ILLUSTRATIONS
d'Arthur poitevin
Le design, ou comment penser l'avenir ?

Par
Fabrice Peltier
Le design accompagne l’Histoire récente, il a modifié nos intérieurs, fait naître des désirs de beau, de praticité. Mais le design de demain ne sera pas celui d’aujourd’hui. Il viendra d’autres pays, sera porteur d’autres modèles de croissance, d’écologie et de partage. Un design plus plus...













de nouvelles contraintes apparaissent et de nouveaux besoins se font ressentir...































Acheter à prix raisonnable



















































Désormais, un « prix bas » n’est nullement synonyme de design low cost
Le design n’est autre que le reflet de notre société industrielle et consumériste.

Cependant, demain devra-t-il encore combler sans limites les besoins futiles d’enfants gâtés de quelques pays privilégiés ? Ou bien se résoudre à compter ses ressources pour répondre à de vrais besoins d’une population mondiale qui ne cesse de s’accroître ? La planète nous appellera inexorablement à la raison en nous imposant un autre chemin. Ainsi, le design prendra de nouvelles orientations.

La position dominante du design occidental est d’abord structurelle, puisque liée au simple fait qu’avant de voir éclore le design, il faut de facto que l’industrie soit installée et se développe bien. La matérialisation du design, c’est sa production, et son succès, sa reproduction exponentielle pour un public de plus en plus large.


LE DESIGN VENU D’AILLEURS

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les premiers grands noms du design proviennent des États-Unis dès la première partie du XXe siècle, et des grands pays d’Europe après la Seconde Guerre mondiale. À partir de la fin des années 1970, quelques Japonais se sont fait une place sur la scène du design international, principalement avec les produits électroniques... Depuis la fin du XXe siècle, la croissance et l’industrialisation qui l’accompagne, voire qui la précède, ont gagné de nouveaux horizons. La Corée du Sud, le Brésil, l’Inde et bien évidemment la Chine ont connu ces vingt dernières années une expansion sans précédent. Simultanément à celle-ci, on constate que le design a aussi émergé, puis s’est très bien développé dans ces nouvelles régions industrialisées. Et ceci d’autant plus que, tout comme l’ont fait l’Angleterre en 1944 avec le Design Council et l’Allemagne en 1953 avec le Rat für Formgebung, ces pays en plein boum mènent une politique très volontariste de soutien au design au plus haut niveau de leur État. Il n’est donc pas si étonnant que cela d’avoir vu Séoul désignée « capitale mondiale du design » en 2010 par l’Icsid (The International Council of Societies of Industrial Design) et qu’il y soit organisé depuis 2003 un salon intitulé Design Korea, dédié à la mise en relation des designers avec les entreprises.

L’Inde quant à elle n’est pas en reste. Depuis 2007, le gouvernement indien a lancé un programme intitulé « National Design Policy » afin d’accroître la compétitivité de ses produits et des services indiens à l’échelle mondiale. De son côté, la Chine met en place des structures et des moyens financiers faramineux pour favoriser et développer la pratique du design. L’on pressent que de grands designers chinois ne vont pas tarder à se faire connaître et reconnaître... Le XXIe siècle sera même sans aucun doute le leur. En effet, il n’a échappé à personne que la Chine était devenue fin 2014 la première puissance industrielle de la planète, en ravissant une place que les Américains n’avaient pas quittée depuis deux cents ans. De là à ce que les sources d’influence du design mondial viennent de là-bas, ce n’est qu’une question de temps...


LE DESIGN D’UN NOUVEAU MODÈLE

Les crises sécuritaires, climatiques, écologiques, économiques sont de plus en plus violentes et de plus en plus fréquentes. Elles sont, pour de nombreux observateurs, les signes avant-coureurs de la fin d’un système, d’un changement inéluctable de modèle. Notre société qui se mondialise entraîne inexorablement une problématique générale d’épuisement des ressources, liée à une surexploitation d’à peu près tout ce qui se trouve sur terre et qui peut générer des profits.

Force est de constater qu’à la fin du XXe siècle, 20  % de la population mondiale consommaient 80 % des ressources naturelles disponibles, il va donc falloir partager et économiser ; une statistique qui est vraie aujourd’hui, mais le sera encore plus demain avec le développement rapide des autres pays. Il y a donc nécessité, pour ne pas dire urgence, à produire de manière plus raisonnée. Pour ce faire, les designers ont leur part de responsabilité. Ils sont désormais invités à intégrer ces nouvelles contraintes dans leur réflexion, voire à les inscrire durablement dans l’éthique de leur profession.

On entend parler aujourd’hui de nouvelle révolution industrielle et économique. Nous sommes effectivement bel et bien en plein dedans. Les pays développés souffrent de leur crise de croissance mal maîtrisée, mais aussi de celle de toutes les autres nations pour qui le tour est enfin arrivé. Dans ce contexte de mutation profonde, les repères du passé changent inévitablement, de nouvelles contraintes apparaissent et de nouveaux besoins se font ressentir... Le design n’est pas en crise, il fait simplement, lui aussi, sa révolution, et il n’en est encore qu’aux prémices.


LE DESIGN ÉCOLOGIQUE

Durant ces dix dernières années, diminuer ses impacts environnementaux est devenue une nouvelle contrainte. Elle est souvent inscrite noir sur blanc dans le cahier des charges remis aux designers pour le remaniement ou la conception des produits. Les notions d’empreinte écologique et d’impact environnemental sur les différentes étapes de la vie d’un produit sont peu à peu entrées dans les mœurs. Celles-ci préoccupent de plus en plus les designers, cependant, la démarche d’amélioration reste extrêmement complexe et n’est en aucune façon du seul ressort de la profession.

Dans un premier temps, les expériences d’éco-conception se sont appliquées majoritairement sur des produits déjà existants. La méthode a consisté à apporter des correctifs à différents niveaux du cycle de vie d’un produit, pour en diminuer l’impact environnemental tout en conservant ses qualités d’usage. Ainsi, beaucoup de produits ont été passés au crible : les quantités de matières premières, d’énergie et d’eau consacrées à sa production ont été réduites, les pollutions générées lors de sa fabrication et de son utilisation ont été minimisées, la logistique a été étudiée pour être optimisée, une meilleure gestion de la fin de vie et notamment du recyclage a été organisée... Depuis le début des années 2000, l’éco-conception, qui est essentiellement une démarche d’ingénieur et qui échappe donc largement aux prérogatives du designer, a permis aux entreprises d’enregistrer des diminutions sensibles de leur consommation de matières premières et d’énergie, et par voie de conséquence de leurs émissions de gaz à effet de serre.

Dans le même temps, de plus en plus de designers, sans être pour autant des spécialistes de l’éco-conception, ont commencé à imaginer les nouveaux produits en adoptant certains grands principes – que l’on pourrait qualifier de « bon sens » – tels que : la réduction du nombre de pièces et de leur volume, la simplification de leur processus de fabrication, la facilitation de leur démontage pour les recycler...

L’éco-design est né à l’aube du xxie siècle et il fait de plus en plus d’émules au sein de la jeune génération de designers. La route semble désormais bien tracée. En phase avec les préceptes de l’éco-conception, le développement des matières premières renouvelables et recyclables et d’outils de production plus « propres », le design responsable n’a aujourd’hui en fait plus d’autre choix que de faire preuve d’une très grande responsabilité...


LE DESIGN ÉCONOMIQUE

Le prix a toujours été un facteur déterminant dans le choix des consommateurs. Cependant, pour diverses raisons, il va le devenir encore plus en ce début de siècle. Longtemps réservé à une clientèle aux revenus modestes, le commerce « à bas prix » existait déjà depuis de nombreuses années ; dans les secteurs de l’habillement – avec l’emblématique Tati qui a ouvert ses portes en 1948 –, un an plus tard de l’épicerie – avec Leclerc qui sera ensuite largement challengé par le hard discount –, puis de l’ameublement, à partir de 1980 avec Ikea. S’il y a encore quelques années la marque justifiait à elle seule un prix plus élevé, les consommateurs se sont peu à peu rendu compte que la qualité de certains produits griffés ne justifiait absolument pas leur niveau de prix. Il faut bien admettre que les études drastiques d’analyse de la valeur, entamées par toutes les grandes entreprises à partir des années 1980, ont eu pour effet de niveler la qualité de leur offre par le bas. Au bout du compte, la différence entre un produit de premier prix et un produit de prix standard, voire élevé, n’était pas toujours perceptible.

Chemin faisant, les prix bas ne sont plus systématiquement perçus par les consommateurs comme un symbole de qualité médiocre. D’autant plus que simultanément à la dégradation des produits de certaines grandes marques, les enseignes réputées « à bas prix », Ikea en tête, ont fait de réels progrès sur la qualité de leurs offres, en allant même jusqu’à innover.

Les années 2000 voient le développement du modèle « plus économique » dans le transport aérien et divers services. Les prix bas ne s’adressent plus seulement aux faibles revenus, et prennent au passage le nom de low cost (bas prix). Pour convaincre les clients dont le budget est précieux d’adopter ce type d’offre, la communication parle désormais à des « consommateurs malins ». Acheter à prix raisonnable devient l’apanage d’une nouvelle élite d’acheteurs qui saura dénicher les bonnes affaires, sans pour autant être fauchée ou radine...

En septembre 2004, Dacia, filiale de Renault, lance en Roumanie la Logan. Ce véhicule réservé au départ aux pays émergents (Europe Centrale et Orientale, Moyen-Orient et Afrique du Nord) devait permettre à la marque de se développer sur le plan international. Cette voiture, à prix défiant toute concurrence, ne propose pas une débauche de technologie et d’équipements, à l’inverse de la tendance forte du marché de l’automobile. Trois mois plus tard, Renault change de politique et annonce officiellement que la Logan serait commercialisée également en Europe de l’Ouest, et notamment en France à partir de 2005. La Renault Logan est l’archétype même de la voiture bien pensée : simple, pratique et surtout accessible à partir de 7 600 euros dans sa version française. Sans grand défaut de conception, elle connaît un succès immédiat tant en France que dans les pays émergents.

À partir de 2008 et du début de la crise économique, les « consommateurs malins » tournent peu à peu le dos au low cost. Par choix, mais surtout par nécessité. Le pouvoir d’achat, d’abord en stagnation puis en baisse sensible, impose un design encore plus sobre et plus économique ; le coût des choses est devenu plus que jamais rédhibitoire. D’autant plus, qu’aujourd’hui, il est très simple, via Internet, de comparer les prix et les performances des produits, de chez soi, avant de les acheter. Désormais, un « prix bas » n’est nullement synonyme de design low cost, preuve en est la lampe Take, de Ferruccio Laviani, éditée par Kartell, vendue sous un emballage blister au prix de 56 euros. Plus rien ne peut justifier qu’un produit au design parfaitement étudié soit plus cher qu’un autre. Bien au contraire, le design est, et sera, à la disposition et à la portée de tout un chacun ...
Fabrice Peltier
Il est un designer qui œuvre pour une approche créative responsable, plus respectueuse de l’environnement. Il est également l’auteur de nombreux ouvrages sur les design, parmi lesquels : Le Design pour les Nuls chez First Éditions.






















































L’on pressent que de grands designers chinois ne vont pas tarder à se faire connaître



















































Le design n’est pas en crise
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