26 octobre 2011

Temps de lecture : 2 min

Lynchage de Kadhafi: le contrat sanglant

La sauvagerie n’a pas disparu. Elle est même partout. Les images du lynchage présumé de Kadhafi sont d’une extrême violence et montrent que la brutalité n’est jamais loin et représente notre part maudite.

Kadhafi a tout de la figure du monstre. Dans les schémas mythologiques, le monstre est le négatif opposé au positif, le bouleversement de l’ordre tranquille. Le monstre dérange, déforme, et son existence ou sa révélation permet de mettre un mot, un concept, une image sur ce qui change. En cela, il incarne ce qu’il faut éliminer et cette incarnation a une réelle vertu : celle de rassembler, de fédérer.

Par son existence, même il est le Ça qui permet au surmoi collectif et au conscient social de se structurer contre le monstre, contre un état de fait jugé par la communauté comme négatif. Le monstre a donc une vraie fonction : incarner des éléments négatifs que le Monde doit expulser, éliminer afin de rétablir l’ordre, le cosmos ordonné et ainsi faire renaître un nouveau cycle à la mort du monstre.

La fin des grands dictateurs, ces monstres absolus, a donc toujours été d’une grande violence. Ils incarnent le mal absolu, une époque de désolation, une ère qu’il faut conclure, une parenthèse à refermer avec fracas. La destruction du monstre fait renaître le monde. Le symbole de sa mort sert donc d’exutoire.

Les images du lynchage présumé de Kadhafi sont représentatives de cette tentation sauvage, celle de tuer, d’exécuter, de laisser libre cours à la violence de la foule, à la soif de vengeance. D’autres dictateurs en ont fait les frais. C’est ce que relève Didier Musiedlak, auteur du livre Mussolini*. Ce dernier a ainsi vu son cadavre profané : « son crâne est mis en bouillie par la foule. On cherche même à lui mettre en bouche un rat mort ».

La fin du monstre, du dictateur tant détesté permet de laisser libre cours aux pulsions, et sa disparition est celle d’une tumeur maligne qui permet au corps social de retrouver la paix. C’est ce que le philosophe Jean-Baptiste Jeangène Vilmer a relevé à propos de la mort de Kadhafi** : «la disparition d’un corps individuel permet au corps social de se réconcilier».

Même dans la violence, où toute idée de civilisation, d’humanité même est gommée au profit de la vengeance, du goût du sang. C’est la révélation, l’enlèvement du voile sur notre animalité, nos penchants bestiaux. Le lynchage d’un dictateur comme Kadhafi, et Mussolini avant lui, ainsi que des dizaines avant eux est un contrat social né dans le sang. La refondation d’une société entière dans le sacrifice.

Nous avons toujours fonctionné comme cela. Peut-on finalement s’en étonner ? C’est l’acceptation de la « part maudite » dont parlait Bataille. Cette partie de nous qui inclut une certaine vision du sacré, du corps social renaissant dans le sang, de la terre ensemencée dans un sacrifice qui nous permet de nous remémorer que notre violence innée, primitive, intrinsèque est uniquement tempérée, limitée.

Elle peut surgir à tout moment. La seule différence avec avant est qu’il y aura de plus en plus de caméras pour saisir ces moments où l’homme est un loup pour l’homme.

Thomas Jamet – NEWCAST – Directeur Général / Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
www.twitter.com/tomnever

Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur, en librairie le 15 septembre). Préface de Michel Maffesoli.

* Didier Musiedlak, Mussolini, Presses de Science Po, 2005 et http://www.rue89.com/2011/10/23/le-corps-du-dictateur-de-mussolini-kadhafi-225857

** http://www.mediapart.fr/journal/international/241011/le-lynchage-de-kadhafi-la-violence-et-le-sacre

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