22 mai 2017

Temps de lecture : 4 min

450 millions d’euros pour transformer La Poste

Depuis plusieurs années, La Poste entreprend un programme de transformation interne radical. Il est porté par la direction numérique et repose notamment sur l’engagement social, la formation, impliquant des échanges réguliers avec les partenaires sociaux. Entretien avec Sylvie Joseph, directrice du programme de transformation interne.

Depuis plusieurs années, La Poste entreprend un programme de transformation interne radical. Il est porté par la direction numérique et repose notamment sur l’engagement social, la formation, impliquant des échanges réguliers avec les partenaires sociaux. Entretien avec Sylvie Joseph, directrice du programme de transformation interne.

INfluencia : pourquoi avoir décidé de lancer un vaste programme de transformation ? 

Sylvie Joseph : si La Poste existe depuis cinq siècles, c’est parce qu’elle s’est toujours transformée au fil du temps. Depuis quatre à cinq ans, nous avons accéléré notre processus de transformation en raison notamment de l’essor du digital. Le passage progressif à une économie servicielle touche tous nos métiers. Le courrier enregistre une chute annuelle drastique de 6 % à 6,5 % de ses volumes, tandis que notre activité dans le colis rapide et express affiche sur ce même temps une progression de plus de 8 % en raison de la hausse des ventes sur Internet. Mais la nature même de ce métier s’est totalement transformée. Nous sommes passés d’un modèle BtoB au BtoBtoC, voire au BtoC. Lorsque nous transportons un colis acheté sur Internet, la plateforme nous paie, mais quand le client final peut éventuellement rencontrer un souci avec la livraison de sa commande, il s’adresse à nous et non pas à l’entreprise qui lui a vendu son produit.

Nous sommes là dans un système BtoBtoC. Et lorsque nous proposons aux particuliers de placer dans leurs boîtes aux lettres les objets commandés sur la Toile qu’ils souhaitent renvoyer, nous faisons du BtoC. Cela requiert un changement fondamental de notre modèle de fonctionnement. Et cette nouvelle donne n’est pas toujours présente dans nos gènes. Le numérique nous offre aussi de nombreuses opportunités. Toutes ces raisons nous ont encouragés à mettre en place notre chantier de transformation.

IN : comment convaincre 253 000 salariés d’évoluer de manière radicale ?

SJ : en les impliquant dès le départ dans nos chantiers de transformation… Nous sollicitons systématiquement depuis 2008 tous les acteurs concernés par un chantier en utilisant le modèle de « co-construction ». La coopération est un élément structurant de notre plan stratégique. Pour transformer les bureaux de poste, nous avons identifié vingt sites éparpillés sur tout le territoire et nous avons testé, par tâtonnement, plusieurs formules durant six mois. Nous avions auparavant interrogé 150 000 postiers pour qu’ils nous donnent des idées et des suggestions, lors d’ateliers créatifs ou pendant des réunions qui duraient deux à trois heures.

IN : impliquer autant de salariés doit prendre beaucoup de temps et coûter énormément d’argent…

SJ : le temps que vous passez dans la phase de construction de votre chantier de transformation, vous le gagnez dix fois lors de son déploiement. Nous avons ainsi réussi à changer près de 2 000 bureaux de poste en seulement trois ans, ce qui est extrêmement rapide, car le pilotage de ce programme était assuré par les collaborateurs qui avaient essuyé les plâtres en participant aux essais sur les vingt bureaux tests. Ces salariés sont parvenus à susciter l’adhésion de leurs collègues, car ils ont pu leur expliquer les raisons qui nous avaient conduits à faire tel et tel choix. Concernant le coût de notre transformation, La Poste a dégagé, pour la période comprise entre 2015 et 2020, un budget de 450 millions d’euros qui s’ajoute à l’enveloppe habituelle de 250 millions d’euros consacrée à la formation.

IN : comment parvenez-vous à former autant de collaborateurs ?

SJ : nous favorisons la formation numérique en proposant notamment l’enseignement en ligne avec un partenaire extérieur. Nous avons également mis en place quatre MOOCs [Massive Open Online Courses, cours en ligne ouverts à tous, ndlr]. Suite à la demande de certains collaborateurs, qui s’étaient portés candidats pour le faire, nous offrons en outre des cours en peer to peer. Les volontaires qui maîtrisent certains sujets numériques peuvent ainsi, après une évaluation de leurs connaissances, prendre sur leur temps personnel pour expliquer aux collègues intéressés comment faire telle ou telle chose. Cette formule donne d’excellents résultats, car les personnes qui vous proposent les cours parlent le même langage que le vôtre : un postier s’adresse à un postier, et un gestionnaire de compte à un autre gestionnaire de compte. Nous allons enfin bientôt désigner des ambassadeurs qui accompagneront leurs collègues afin qu’ils puissent utiliser certains outils en particulier. Ces formations sont plus efficaces que le format purement académique.

IN : la moyenne d’âge atteint 47 ans, n’ont-ils pas freiné des quatre fers en entendant le mot « transformation » ?

SJ : objectivement, les postiers sont tout à fait conscients de l’absolue nécessité de transformer leur métier. Ils sont très matures sur ce sujet. Leur enthousiasme est plus important que leur crainte du changement. C’est en faisant participer les collaborateurs aux projets de transformation que vous les aidez à surmonter leur peur et à dédramatiser la situation. Et l’âge n’est pas un marqueur important de résistance au changement.

IN : comment faites-vous pour les encourager à travailler davantage ensemble ? 

SJ : nous avons notamment développé un projet pour modifier l’espace physique dans lequel travaillent nos collaborateurs. À Paris, nous allons passer de neuf à trois sièges. Nous réaménageons nos immeubles en installant des open spaces qui comprendront de deux à onze personnes. Des espaces de convivialité sont aussi prévus pour encourager les échanges… L’objectif est de permettre aux salariés de se rencontrer et de parler ensemble. Nous voulons parallèlement limiter l’usage du mail au travers de la mise en place d’un nouveau poste de travail collaboratif qui va permettre d’échanger et de travailler plus efficacement, y compris à distance ou en situation de nomadisme.

IN : les partenaires sociaux vous soutiennent-ils ?

SJ : la direction des ressources humaines (DRH) a signé un accord avec eux et ils ont conscience que La Poste doit absolument se transformer. C’est vrai notamment dans le domaine de l’organisation du travail. Les syndicats restent vigilants, mais ils participent de manière constructive.

IN : quel est le rôle de la DRH dans le processus ?

SJ : il est primordial. Ce métier se transforme totalement depuis quelques années. L’arrivée de la data et le succès des réseaux sociaux obligent les relations humaines à s’adapter. De nombreux métiers qui existeront dans dix ans ne sont pas connus aujourd’hui. La gestion des talents est un sujet énorme. Qui sont les talents d’aujourd’hui et ceux de demain ? Comment préparer les salariés aux fonctions qu’ils devront occuper à l’avenir ? Ces enjeux sont colossaux pour La Poste.

Article publié dans la revue INfluencia sur la transformation

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