« La ville est trop souvent considérée comme un espace technique »
PROPOS RECUEILLIS par
Frédéric THERIN
© DR
Designer et directeur artistique, Marc Aurel est, avec son épouse Caterina, un agitateur singulier sur le terrain de l’espace urbain. Leur agence, Aurel Design Urbain, basée à Cassis, propose une vision à la fois fonctionnelle et humaniste, forgée par l’échange et les collaborations.
 
IÑfluencia Le design urbain est un métier assez récent. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous spécialiser dans ce secteur ?

Marc Aurel Après des études de design et d’architecture, j’ai très vite réalisé que je voulais créer des objets pour le plus grand nombre. Je souhaitais imaginer de belles réalisations pour les mettre dans la rue afin que chacun puisse en profiter. La recherche de l’esthétique et du bien-être des utilisateurs peut concerner des éléments aussi « insignifiants », a priori, que des poubelles ou des abribus. Lorsque j’ai démarré dans ce métier, il y a une trentaine d’années, le design urbain n’en était qu’à ses prémices.

La recherche de l’esthétique et du bien-être des utilisateurs peut concerner des éléments aussi « insignifiants », a priori, que des poubelles ou des abribus.



Quand situez-vous son apparition ?

MA Aux jeux Olympiques de Barcelone, en 1992, qui ont insufflé une véritable révolution pour notre secteur. La ville était dégradée à la fin des années 1980, elle avait peu évolué depuis Franco [le dictateur espagnol Francisco Franco imposa son règne de 1939 à sa mort en 1975, ndlr]. Mais les JO ont permis de révéler les talents d’architectes, de designers et de graphistes locaux, qui ont fait alors de la capitale catalane le laboratoire de pratiques inédites, cela sous l’impulsion de l’urbaniste Oriol Buhigas, qui a pensé le village et le port olympiques de Barcelone. Tous les acteurs économiques et politiques ont travaillé ensemble. Tout a été conçu et fabriqué sur place avec des entreprises locales.


TriLib Fabricant SULO. © Marwan Harmouche


Les habitants veulent aujourd’hui que les espaces publics puissent éventuellement être le prolongement de leur espace privé.



Luminaire Anello. Éditeur iGuzzini. © Didier Boy de la Tour



Ce mouvement s’est-il dans la foulée répandu à d’autres villes ?

MA Non, cela a pris énormément de temps et beaucoup reste à faire. La ville en général est encore trop considérée comme un espace technique, où le piéton se trouve pris entre des voies de circulation et des aires de stationnement, le tout limité, structuré par des barrières, des potelets. Dans une ville comme Paris, il y a plus de 330 000 potelets qui encombrent les trottoirs. L’espace public doit être rendu aux usagers et le mobilier doit accompagner cette nouvelle appropriation pour davantage de confort de service et de qualité. Lyon a toutefois montré qu’une autre logique était possible. Dans les années 1990, la municipalité décidait de restructurer en profondeur ses espaces piétonniers en prenant exemple sur « la méthode Barcelone ». Cette volonté politique a permis de transformer les aires publiques de la ville, de développer des lignes de tramway, de mettre en place une gamme cohérente de mobilier urbain sur l’ensemble des arrondissements et de travailler autrement l’éclairage urbain. Cette ville fait encore aujourd’hui figure d’exemple assez unique, car depuis près de trente ans elle continue de renouveler ses espaces urbains en se conformant à une ligne directrice harmonieuse. Les dirigeants municipaux, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont une véritable vision politique et sociale de leur cité.


Aucune autre ville française ne s’est inspirée du succès espagnol ?

MA Certaines municipalités comme Bordeaux, Nantes, Nice et Strasbourg ont partiellement suivi ce mouvement. L’aménagement urbain doit avant tout avoir une vision portée par une volonté politique qui soit aussi pérenne. Mais trop souvent elle a toutes les difficultés à s’inscrire dans le temps long, confrontée à la réalité du terrain et aux trop rapides changements de gouvernance politique. Transformer ses espaces publics prend du temps.

Il n’existe pas de mobilier urbain miracle qui aurait le don de tout changer.



Les citoyens semblent pourtant vouloir se réapproprier la ville.

MA En effet. Les habitants des villes prennent le pouvoir aujourd’hui. Les politiques sont encore trop souvent à la traîne concernant les divers aménagements, mais ils commencent à écouter les demandes de leurs administrés. La démocratisation du voyage interroge les touristes-citoyens, qui se demandent pourquoi les nouveautés intéressantes qu’ils ont vues à Berlin ou à Copenhague ne peuvent pas être essayées chez eux. Les réseaux sociaux sur lesquels les citoyens expliquent leur volonté de voir certaines zones devenir des espaces à vivre et non plus seulement des espaces techniques ont aussi une influence sur les politiques. Les habitants veulent aujourd’hui que les espaces publics puissent éventuellement être le prolongement de leur espace privé.


Comment y parvenir ?

MA En assemblant beaucoup de petites choses les unes avec les autres. Il n’existe pas de mobilier urbain miracle qui aurait le don de tout changer. L’environnement urbain est très complexe parce qu’il est régi par un grand nombre de règles et de normes. Les fabricants ont encore trop tendance à avoir une approche traditionnelle de l’objet urbain et il est difficile de les faire évoluer. C’est pour ces raisons que les habitants tentent désormais de se réapproprier l’espace public devant chez eux – notamment en plantant des fleurs ou en installant des chaises dans la rue pour prendre un thé au soleil, ce qui est le cas à Marseille dans le quartier du Panier. Paris a ainsi eu l’intelligence de mettre en place il y a déjà quelques années « le permis de végétaliser », autorisant les riverains à semer quelques plantes sur des bouts de trottoirs, autour des arbres… La capitale traverse actuellement une véritable révolution avec la volonté de la mairie de réduire le nombre de voitures. C’est un de ses enjeux majeurs pour les années à venir, car l’automobile a dicté jusqu’ici la technicité des espaces publics de la ville.

L’espace public doit être rendu aux usagers et le mobilier doit accompagner cette nouvelle appropriation pour davantage de confort de service et de qualité.



Ces réformes sont pourtant très critiquées.

MA Le changement est toujours très compliqué en France, mais nous vivons actuellement une période de transition passionnante. Je compare souvent la situation actuelle au Paris du xixe siècle lorsque le Baron Haussmann a transformé une capitale moyenâgeuse et insalubre en une ville du xxe siècle moderne, avec de larges boulevards et dotée du tout premier mobilier urbain au monde. Nous sommes aujourd’hui à une croisée des chemins. Nous étouffons dans une ville qui n’a que peu évolué depuis le xixe et nous devons la faire entrer dans le xxie siècle. Les boulevards ont le même agencement depuis deux cents ans. Un arbre, un luminaire, un banc, une poubelle, et ainsi de suite… Aujourd’hui, il faut rétablir une cohérence avec nos besoins actuels de qualité, de confort… et la technologie peut nous y aider, par exemple dans l’éclairage public ou dans nos déplacements dans le réseau de la nouvelle intermodalité.

il s’agit surtout d’ambition politique lorsque l’on veut faire évoluer l’espace d’une ville.



L’argent n’est-il pas le nœud du problème quand il s’agit de transformer l’espace urbain ?

MA De plus en plus de municipalités prennent en effet conscience de la nécessité de transformer les espaces publics, mais en ont-elles les moyens ? Il est donc nécessaire d’inventer de nouveaux modèles économiques et de trouver des alternatives pour que tout un chacun se réapproprie la ville dans laquelle il habite. La publicité est un des modèles économiques qui fonctionnent depuis des années. Sans elle, les villes n’auraient pas les moyens de s’équiper et surtout d’entretenir leurs abribus. Mais, aujourd’hui, puisque la publicité n’est pas infinie et que son impact dans la ville n’est pas neutre, il faut créer les ressources économiques qui répondront à ces besoins. Si aucune solution n’est réfléchie en amont, à terme, seules les villes riches parviendront à se payer un mobilier urbain de qualité, et les villes pauvres seront dans de la récupération et dans du bricolage. Peut-être que de tout cela il ressortira quelque chose de nouveau… Je l’espère. L’économie de projet est importante, mais il s’agit surtout d’ambition politique lorsque l’on veut faire évoluer l’espace d’une ville.


Cela n’est donc pas le cas…

MA Trop souvent on nous demande de faire le minimum afin de ne pas avoir de problème avec les riverains. Une municipalité a par exemple un jour exigé que je ne mette pas de bancs dans les arrêts de bus afin de ne pas attirer les sans-logis... Malgré cela, la France reste très en avance sur les questions relatives aux espaces publics. En Italie, les communes ne font rien. Les bâtiments qui ont été conçus pour le bien-être des passants, avec notamment les loggias qui abritent à la fois des intempéries et du soleil, datent tous de la Renaissance… Depuis, plus rien. Nous avançons, mais encore trop lentement !
frederic therin
Rédacteur
 
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