Il était une fois… le storytelling
frédéric therin
Illustrations • Étienne Delatour
Au xviie siècle, Pascal mettait en garde contre l’aliénation du divertissement. Qu’en est-il de la menace aujourd’hui ? En effet, la nouvelle lubie du storytelling met la raison à rude épreuve. Agences ! Marques ! Raconter des histoires ne vous garantit pas de happy end ! L’histoire et les sciences nous apprennent que cela est à consommer avec… intelligence.
 
L’entertainment a besoin d’histoires. Encore faut-il savoir les raconter. Et pour proposer un contenu narré avec intelligence, encore faut-il comprendre les fondements du storytelling… parce que les histoires, ce n’est pas que pour les enfants.



Depuis quelques années, les marques n’ont que ce mot-là à la bouche : le storytelling. Après nous avoir abreuvés pendant des décennies de messages axés sur leurs produits, les annonceurs cherchent aujourd’hui à nous raconter de jolies histoires. Ce phénomène est « apparu il y a six ou sept ans, résume Sébastien Perrier, directeur de la communication et des partenariats de Sony Music France. Les marques sont à la recherche de sens et l’histoire est là pour créer un engagement et apporter une touche émotionnelle ». Le storytelling existe pourtant depuis la nuit des temps. « Raconter des histoires est dans la nature humaine, confirme Julien Gaertner, un historien qui enseigne à Sciences Po Paris. Mais la plupart des sociétés ont cherché pendant longtemps à rester très factuelles et rationnelles dans leur communication. »
NOTRE CERVEAU PRODUIT DE L’OCYTOCINE QUAND NOUS ÉPROUVONS DE LA GENTILLESSE ENVERS AUTRUI…


Certaines aussi ont tenté d’aller plus loin, ne se contentant plus de faire une publicité centrée sur les produits. « Les marques les plus puissantes ont toujours fait du storytelling, même si elles n’en avaient pas toujours conscience », s’amuse William Sargent, cofondateur et PDG de l’agence Framestore, qui a reçu deux Oscars notamment pour son travail sur les effets spéciaux du film Gravity. « Les meilleures ont sans cesse cherché à nous surprendre, confirme Sébastien Perrier.

Lorsque Avenir a sorti sa campagne d’affichage au début des années 1980 dans laquelle une jeune femme promettait d’enlever le haut, puis le bas de son maillot de bains à une date précise, elle faisait déjà du storytelling. » Il a toutefois fallu attendre l’arrivée d’Internet pour que les marques réalisent qu’elles devaient changer du tout au tout leur manière de s’adresser au grand public.

La pub « à la papa »

« Le succès du numérique et la chute brutale des audiences télévisées ont fait comprendre aux annonceurs que la publicité “à la papa” ne marchait plus, résume Julien Gaertner. Les jeunes devant leur petit écran passent 80 % de leur temps à regarder au même moment leur portable ou une tablette. Les marques ont par conséquent compris qu’elles devaient capter l’attention de leurs cibles en leur racontant des histoires qui mobilisent leurs émotions. » Internet a profondément bouleversé les liens qui pouvaient unir les annonceurs avec le grand public. « Avec le numérique, les gens sont passés d’une relation top down au bottom up, constate Sébastien Perrier. Auparavant, les marques communiquaient auprès des publics sans aucune attente de retour de leur part. Aujourd’hui, les consommateurs sont en contact direct avec elles grâce à la Toile et aux réseaux sociaux. Et les annonceurs peuvent, de leur côté, développer des conversations avec leurs clients. »



Le storytelling aurait également un impact direct sur notre… cerveau. Le directeur et fondateur du Centre des études neuro-économiques en est tout du moins persuadé. « Mon laboratoire a découvert, il y a dix ans, que notre cerveau produit de l’ocytocine (la « molécule morale ») quand nous faisons confiance à quelqu’un ou que nous éprouvons de la gentillesse envers autrui », expliquait Paul J. Zak dans un article publié en octobre 2014 par la Harvard Business Review intitulé « Pourquoi notre cerveau aime un bon storytelling ». Le neuro-économiste poursuivait : « Nous avons ensuite décelé que des histoires basées sur des personnages encourageaient la synthèse d’ocytocine. Si une histoire parvient à capter notre attention en créant une certaine tension en nous, nous allons avoir tendance à ressentir et vouloir faire les mêmes choses que les personnages que nous voyons. C’est pour cela que vous vous sentez dominant après que James Bond a sauvé le monde et que vous êtes plus motivé à faire de la gym après avoir vu combattre les Spartiates dans 300. » Mais encore faut-il trouver une histoire qui fasse « cliquer » votre cerveau…

« L’Odyssée »… et la défaite

Pour être efficace, le storytelling « doit être intègre, juge William Sargent. Vous savez instinctivement si vous êtes allé trop loin en racontant une histoire. Lorsque vous avez tapé juste, vous le ressentez au plus profond de votre corps ». Le directeur de la communication et des partenariats de Sony Music France ne dit rien d’autre : « Une marque doit être légitime et ne pas diffuser des contenus qui sont tirés par les cheveux. » L’éparpillement n’est pas non plus une bonne recette. « Il ne faut pas multiplier les récits, car les gens ne sont plus capables alors de distinguer le vrai du faux parmi tout ce que vous racontez », conseille Julien Gaertner. Une belle histoire doit, en revanche, être partagée sur tous les canaux de diffusion possibles et imaginables : télé, radio, affichage, Internet, réseaux sociaux… Tout est bon pour faire passer la « bonne parole ». Le storytelling peut également fonctionner pour l’ensemble des marques, et ce quel que soit leur secteur d’activité.
SI UNE HISTOIRE PARVIENT À CRÉER UNE CERTAINE TENSION EN NOUS, NOUS ALLONS AVOIR TENDANCE À VOULOIR FAIRE LES MÊMES CHOSES QUE LES PERSONNAGES QUE NOUS VOYONS.


Les géants du luxe ont été les premiers à le comprendre. Cartier n’a ainsi pas hésité à engloutir 4 millions d’euros pour filmer un sublime court-métrage de trois minutes et demie, « L’Odyssée », dans lequel une panthère fait le tour du monde pour finalement revenir place Vendôme, à Paris. Ce film rend hommage à tous les classiques de la marque. « Avec ses longs-métrages, Lego est, quant à lui, parvenu à recoller sa marque à l’histoire de ses petites briques, et c’est cela qui lui a permis de redevenir le leader mondial du jouet, souligne Julien Gaertner. Le phénomène est le même avec le succès retrouvé des Transformers. »



Mais le storytelling ne touche pas que le monde de l’entreprise. Loin de là… « On le retrouve partout, et notamment en politique et dans l’info, ajoute l’historien de Sciences Po. Lorsque iTélé a suivi dans un reportage un nourrisson ukrainien du lieu où il a été blessé jusqu’à son opération à l’hôpital, la chaîne a raconté une belle histoire… tout en passant sous silence les raisons qui expliquent la guerre entre l’Ukraine et la Russie. C’est problématique, car l’information est masquée au profit d’une narration qui suscite de l’émotion. On passe de l’info au récit… »
CARTIER N’A PAS HÉSITÉ À ENGLOUTIR 4 MILLIONS D’EUROS POUR UN SUBLIME FILM DE 3 MINUTES.


Ce danger est encore plus grand en politique. « Nicolas Sarkozy représente un véritable tournant en France, confirme Julien Gaertner. Henri Guaino, qui lui écrivait ses discours, a déclaré en 2007 qu’il était “impossible de changer un pays si on n’était pas capable d’écrire et de raconter une histoire”. Durant sa présidence, Sarkozy a donc incarné tout un tas de personnages de fiction. Il a notamment été Citizen Kane sur le yacht de Vincent Bolloré, le Négociateur lors de la libération des infirmières bulgares en Libye, Running Man pendant ses footings, Dirty Harry dans son discours de Grenoble de 2010 contre la délinquance, et le héros de True Romance lors de sa rencontre avec Carla Bruni. Cette démultiplication de personnages est une des raisons qui expliquent sa défaite en 2012, car les électeurs ne savaient plus qui était réellement leur président. » Un homme ou une marque qui raconte trop d’histoires n’est plus pris au sérieux au bout d’un moment…
LE RISQUE EST DE MASQUER L’INFORMATION AU PROFIT D’UNE NARRATION QUI SUSCITE DE L’ÉMOTION. ON PASSE DE L’INFO AU RÉCIT…




L’avènement du storyliving

Le storytelling n’est pas appelé pour autant à disparaître. Bien au contraire. « Plus les marques vont être capables de récolter des données, plus elles vont pouvoir créer des récits adaptés à leurs cibles, prédit Julien Gaertner. Nous assistons actuellement à un phénomène de surenchère dans le domaine du storytelling. Nous venons tout juste d’entrer dans une nouvelle ère qui ne fait que commencer. On commence même aujourd’hui à passer à un stade supérieur, qui est le « storyliving »… L’idée n’est plus d’être dans la narration, mais de faire vivre une expérience aux particuliers qui pourront ensuite la partager. McDonald’s vient ainsi, par exemple, de sortir une boîte de Happy Meal qui peut être transformée en casque de réalité virtuelle. Ils ont développé une application sur smartphone et leurs clients peuvent jouer dans le restaurant avec la boîte sur le visage… » Du très bel entertainment en somme. Les frontières du réel ne cessent de se flouter…
frederic therin
Rédacteur
 
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