25 janvier 2019

Temps de lecture : 4 min

Les manifs ? C’est de la com

Assaël Adary, co-fondateur du cabinet Occurrence chargé par un collectif médiatique d’évaluer les mouvements sociaux français, publie le livre « République-Bastille, Sous les manifs, la com ! ». Un intitulé qui détourne consciemment le fameux slogan de mai 68 pour faire passer la thèse de son auteur : une manifestation peut être analysée comme n’importe quelle opération de communication.

Assaël Adary, co-fondateur du cabinet Occurrence chargé par un collectif médiatique d’évaluer les mouvements sociaux français, publie le livre « République-Bastille, Sous les manifs, la com ! ». Un intitulé qui détourne consciemment le fameux slogan de mai 68 pour faire passer la thèse de son auteur : une manifestation peut être analysée comme n’importe quelle opération de communication. 

En France, la rue a toujours été le terrain de jeu d’une expression publique libérée. Une véritable histoire manifestante qui tient dans le mouvement des Gilets Jaunes l’un de ses exemples les plus probants. Mais comment évaluer les mouvements sociaux à leur juste valeur sans les instrumentaliser ? En mars dernier, un conglomérat regroupant notamment l’AFP, Le Monde et France Info, a chargé le cabinet d’étude et conseil Occurrence de comptabiliser les participations des futures manifestations françaises. L’intérêt de cette « dérogation » était de profiter de l’indépendance et de l’expertise professionnelle, de ce tiers parti. La messe semblait dite aux sempiternelles moqueries concernant la disparité entre les chiffres de la police et ceux des manifestants.

Assaël Adary, cofondateur du cabinet Occurrence, a publié le 10 janvier 2019 un ouvrage intitulé « République-Bastille, Sous les manifs, la com ! ». Pour l’auteur, les grands mouvements de foule de la vie politique et sociale française peuvent être analysés comme des opérations de communication. La fascination ambivalente suscitée par les Gilets Jaunes renverrait donc à celle qu’exercent les grandes marques émergentes. Mais gare au retour de baton : leurs atouts peuvent se transformer en points faibles.

 IN : d’où vous est venue cette envie de prendre part au débat national ?

Assaël Adary : tout commence en 2007 alors que nous développions avec la start-up Eurekam, une sorte de médiamétrie de l’événementiel pour calculer le ROI de nos clients. Conscients du potentiel de notre technologie et de notre responsabilité en tant qu’entreprise, nous avons décidé de couvrir les mouvements sociaux de notre pays. Le chiffre est un bien d’intérêt général et ne devrait pas être confisqué par une seule idéologie. Mais nos premières tentatives se sont soldées par de lourdes désillusions, nos données étant totalement boudées des médias. Nous avons même été convoqués par les RG car nos capteurs étaient suspectés de filmer les passants, alors qu’ils sont bien sûr RGPD compatibles.

Mais suite à l’élection présidentielle de 2017, et notamment aux déclarations de Jean-Luc Mélenchon qui parlait d’un 3ème tour organisé dans la rue, nous avons senti le vent tourner. Il fallait retenter l’expérience. Cette fois, nos données ont été extrêmement médiatisées, démontrant au passage que le monde avait bel et bien changé. Les sondages erronés de la dernière élection américaine et du Brexit ont montré toute l’importance d’une mesure fiable des mouvements populaires. Avancer deux chiffres c’est se rendre complice de relativisme.

 IN : est-ce une sorte de désaveu des moyens jusque là mis en oeuvre ?

Assaël Adary : je pense que notre nomination à cette fonction est d’abord guidée par la prise de conscience actuelle de la sphère médiatique sur la question de la véracité des faits. En témoigne la flopée de fact checker développés ces derniers mois. Même si certains pourraient  accuser les médias de se dédouaner, ils ne font que remplir à distance, leur mission d’investigation, intrinsèque à toute organisation médiatique.

 IN : pourquoi votre méthode est-elle plus efficace et précise que celles de la police, des syndicats ou des manifestants ?

Assaël Adary : notre technique est simple : nous installons des capteurs qui tracent une ligne laser comptabilisant, uniquement dans un sens, toutes celles et ceux qui la franchissent. Avec, bien sûr, une marge d’erreur que nous avons établie en amont après de nombreux tests. Nous ne les laissons jamais sans surveillance. Après trois heures de calcul, nous effectuons sept à huit comptages à la main, souvent sur des moments de très grande densité, afin de les recalibrer. Bilan des courses, après une quinzaine de manifestations mesurées, force est de constater que nos chiffres sont plus proches de ceux de la préfecture que de ceux des manifestants. Il convient bien sûr de ne pas tirer de conclusions hâtives, et de recontextualiser au cas par cas chaque donnée.

IN : dans votre ouvrage, vous évoquez la caisse de résonance trouvée par le mouvement des Gilets Jaunes sur les réseaux sociaux. Pouvez-vous approfondir cette idée ?

Assaël Adary : sans coller l’étiquette toute faite de manifestation 2.0, ce mouvement est bel et bien né sur les réseaux sociaux. Une réalité qui nous questionne sur cette nouvelle échelle numérisée de l’engagement où les formes de protestations historiques telles que les pétitions ou les cagnottes, ont trouvé un second souffle. Un constat vecteur de nombreuses incertitudes : qu’est ce que l’engament digitalisé ? Que vaut réellement un like ? Une question qui symbolise le plus gros problème de ces nouvelles formes d’expression : sur le digital tout s’achète. Et souvent pour pas cher.

IN : pour vous, composer un cortège de protestation est art. Un choix de vocabulaire qui en dit long sur la difficulté de le mener à bien. L’absence de cadrage des manifestants par des leaders désignés les dessert-il pour « vendre » leur action ?

Assaël Adary : pour répondre à cette question, il faut comprendre les principaux leviers activés par une marque pour s’inscrire dans le temps. Tout professionnel vous rappellera alors la nécessité d’une baseline claire, d’une promesse unique de vente. Pour les Gilets Jaunes, qu’elles sont-elles ? Le RIC ? La démission d’Emmanuel Macron ? L’autre désavantage du mouvement -ou la force, selon le point de vue adopté- est de regrouper des personnalités très différentes et plus ou moins en accord avec ses revendications initiales. C’est exactement la même difficulté rencontrée par les marques uniques : tout coût de canif de l’une de leur partie prenante, comme par exemple la polémique autour de l’agression des deux gendarmes par l’ancien boxeur professionnel Christophe Dettinger, porte atteinte à l’intégrité du mouvement dans son ensemble. Un constat qu’il faut tout de même nuancer. Le premier enseignement que j’ai pu tirer de mon expérience est que plus on est nombreux, moins on est violent. Quand on est autant, le chiffre parle de lui-même.

De là à ce que les manifestations atteignent toujours leur but ? De moins en moins, selon l’auteur. Mais la parole est à l’ouvrage.

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