5 janvier 2020

Temps de lecture : 4 min

Location et seconde main : le nouveau paradigme du luxe

La location d’objets de luxe et les transactions entre particuliers, notamment dans la mode, touchent peu à peu tous les objets de luxe personnels. Yves Hanania, co-auteur du livre « Le luxe demain. Les nouvelles règles du jeu » (Dunod)* explique ces deux phénomènes en pleine expansion.

La location d’objets de luxe et les transactions entre particuliers, notamment dans la mode, touchent peu à peu tous les objets de luxe personnels. Yves Hanania, co-auteur du livre « Le luxe demain. Les nouvelles règles du jeu » (Dunod)* explique ces deux phénomènes en pleine expansion.

INfluencia : le secteur du luxe est en train de se transformer complètement. Assiste t-on à l’apparition de nouveaux modèles économiques ?

Yves Hanania : oui, la transformation est profonde, la désaffection de la possession, la croissance du marché du luxe accessible et la diffusion plus large du luxe ont poussé à l’émergence du luxe de seconde main. Ces mêmes facteurs ont entraîné l’apparition de nouveaux business models, comme ceux du « déjà porté », des biens remis à neuf, réhabilités ou de la location.

Le cabinet britannique Deloitte estime que les transactions entre particuliers connaissent aujourd’hui un véritable boom : le marché pourrait atteindre en 2019 un chiffre d’affaires supérieur à 100 milliards de dollars.

Dans la mode, les solutions de location de vêtements de luxe, afin de répondre aux usages de consommation actuels : désir de maîtriser son budget, tout en s’inscrivant dans un engagement durable, se multiplient. Le site américain Rent the Runway, lancé en 2009, compte ainsi 6 millions de membres**, a ouvert cinq magasins aux États-Unis et génère plus de la moitié des revenus des marques affiliées (estimés à 100 millions de dollars en 2016). Depuis sa création, Rent The Runway a levé 210 millions de dollars (dont 20 millions de la société d’investissement de Jack Ma et Joe Tsai, d’Alibaba). La consultation du site permet de choisir le vêtement convoité à sa taille, la durée de location étant flexible. Le service comprend la livraison, le retour et le pressing. La plateforme, qui ambitionne de devenir « l’Amazon Prime de la location » a annoncé en novembre 2018 un nouveau modèle économique à destination des marques appelé RTR Platform. Plutôt que d’acheter la pièce en amont, Rent The Runway propose à la marque de la mettre à disposition et de percevoir un pourcentage sur la location. Une idée pertinente qui peut assurer au site une augmentation très rapide de son catalogue ! Une quarantaine de marques ont déjà rejoint le programme. Aux États-Unis, le portail de dépôt-vente d’articles de luxe américain The RealReal est également un grand succès. Il a levé 50 millions de dollars en 2017, et aurait atteint 710 millions de dollars de ventes en 2018.

IN : quelle est la situation en France ?

Y.H : en France, Panoply, lancé en 2016, a racheté Chic by Choice, leader européen de la location de robes du soir et compte désormais 30 marques et 4 000 vêtements. Les achats de produits de seconde main se multiplient également. Alors que l’article de luxe pouvait procurer un sentiment de durabilité, sinon d’éternité, l’achat d’occasion traduit un désir de renouvellement, mais aussi une prise de conscience quant à la surconsommation galopante.

Vestiaire Collective, autre site français de seconde main, créé en 2009 à Paris, est devenu un dépôt-vente mondial. Leader dans la vente de luxe d’occasion entre particuliers, il couvre l’Europe, les États-Unis et maintenant l’Asie. Il compte 8 millions de clients, 900 000 articles y sont référencés, dont 30 000 nouveautés chaque semaine, authentifiés par le site et ses « experts », puis expédiés dans une cinquantaine de pays. Au-delà de l’intérêt de cette économie circulaire, la dynamique que procure cette plate­forme génère également du trafic en boutique. Tout le monde y gagne, à commencer par les consommateurs et l’environnement.

IN : en dehors de la mode, les autres secteurs du luxe ont-ils adopté les ventes de seconde main ?

Y.H : les boutiques de bijoux et de montres d’occasion se sont aussi multipliées dans les années récentes. Internet a offert un coup d’ac­célérateur à cette tendance et redoré l’image du procédé en conférant un anonymat au vendeur comme à l’acheteur, tout en facilitant la recherche des objets convoités et l’accès aux différents produits.
Le marché mondial des produits de luxe de seconde main est estimé à 22 milliards d’euros par an***. L’Europe serait à la pointe de ce type de ventes avec plus de la moitié des transactions. Les montres et la joaillerie représenteraient les trois-quarts du total, les magasins physiques assurant l’essentiel des ventes.

Un site comme Collector Square propose une « seconde vie » aux produits de luxe. En partenariat avec Artcurial, illustre maison de ventes aux enchères, les montres, sacs et bijoux rachetés sont authentifiés et vendus comme des articles de luxe de seconde main. Le public est celui des collectionneurs mais aussi des clients avides de changement. S’ajoute à ces deux catégories celle des opportunistes. Certains articles de luxe, notamment les montres et les sacs les plus prestigieux, s’avèrent en effet d’excellents supports de spéculation offrant des plus-values importantes.

IN : comment les grands groupes s’adaptent-ils à cette tendance ?

Y.H : location et seconde main sont donc autant de défis supplémentaires qui pourraient à terme induire de notables changements de modèles économiques. Ces défis doivent évidemment être relevés par les maisons de luxe. Les marques doivent en effet anticiper un ralentissement de leurs ventes et la nécessité de renouveler leurs collections encore plus rapidement. Le groupe Kering, par exemple, est attentif à cette disruption. En mars 2018, François-Henri Pinault annonçait qu’il testait son propre modèle de location « par abonnement » dans le cadre d’un programme interne portant sur les stratégies de rupture.

* « Le luxe demain. Les nouvelles règles du jeu ». Yves Hanania, Isabelle Musnik, Philippe Gaillochet. Éditions Dunod. Octobre 2019 .

**.Ilaria Casati, « Dressing à louer », Le Journal du dimanche, 10 février 2019.
*** « Luxury Goods Worldwide Market Study, Fall-Winter 2018, The future of luxury: A look into tomorrow to understand today », Bain & Company, 2019.

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