25 juin 2018

Temps de lecture : 4 min

« La data ne va pas fermer le robinet de la créativité »

Marier créativité et data n’est plus un luxe mais une nécessité de nos jours. Cette union, redoutée par beaucoup de « créa », peut toutefois s’avérer heureuse…

Marier créativité et data n’est plus un luxe mais une nécessité de nos jours. Cette union, redoutée par beaucoup de « créa », peut toutefois s’avérer heureuse…

Marier l’eau et le feu. Unir l’inspiration créative et la froide arithmétique des algorithmes et de la data. Les « créa » ont profité pendant plusieurs décennies d’une totale liberté pour imaginer leurs campagnes. L’objectif avoué était de trouver la next big idea qui ferait mouche auprès du grand public. L’avènement d’internet, du numérique et des médias sociaux a bouleversé à tout jamais cet équilibre dont les agences ont tant profité. L’étude des données permet désormais d’analyser les attentes des consommateurs et de connaître leurs réactions face à une campagne. Les publicitaires doivent se plier à des « briefs » de plus en plus précis de leurs annonceurs.

Et cette tendance n’est pas prête de disparaître. Bien au contraire. « La publicité aujourd’hui ne peut être conçue qu’en fusionnant deux mondes opposés : créativité et science ! », préviennent Oracle, EBG-Elenbi et Publicis ETO dans leur livre blanc intitulé « Data & Créativité ». Ce constat n’est pas alarmant pour autant. « Data et créativité ne sont pas antinomiques, juge ce rapport très complet et enrichissant. La créativité (…) doit devenir une véritable cardinalité culturelle au sein des organisations. Le Chief Data Officer doit en être le  catalyseur ». Spécialiste de l’Expérience Client chez Oracle et co-auteur de ce livre blanc, Roland Koltchakian revient pour INfluencia sur les conclusions de son enquête.

IN : pourquoi avez-vous choisi d’analyser les liens qui unissent la data et la créativité ?

Roland Koltchakian : cette relation entre la data et la créativité est un vaste sujet que nous commençons tout juste à entrouvrir. Tous les usages et les codes sont à définir. Nous voyons des tendances émerger notamment aux Etats-Unis et des petites agences spécialisées s’ouvrir ici ou là mais beaucoup reste encore à faire. Nous avons d’ailleurs voulu rester très humbles dans notre livre blanc. Nous ne sommes pas dans le discours prophétique. Nous nous contentons de constater et d’observer.

IN : pourquoi Oracle a choisi de travailler sur ce thème qui semble davantage concerner les agences et les annonceurs ?

R.K. : les liens qui unissent la data et la créativité vont impacter la manière dont les clients vont consommer de la data. Il faudra aussi mettre en oeuvre de nouvelles technologies pour sceller ce mariage et cela aura des conséquences dans trois secteurs : la data, les technos et le contenu. Or nous sommes présents sur la data et la technologie…

IN : qui a été le premier annonceur à comprendre l’utilité de marier la créativité à la data ?

R.K. : il y a près de cinq ans, le Cirque du Soleil a constaté une baisse brutale de la fréquentation de certains de ses spectacles. Dans plusieurs villes, son activité était devenue exsangue. Pour comprendre les raisons de cette chute, la société a recruté un Chief Data Officer. L’étude des données récoltées sur les réseaux sociaux et les forums de discussions ont permis de comprendre quelles étaient les attentes des spectateurs. Une analyse précise des autres événements qui étaient proposés dans les villes ou le Cirque du Soleil était présent a aussi permis de mieux comprendre la concurrence locale dont pouvaient souffrir certains spectacles. Ces datas ont été mises à la disposition des équipes artistiques du Cirque qui ont alors imaginé des univers différents en fonction des marchés visés. Et la fréquentation des shows est vite repartie à la hausse…

IN : la « Big Idea » n’a plus de raison d’être alors…

R.K. : beaucoup de gens remettent en question le concept de « big idea » et préfèrent démultiplier les « small ideas » afin de répondre à l’hétérogénéité des comportements vis à vis d’une marque. Je pense, pour ma part, qu’il existe une complémentarité entre ces deux concepts. Une marque puissante a besoin d’une « big idea » pour porter un message fort, fédérateur et inspirationnel. Mais elle doit, parallèlement, passer du temps à chercher des « small ideas » pour toucher ses différents publics. Elle a besoin de rééquilibrer ses forces pour marcher sur ses deux jambes.

IN : le « créa » tout puissant appartient, lui, à une race en voie d’extinction…

R.K. : notre livre blanc prouve en effet que le temps, où les directeurs artistiques et les planneurs stratégiques pouvaient travailler dans leur coin, est révolu. Aujourd’hui, les agences ont besoin de mettre en place des équipes pluridisciplinaires qui comprennent des spécialistes de la data, des data storytellers, des planneurs et des créatifs. Ce modèle doit encore être peaufiné mais il est clair que la data permet de réobjectiver le débat et de créer un consensus grâce à des éléments plus rationnels. La limite de cette équation est souvent liée à l’ego de certaines personnes…

IN : certaines agences ne risquent-elles pas de faire de la résistance contre cette évolution de leur métier ?

R.K. : certains publicitaires peuvent penser que la data est un gadget qui tue la créativité mais les clients cherchent chaque fois plus à vérifier l’efficacité de leurs campagnes, et l’étude des données est le meilleur moyen de mesurer ces impacts. Beaucoup d’agences, aux Etats-Unis notamment, considèrent d’ailleurs la data comme un moyen efficace pour relancer les relations qu’elles entretiennent avec leurs clients.

IN : comment est vécue cette « révolution » en France ?

R.K. : on peut être optimiste au sujet de l’émergence et de l’accélération de cette tendance en France. Beaucoup de petites boutiques spécialisées dans l’étude des données liées à la créativité ont vu le jour ces dernières années comme Artefact ou Converteo. De grands groupes comme Publicis et Havas suivent la même voie. La prise de conscience est réelle mais il ne suffit pas de recruter un data scientist pour vraiment changer de culture. Il faut se lancer dans un véritable processus d’acculturation et encourager l’hybridation des compétences pour être efficace. La collaboration entre des spécialistes d’horizons différents et la pluridisciplinarité sont essentielles. Certaines agences ne sont pas prêtes aujourd’hui à relever ce défi culturel qui demande de l’humilité et une certaine remise en question. Cette transformation n’est pas simple à réaliser elle peut avoir de nombreux impacts collatéraux… Ce choc culturel et générationnel est encore plus violent chez certains annonceurs.

IN : un certain optimisme reste toutefois de mise…

R.K.: bien sûr. La data ne va pas fermer le robinet de la créativité. Elle va juste contraindre les agences à travailler d’une manière différente. Ce modèle a déjà prouvé son efficacité. La data permet de réenchanter le réel par rapport à l’inspiration apportée par le créatif…

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