25 août 2016

Temps de lecture : 4 min

Inspiration : réveiller le daïmon

La créativité ni l’influence ne sont plus tout à fait l’apanage de l’humain, le cerveau détrôné par les capacités démultipliées des robots. Dans la pub, faut-il baisser les bras ? Non, embrasser le potentiel de la technologie, le choyer comme notre petit génie familier par lequel nos idées… Faire ami-ami !

La créativité ni l’influence ne sont plus tout à fait l’apanage de l’humain, le cerveau détrôné par les capacités démultipliées des robots. Dans la pub, faut-il baisser les bras ? Non, embrasser le potentiel de la technologie, le choyer comme notre petit génie familier par lequel nos idées… Faire ami-ami.

AI-CD β (*) est le premier robot « directeur de création ». Embauché par McCann Japon et annoncé à grand renfort de communication fin mars 2016, cette Intelligence Artificielle (IA) est censée renforcer les rangs de l’agence. Son cerveau travaillé d’algorithmes lui permettrait d’analyser un corpus de publicités considérées comme réussies pour en tirer les recettes du succès. Grâce à cette mini usine de data mining, l’IA serait ainsi capable d’identifier et d’optimiser les tendances profondes de la créativité, et de produire une création publicitaire « augmentée ».

Force est de constater que cette innovation aura suscité des réactions. Est-ce si absurde de penser que les robots vont remplacer les créatifs ? Après tout, non. L’automatisation est partout, alors pourquoi pas dans la pub ? Les algorithmes ont fait le succès de la série House Of Cards sur la base des goûts des spectateurs de Netflix ; ils aiguillent nos lectures ; et les publicités qu’on nous propose sont ciblées via l’achat programmatique. Si des robots sont capables de faire tourner la nouvelle économie, alors pourquoi ne pas imaginer que les clés de la création publicitaire de demain soient données à un programme ?

Fin de la sérendipité et synchronicité de l’émotion

En réaction, certains esprits chagrins prétextent la fin de la sérendipité, ce don de faire par hasard des découvertes heureuses. Notre utilisation systématique de Google – dont les résultats de recherche sont produits par des algorithmes, et donc limités puisque issus d’un raffinage de nos données personnelles – serait responsable de notre subite incapacité à découvrir.

Mais qu’est-ce finalement que la sérendipité ? Un célèbre exemple est la balade de Georges de Mestral et de son chien. Le canin, empêtré dans des crochets de bardane agrippés à ses poils, conduisit son ingénieur de maître au microscope pour les analyser. De cette expérience végétale lui viendra l’idée d’inventer, plus tard, la fermeture textile en nylon, bref, le Velcro. Est-ce le fruit du hasard ? N’est-ce pas plutôt de la synchronicité ? Révélé par Carl Gustav Jung, ce concept décrit l’occurrence simultanée de plusieurs événements, qui ne présentent aucun lien de causalité, mais dont l’association a un sens pour celui qui les découvre ou les perçoit. Si la sérendipité porte en elle les germes du hasard, ne créant pas toujours du sens, la synchronicité, marque les esprits profondément en ce que l’occurrence révèle, voire cristallise un lien inconscient.

La publicité est l’art de faire appel à des émotions. Si la technologie permet à une IA d’appréhender les émotions et de les produire, de manière à générer la richesse de ces associations entre une marque et un consommateur, les synchronicités efficaces pourraient être nombreuses. Après tout, selon une étude NewsCred, 62 % des millennials voient une corrélation entre contenu et brand loyalty. Ce qui signifie que le bon contenu est efficace.

Certains acteurs du Web ne s’y trompent pas. La tech company Unruly a ainsi développé une offre entière sur l’émotion appelée Pulse. Basé sur des centaines de milliers de données, ce service permet d’utiliser les émotions afin d’engager les consommateurs, en analysant leurs ressentis par le biais de leur culture, de leur âge et via les tendances du moment dans le monde entier. L’intelligence émotionnelle assistée par algorithme permettrait ainsi d’adopter des choix plus efficaces en matière de publicité vidéo.

On sait depuis Platon que l’humain a tendance à utiliser une même forme de représentation renfermant un thème universel structurant la psyché, un thème commun à toutes les cultures, mais figuré sous des formes symboliques diverses. Il est donc vertigineux de penser que les archétypes pourraient être analysés, repris, compris puis produits par des robots… à des fins publicitaires. Parlant à notre psyché, ils représenteraient autant de synchro- nicités très lucratives pour les marques.

Ré-enchanter l’imaginaire par la technique

Les logiciels ne sont donc pas l’ennemi de la création, bien au contraire. Ils ne feraient que la composer d’une manière différente. Un état de fait qui n’est pas sans rappeler une pensée d’Anaxagore : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent à nouveau. » Si rien ne change à part la technique, il faut l’utiliser, la célébrer comme une potentialité d’émotion, en faire une nouvelle source d’émotion. Aucunes data ne remplaceront l’humain, aucun algorithme ne supplantera l’intelligence, aucun dashboard ne tuera la créativité, mais il faut en revanche savoir utiliser les potentialités des nouvelles technologies comme un Daïmon.

Dans les croyances d’Europe occidentale, le Daïmon est un génie (parfois appelé « familier »), une entité imaginaire et invisible, à laquelle on s’adresse pour demander des conseils ou obtenir des services. Socrate se disait inspiré par un génie qui lui suggérait des décisions. Napoléon s’adressait à un « petit bonhomme rouge », dont il suivait les conseils militaires (celui-ci lui aurait annoncé ses victoires, ses défaites et son exil). Robert Louis Stevenson prétendait qu’un Daïmon l’aidait à écrire pendant son sommeil, et plusieurs papes, dont Alexandre VI, sont également réputés s’adresser à des génies familiers.

Notre société est comme l’Orion du Paysage avec Diane et Orion peint par Nicolas Poussin : un géant aveugle. Orion, immense et pataud, est guidé par le minuscule Cédalion, juché sur ses épaules. Il est passionnant de noter que ce dernier était forgeron et aurait enseigné l’art de travailler les métaux au dieu du feu Héphaïstos. Cette allégorie nous montre que la technique nous guide toujours.

Dans le hic et nunc de notre civilisation technologique, il faut donc bannir la peur ; embrassons avec confiance les défis technologiques, n’opposons pas automatisation et création, marions-les. La technologie nous aidera comme elle nous a toujours aidé. Elle n’est pas un danger. Les data et les nouvelles technologies sont notre Daïmon intérieur, une aide à la décision. Alors, les data, matériau primordial ? En effet, puisque les ressorts ultimes de la créativité sont inévitablement démultipliés par la technique. Soyons donc clairvoyants : écoutons, grandissons et ne luttons pas. « AI-CD β, brainstorming à 17 heures ! »

(*) Artificial Intelligence – Creative Director Bêta

Illustration : Laura Acquaviva

Article tiré de la revue INfluencia sur l’Inspiration

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