2015, cette start-up canadienne fait son beurre sur la pollution de l’air, qui chaque année en Europe, tue 500 000 personnes.

Pour les deux co-fondateurs Moses Lam et Troy Paquette, cette aventure entrepreneuriale révélatrice d’une époque de consommation irréfléchie semeuse de peurs a débuté comme une simple blague. Il y a trois ans, ces deux courtiers en prêts immobiliers veulent briser la monotonie de leur vie professionnelle. Ils mettent alors en vente sur eBay un sachet plastique zip rempli d’air. Le prix ? 90 centimes d’euro. Un deuxième est rapidement vendu dans la foulée. L’initiative digne d’un film des Monty Python alerte quelques médias et le troisième sachet trouve preneur pour 150 euros. Vitality Air vient de naître. Son marché ? De l’air pur à respirer. Surréaliste mais tristement vrai.

Une fois conçue, une canette en aluminium assez robuste pour survivre aux différents services postaux, le binôme fait entrer le marketing en lice, comme le raconte un passionnant papier publié par The Guardian. Los Angeles, mégalopole polluée mais évangélisée à l’urgence écologique, est identifiée comme un marché prioritaire. La Cité des anges a fait la fortune de l’eau Fiji, pour la séduire, Moses Lam et Troy Paquette décident donc de re-packager leur air frais en transformant leurs canettes en bouteilles d’eau en aluminium pour hipster yogiste. Quelques mois plus tard, Vitality Air envoie 5000 bouteilles en Chine qui avec l’Inde, le Mexique, la Corée, le Vietnam et l’Iran, effacent rapidos L.A de la liste des débouchés commerciaux.  » Je ne connais pas la population exacte de Los Angeles, mais ce n’est sûrement pas 2,8 milliards « , justifie avec pragmatisme Moses Lam dans le quotidien britannique.

Un marché du CO2 qui en offre pour tous les besoins

Demandez lui de définir son business en une phrase et la réponse fuse :  » On prend de l’air pur là où il est pour le transporter d’un bout à l’autre du monde « . Il omet de préciser que la pérennité de sa start-up dépend complètement de la pollution de l’air. Si l’Humanité résout ce problème de santé publique, Vitality Air n’est plus. Malgré les efforts de papiers engendrés par les grands raouts environnementaux internationaux, le grand jour écolo n’est pas encore arrivé. Ce marché naissant a encore de beaux trimestres de profits devant lui.

Inspirés par Vitality Air, des concurrents étrangers se lancent. En mai 2016, deux entrepreneurs australiens trouvent le moyen de capturer l’air pur des quatre coins de leur pays pour lancer Green & Clean. Les canettes, vendues entre 13 et 17 euros, permettent entre 130 et 140 grandes inspirations d’air pur. En Suisse, Swizzbreez, Pure Swiss Air et Alpine Air ont suivi. Segmentation marketing oblige, il y a en a même désormais pour tout le monde : de l’air de luxe 100% montagnard pressé à froid, de l’air pour les jeunes mamans, de l’air pour l’employé de bureau, de l’air pour les enfants. Et même pour les grands-parents. Le prix ? Une bouteille Vitality Air de 8 litres coûte 15 euros. La canette de Swissbreezz atteint les 20 euros. Tandis qu’une jarre de 580 ml de la marque britannique Aethaer coûte 90 euros. Même Mel Brooks dans son mythique et dystopique Spaceballs n’avait pas osé.

Une pureté qui reste encore à prouver

Qualifiée par l’OMS comme de  » premier risque de santé environnementale dans le monde « , la pollution de l’air est responsable de 6,5 millions décès prématurés chaque année. Une aubaine pour Vitality Air qui, en novembre dernier, annonçait plus de 200 000 ventes. Quid des bénéfices réels sur la santé de cet air en bouteille ? Vitality Air n’a conduit aucune étude pour prouver l’utilité réelle de son produit. Ses concurrents non plus.

 » Il n’existe aucun rapport médical sur les bénéfices d’une aussi petite quantité d’air frais. Personne ne s’est vraiment attaché jusqu’ici à savoir si respirer de l’air d’une canette ou d’une bouteille avait de vrais effets positifs sur le corps « , confesse dans le Guardian, John Dickinson, le patron de Green & Clean. Même verdict chez la doctoresse Sarah Elkin, consultante en médecine respiratoire au Collège Impérial de Londres. Tous ces vendeurs d’oxygène ne présentent non plus pas la moindre preuve concrète attestant de la pureté de leur air. Ils oublient aussi d’insister sur le fait que leur air est comprimé dans une bouteille en aluminium envoyée à l’autre bout du monde par bateau ou avion,  » ce qui contribue largement à faire augmenter la pollution atmosphérique globale « , constate le site de la RTS.

On exporte déjà de l’eau et du fromage, pourquoi pas de l’air

Mais bon, dans le doute ne t’abstiens pas et Vitality Air planche déjà sur un sac à dos rempli d’air qui permettrait  » de respirer de l’air frais pendant toute une journée de travail « , dixit Moses Lam.  » Cela ne résoudra pas la pollution de l’air mais cela offrira au moins une alternative, un échappatoire « , poursuit-il, persuadé que la qualité de l’air va aller en régressant dans les années à venir.  » Au plus nous collectons notre air, au mieux c’est « , ajoute même le co-fondateur de Vitality Air.

 » Chaque année, les touristes viennent dans les Alpes suisses pour profiter des vues revigorantes et respirer l’air frais de la montagne. Ce n’est que l’exportation de l’air frais que nous pouvons offrir. Nous exportons déjà l’eau suisse des montagnes, du chocolat et du fromage. Alors, pourquoi ne pas exporter de l’air pur ? C’est le meilleur air du monde « , expliquait à Sputnik France, en septembre 2017, le fondateur d’Alpine Air. Fin 2013, le multimillionnaire chinois, Chen Guangbiao, avait déjà commercialisé des canettes d’air du nord de la Chine. Il disait en avoir vendu 10 millions en 10 jours, alors que les niveaux de pollution explosaient. Comme quoi quand il faut faire du business, le crime profite toujours à certains.

 

Crédit photo Frederik van den Berg / Ilka and Franz pour the Observer

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