5 novembre 2017

Temps de lecture : 5 min

« La start-up ne doit pas devenir l’opium des grands groupes »

Briser le mythe autour de la relation grand groupe-start-up, c’est le propos d’Antoine Denoix, directeur digital, marketing & service client chez AXA France, qui partage son retour d’expérience, ses écueils et réussites. Interview.

Briser le mythe autour de la relation grand groupe-start-up, c’est le propos d’Antoine Denoix, directeur digital, marketing & service client chez AXA France, qui partage son retour d’expérience, ses écueils et réussites. Interview.

Si les start-up sont pour le groupe AXA la meilleure des assurances vie dans notre époque où le changement est devenu la norme, elles ne doivent pas pour autant devenir un idéal à imiter. Gare à ce que « l’innovation ne devienne l’opium du CAC40 », prévient le monsieur Digital d’AXA France, paraphrasant la célèbre formule marxiste. Si l’agitation, les excès et les expérimentations tous azimuts des premiers temps de la transformation digitale tendent à s’essouffler, un fantasme persiste : celui de la rencontre entre le grand groupe et la start-up, de la carpe et du lapin.

Des acteurs comme VivaTechnology ou Station F révèlent une certaine réussite de la symbiose entre ces deux business. Mais si 100% des grands groupes français déclarent s’être structurés pour travailler avec des start-up, dans les faits, pour éviter de se regarder l’un et l’autre en chien de faïence, pour exclure une relation déséquilibrée, la relation demande un investissement encore trop minimisé. Le temps de la transformation numérique des grands groupes -celui du réveil collectif, des learning expeditions, des POCs et de la communication institutionnelle- doit laisser place au temps II, l’ère de la normalisation, de l’industrialisation, du passage à l’échelle des nouveaux business models.

Résolument engagé dans cette transformation qui dépasse les tâtonnements initiaux et affichant une stratégie d’open innovation ambitieuse, le groupe bancaire et d’assurance AXA s’est livré sans langue de bois au jeu de l’interview à sa sortie de scène du HUBFORUM Paris 2017.

IN : quels territoires de collaboration sont à explorer entre un grand groupe et une start-up ?

Antoine Denoix : ils sont au nombre de trois. Le premier concerne le capital : c’est l’une des premières formes que peut prendre l’alliance lorsqu’un grand groupe souhaite investir pour préparer l’avenir soit à travers un investissement financier soit par l’incubation. Par le biais du fonds AXA Strategic Ventures (ASV), AXA investit plusieurs millions d’euros dans la prise de capital de start-up prometteuses.

Les stratégies de partenariat de distribution et de produits constituent les deux autres territoires de collaboration et sont liées à des ruptures d’usage qui bouleversent notre métier d’assureur. D’un côté, en travaillant avec les nouvelles plateformes de l’économie collaborative (Blablacar, Deliveroo, OuiCar, Hopwork…), nous distribuons nos produits d’assurances sur le parcours des utilisateurs de ces plateformes. Nous sommes par exemple passés d’une assurance automobile liée aux véhicules et aux conducteurs à une assurance liée à l’usage.

De l’autre côté, si nous, assureur, avons pendant des années conçu des produits d’assurance habitation, auto, santé en exerçant le métier de bout en bout, nous avons compris que la bataille de la valeur allait se gagner sur des services connexes additionnels. Aujourd’hui, lorsque nous assurons les locaux d’un professionnel, nous lui proposons une aide juridique via Legalstart, une aide administrative avec Quickbooks ou encore un équipement en IoT pour détecter des intrusions grâce à une caméra Somfy ONE+. In fine, notre métier d’assureur bascule sur le modèle de plateforme ouverte pour protéger les particuliers, les professionnels en s’enrichissant de la proposition de valeurs des start-up.

IN : en quoi ce mariage grand groupe et start-up est-il gagnant-gagnant ?

A.D : les start-up et les grands groupes doivent travailler main dans la main pour mettre en place les conditions d’une dialectique gagnante pour les deux parties. Pour cela, il y a déjà deux conditions qui doivent être remplies. Tout d’abord, avoir un SAS humain, une équipe dédiée chez le grand groupe et un référent identifié chez la start-up qui œuvrent au développement du partenariat. Ensuite, le grand groupe doit se doter d’un SAS technologique à travers le développement d’API afin de pouvoir brancher des nouveaux services aux systèmes existants sans que les start-up ne se retrouvent alourdies de sa complexité. Si la start-up ne peut pas se connecter à vos systèmes d’informations, vous n’irez nulle part !

Aujourd’hui, AXA France a noué une centaine de partenariats avec des plateformes collaboratives. Quand nous décidons d’accompagner une start-up, nous lui apportons notre crédit, notre marque mais aussi une condition d’existence : en assurant les usages de ces plateformes, nous leur permettons d’exister ! En retour, elles nous apportent de l’innovation dans les produits car elles nous bousculent en termes de propositions de valeur. Elles nous offrent également une visibilité sur un nouveau bassin d’audience dont nous n’avions pas forcément l’habitude. C’est le cas par exemple de Deliveroo qui propose une protection sociale aux cyclistes partenaires en cas d’accident à travers une assurance santé, une prévoyance ainsi qu’une responsabilité civile professionnelle. Grâce à ces partenariats, la marque AXA adresse plusieurs millions de nouveaux touchpoints avec ses clients !

IN : quelle a été la principale difficulté à laquelle vous avez dû faire face dans la construction d’une relation avec les start-up ?

A.D : la question de la clarification de la relation, et ce dès le début des échanges, est selon moi primordiale. Lorsque la start-up et le grand groupe sont autour d’une table pour la première fois, toute l’attention doit être portée par l’élucidation du quid proquo : qu’est-ce que chacun recherche chez l’autre ? Le grand groupe souhaite-t-il investir ? Faire intervenir la start-up en tant que prestataire ? Si le grand groupe est dans une logique de monter au capital, alors qu’il y aille directement. S’il souhaite travailler avec la start-up, il convient de la considérer comme telle, sans traitement de faveur particulier, même si la question de l’investissement vient par la suite. On a pu constater que les discussions et les projets pouvaient être pollués si on ne mettait pas  » cartes sur table  » immédiatement !

IN : comment innover aujourd’hui dans un grand groupe ?

A.D : les grands groupes doivent apprendre à innover. Chez AXA France, nous exploitons les méthodes de l’open innovation et nous les infusons en interne. Depuis deux ans, nous avons lancé chez AXA une équipe spécifique : l’Accélérateur. En deux semaines, nous arrivons à prototyper un concept, ce qui nous permet de constater rapidement si nous avons vu juste ou non vis-à-vis de nos clients. Pour industrialiser un concept, nous sélectionnons une problématique de distribution ou de produit, par exemple, que nous cherchons à « craquer » avec des méthodologies de data crunch, d’ethnographie, d’écoute terrain. En deux mois, les premières orientations concrètes apparaissent.

Enfin, la culture d’entreprise joue un rôle majeur. Je ne vous surprendrai pas en parlant d’horizontalité et de collaboration. On ne peut pas être organisé en silos et, en même temps, creuser des sujets d’innovation en profondeur. Pour réussir à innover de manière continue, il faut pousser au maximum ces valeurs même si les grands groupes travaillent encore aujourd’hui sous le prisme de la hiérarchie.

IN : quelle place les grands groupes doivent-il accorder aux start-up dans leur stratégie d’innovation ?

A.D : les start-up permettent aux grands groupes de prendre un gage sur l’avenir. En revanche, la start-up doit rester un miroir pour les grands groupes. A travers elle, ils peuvent se rendre compte de leur inertie, de leur rigidité, de leurs défauts mais en aucun cas la start-up ne doit devenir un idéal à imiter par le grand groupe. La start-up est le stade d’adolescence d’une organisation en phase de développement. La preuve ? Une start-up ne veut pas rester une start-up. Le risque, c’est que les start-up soient une excuse facile du grand groupe, qui lui évitent d’affronter sa propre transformation : « Je vais créer une start-up », « Je vais envoyer mes équipes dans une start-up », « J’en rachète une » … Il n’est pas bon que la start-up devienne l’opium du CAC40.

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