Innovation : la régionalisation à double tranchant
FRÉDÉRIC THERIN
Illustration • Étienne Delatour
La création des pôles de compétitivité, des Instituts de recherche technologique (IRT) et des Instituts pour la transition énergétique (ITE) avait mis en avant le rôle essentiel des régions dans les domaines de l’innovation. Une toute nouvelle réforme gouvernementale pourrait toutefois fragiliser ce modèle mis en place en 2005.
 
L’union fait la force. Pendant des décennies, les acteurs de l’innovation ont eu la fâcheuse habitude de travailler chacun de leur côté. « Grands groupes, PME, chercheurs publics… tout le monde restait dans sa bulle », rappelle Vincent Marcatté, le président des French Institutes of Technology (FIT), l’association qui rassemble les Instituts de recherche technologique (IRT) et les Instituts pour la transition énergétique (ITE). « Mais on ressent depuis quelques années une volonté de mieux collaborer et de mettre en avant les territoires et les régions. »

Un certain retard

Ce changement de paradigme a eu lieu il y a tout juste quinze ans. « L’ancien patron d’Air France, Christian Blanc, a publié en 2005 un rapport sur les écosystèmes », se souvient Jean-Luc  Beylat, le président de l’Association française des pôles de compétitivité (AFPC). « Pour décloisonner les acteurs publics et privés, l’ex-secrétaire d’État a fait la proposition intelligente de créer des structures dans lesquelles les grands groupes, les petites entreprises et les laboratoires publics de recherche pourraient interagir autour d’une même thématique, et c’est comme cela que les pôles de compétitivité sont nés. » L’État en a reconnu 70 dans toute la France, mais la « pompe à innovation » a pris un peu de temps à s’amorcer.

« L’impulsion initiale a été donnée par les grands groupes, reconnaît Vincent Marcatté. Les acteurs majeurs de chacune des filières dans les territoires ont identifié les PME et les chercheurs avec lesquels ils souhaitaient collaborer. Il y a eu un peu de méfiance au début, mais une fois que les gens ont fait connaissance, la confiance s’est rapidement installée et ils ont commencé à travailler sur des projets en commun. Ce système est très vertueux parce qu’aucune structure n’a toutes les compétences requises pour développer seule des innovations majeures. » La France avait pris un certain retard dans ce domaine.

Depuis 2005, 56 pôles ont accompagné 2 000 projets innovants financés à hauteur de 7,5 milliards d’euros.


« Toute région innovante se repose sur quatre piliers, résume le président de l’AFPC. Elle doit abriter des compétences clés – et nos territoires n’en manquent pas. Elle doit avoir une véritable culture entrepreneuriale – et un gros travail a été fait en France depuis dix ans pour la développer. Une région doit aussi pouvoir disposer de financements – et la situation dans notre pays s’est un peu améliorée grâce à l’action de la Banque publique d’investissement (BPI) (lire l’interview de Patrice Bégay page 100). Elle doit enfin développer des écosystèmes qui regroupent des acteurs venus d’horizons différents – c’est la raison d’être des pôles de compétitivité. »

Il existe aujourd’hui 56 pôles (certains ont fusionné pour atteindre une taille critique suffisante), qui regrou­pent 10 000 entreprises et 2 000 laboratoires et établissements d’enseignement supérieur. Depuis leur création en 2005, ces plateformes ont accompagné 2 000 projets d’innovation, financés à hauteur de 7,5 milliards d’euros. Pour chaque euro d’argent public investi, 2,5 euros privés ont été dépensés.

À chaque territoire sa spécialité

Le pôle Aqua-Valley fédère 250 adhérents du Sud de la France spécialisés dans les métiers et le cycle de l’eau. Basé sur l’inter-région Pays de la Loire-Bretagne-Centre-Val de Loire, Atlanpole Biotherapies s’est spécialisé dans l’immunothérapie, les radiopharmaceutiques, la médecine régénératrice et la médecine personnalisée avec l’exploitation des smart data. Axelera en Auvergne-Rhône-Alpes se concentre sur la chimie et l’environnement, Xylofutur en Nouvelle-Aquitaine sur les domaines du bois et de la forêt, et i-Trans dans les Hauts-de-France sur les transports, la mobilité et la logistique.

Pour rester à la pointe de l’innovation, ces pôles doivent évoluer au fil du temps. « Leur périmètre change en fonction des nouvelles technologies qui se développent, et des attentes de leurs marchés, précise Jean-Luc Beylat. Mov’eo, par exemple, qui s’est créé autour de la voiture et des grands constructeurs automobiles, travaille aujourd’hui sur la mobilité, qui va devenir plus un service qu’un simple produit. Les professionnels de l’agroalimentaire cherchaient, quant à eux, il y a une quinzaine d’années surtout à accroître leurs rendements, mais leurs travaux portent aujourd’hui sur la nourriture de demain et les enjeux écologiques auxquels ils doivent faire face. Les pôles sur la mer, qui travaillaient uniquement sur les océans et l’industrie maritime, étudient de nos jours comment utiliser les algues dans l’alimentation ou les cosmétiques. »

L’avenir des pôles de compétitivité bouleversé dans un avenir proche ?


Les pôles ne sont pas les seuls centres d’innovation dans les territoires. « Il existait en France un trou béant dans le domaine de la recherche techno­logique, note le président des FIT. Seul le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) étudiait ces questions. Il a donc été décidé, il y a sept ans, de créer 17 IRT et ITE. Avec plus de 600 transferts de technologies et presque 500 brevets et logiciels déposés, ils sont devenus des maillons essentiels de la chaîne de l’innovation industrielle française. Ils entraînent dans leur sillage un grand nombre et une grande variété d’acteurs des territoires et des filières : de la start-up au grand groupe international, du laboratoire privé aux grands instituts de recherche publique, du jeune doctorant au chercheur confirmé. Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice par sa culture différente, les ressources de sa discipline – science dure ou science douce –, ses compétences variées, sa curiosité… et son envie de faire bouger les lignes. »

Un modèle stable fragilisé

Le succès de ces structures est reconnu par tous, mais leur avenir pourrait être bouleversé dans un avenir proche. L’État a en effet annoncé, le 18 décembre 2019, sa volonté de se désengager des pôles de compétitivité et de confier leur compétence et leurs enveloppes budgétaires aux Régions. Cette annonce inquiète les principaux intéressés. « Cette régionalisation rend tout le modèle que nous avons mis en place depuis 2005 plus instable, constate Vincent Marcatté. C’est dommage, car une des forces des pôles est leur ancrage à la fois régional et national. Certains grands groupes et centres de recherche académique ne sont pas uniquement présents dans une région, mais sur tout le territoire. Avec qui vont-ils collaborer maintenant ? La régionalisation ne doit pas se traduire par un repli sur soi, car on entrerait dans un modèle qui ne serait pas vertueux. »

Au lieu de modifier un système qui semblait faire ses preuves, l’État aurait sans doute dû continuer de s’impliquer afin de faire tomber certaines barrières qui ralentissent toujours l’innovation dans les territoires. « Il existe encore en France une dichotomie entre les chercheurs publics et le monde de l’entreprise, regrette le président des FIT. Travailler pour le privé peut desservir la carrière d’un scientifique payé par l’État. Les laboratoires rechignent toujours à les laisser partir pour effectuer une mission avec une société pour la simple raison que ces labos sont notés en fonction du nombre de publications dans les revues scientifiques et non du rôle qu’ils ont pu jouer pour accroître le développement économique d’une entreprise. » Les mentalités commençaient à évoluer avec le succès des pôles, des IRT et des ITE. La réforme gouvernementale pourrait fragiliser le modèle mis en place depuis quinze ans, mais les territoires sont parvenus à prouver le rôle essentiel qu’ils jouaient pour développer l’innovation dans toute la France. C’est déjà ça…
frederic therin
Rédacteur
 
ABONNEZ-VOUS À LA REVUE
SOMMAIRE
FERMER
S'ABONNER À LA REVUE INFLUENCIA

Je peux accéder immédiatement à la revue digitale et recevrai mes revues papier par courrier.

Je pourrai accéder à la revue digitale après réception du paiement et recevrai mes revues papier par courrier.
JE ME CONNECTE OU M'ABONNE POUR ACCÉDER AUX CONTENUS ×
J'AI UN COMPTE (JE SUIS ABONNÉ.E OU J'AI ACHETÉ CE N°)
E-mail

Mot de Passe


JE SOUHAITE M'ABONNER POUR 1 AN OU ACHETER UN/PLUSIEURS N° SPÉCIFIQUE.S DE LA REVUE

Accédez immédiatement à votre Revue en version digitale. Puis recevez la.les Revue(s) papier par courrier (en cas d'achat ou de souscription à l'offre complète Papier + Digital)

JE ME CONNECTE OU M'ABONNE POUR ACCÉDER AUX CONTENUS ×
J'AI OUBLIÉ MON MOT DE PASSE
E-mail


JE M'ABONNE, ME REABONNE OU COMMANDE UN N° ×
OFFRE PRINT + DIGITALE + AUDIO

JE M'ABONNE

Vous aurez accès aux numéros 37,38,39,40
de la revue papier et leurs versions digitales.
L’abonnement démarre à réception du paiement.
1 an - Envoi en France - 98 €
1 an - Envoi à l'Étranger - 129 €
1 an - Tarif Étudiant - 78 €
JE COMMANDE UN SEUL N°
Numéros encore disponibles en version papier et digitale.
No37 - Le désir - 29 €
No36 - Mobile - 29 €
No35 - Inspirations 2021 - 29 €
No34 - Le Travail - 29 €
No33 - Le Good - 29 €
No32 - Territoires - 29 €
No31 - Art de Ville - 29 €
No30 - Spécial 15 ans - 29 €
No29 - Sport - 29 €
No28 - Femmes engagées - 29 €
No27 - Les jeunes - 29 €
No26 - I.A. - 29 €
No25 - La pub TV - 29 €
No24 - Le Retail - 29 €
No23 - Les Français - 29 €
No22 - Entertainment - 29 €
No21 - Curiosite - 29 €
No20 - Emotion - 29 €
No19 - Transformation - 29 €
No18 - Inspiration - 29 €
No17 - Anthologie - 29 €
No16 - Vivre connecté - 29 €
No15 - Le Shopper - 29 €
No13 - L'Influence - 29 €
No11 - Le Futur - 29 €
No10 - La Ville - 29 €
No9 - Data - 29 €
No5 - Les Médias - 29 €


Hors-série - Conversation - 29 €
Voir +
OFFRE DIGITALE + AUDIO

JE M'ABONNE

Vous aurez accès aux numéros 37,38,39,40
de la revue en version digitale.
1 an - Version digitale - 79 €
JE COMMANDE UN SEUL N°
Numéros disponibles en version digitale uniquement.
No digital 37 - Le désir - 25 €
No digital 36 - Mobile - 25 €
No digital 35 - Inspirations 2021 - 25 €
No digital 34 - Le Travail - 25 €
No digital 33 - Le Good - 25 €
Voir +
Commande avec obligation de paiement

J'accepte les Conditions Générales de Vente
JE CRÉE MON COMPTE
INFORMATION FACTURATION
Nom*

Prénom*

Société

Activité de l'entreprise

Email envoi de facture*


Adresse*

Code Postal*

Ville*

Pays

Tel

Fax



J'AI DÉJÀ UN COMPTE INFLUENCIA

INFORMATION FACTURATION
Nom*

Prénom*

Société

Activité de l'entreprise

Email envoi de facture*


Adresse*

Code Postal*

Ville*

Pays

Tel

Fax



JE CONSULTE GRATUITEMENT LA REVUE ×


Nom*

Prénom*

Email*

Fonction*

Société

Activité de l'entreprise