6 juin 2012

Temps de lecture : 3 min

« Les nouvelles technologies sont aussi une réponse à une demande citoyenne »

Sociologue, chercheur à Paris Ouest Nanterre et spécialiste français de la foule, Vincent Rubio*, évoque pour INfluencia l’impact de l’innovation dans les outils technologiques de communication.

Alors que médias et réseaux sociaux deviennent des outils de contestation et de rassemblement populaire, il explique que grâce aux innovations technologiques, la foule est de retour !

Vincent Rubio, les nouvelles technologies de la communication changent-elles la place et le rôle de la foule dans notre société ?

 INfluencia: Une mise en perspective historique est nécessaire pour répondre à cette question. Dans notre société, et plus largement dans la modernité politique occidentale, la foule est originelle au sens où elle est l’acteur principal de l’avènement de la démocratie. Elle est l’agent qui fait basculer les choses dans le bon sens si je puis dire. Dans le même temps, sitôt la forme démocratique et républicaine dévoilée, elle n’a de cesse de se débarrasser de la foule, disons peut-être plus sûrement de la dépasser. La foule doit devenir peuple et, à l’homme perdu dans la foule, doit se substituer le citoyen éclairé. D’une certaine manière, il s’agit là de passer des passions et de l’émotion incontrôlées au règne de la raison.

On trouve déjà ce souci chez Platon et Aristote lorsqu’ils réfléchissent à l’organisation de la société et aux différentes formes politiques correspondantes. La foule y est considérée comme un objet du mal.

Cette distinction constitue un fil rouge dans la littérature politique occidentale, ainsi qu’un principe fondateur de la démocratie. Cette obsession de se débarrasser de la foule passe d’abord par son atomisation. Car, on l’aura compris, c’est d’abord l’agglutinement physique non contrôlé qui est menaçant pour l’ordre républicain. Ainsi, dans la littérature politique, sociologique et philosophique, la foule devient public puis masse et enfin opinion publique.

Cette transformation sémantique a une correspondance dans la réalité. L’opinion publique est la réalisation de l’idéal démocratique dans la mesure où elle incarne la participation de chacun (enfin) libérée de la présence de tous. Tout le monde y est représenté mais personne n’y est présent. La puissance publique, le pouvoir politique y trouvent par rebond toute leur légitimité. La république a domestiqué la foule, qui a perdu sa légitimité. Elle croit avoir mis définitivement à distances les hommes, qui représentent sa composition originelle.

Peut-on dire qu’elle y est parvenue ?
L’avènement d’Internet et des nouvelles technologies –  qui ne nécessitent aucun contact physique pour communiquer – devaient sceller la réalisation définitive du processus de mise à distance des individus, du nettoyage de l’espace public en quelque sorte. Mais il est très intéressant de constater qu’au contraire, ces nouvelles technologies apportent des nouvelles opportunités à la foule de se cristalliser. On peut prendre pour exemple Gênes en 2001 avec les manifestations anti-G8 ou les printemps arabes avec Twitter.

Mais on note aussi leur utilisation par la foule pour tout un tas de réunions physiques qui ne relèvent pas du politique, comme les flashs mob, les apéros géants et les free party. Evidemment, dès que la foule réapparait le politique légifère pour dire «  ça ne va pas ». La foule lui fait peur.

Quels constats tirer du paradoxe que vous évoquez ?
Primo que la foule qui échappe au contrôle est de retour après avoir été pour ainsi dire chloroformée pendant des siècles. Si elle est de retour, c’est en grande partie grâce aux nouvelles technologies. Secundo que l’être humain investit la froide technologie d’un plein d’émotions en l’usant pour du partage de sentiments, de ressenti et d’instants sans projection vers l’avenir. Nous ne sommes plus dans la raison. La marque de notre temps c’est ce mariage entre l’archaïsme qu’est la foule et l’hyper modernité représentée par les nouvelles technologies.

Ce mariage sera-t-il consolidé par l’innovation ?
Oui, il va se développer et la foule sera de plus en plus de retour et de plus en plus par le biais des nouvelles technologies. Je suis convaincu que pour les individus le non actuel – tout ce qui n’est pas en présence physique – ne sera jamais à la mesure de l’actuel, qui au bout du bout reste le facteur de plénitude pour l’être humain. Les foules seront de moins en moins politiques et s’épuiseront dans le partage des émotions dans l’instant donné, sans projection.

C’est le temps du ludique : « vivons l’instant présent ici et maintenant ». Les nouvelles technologies sont aussi une réponse à cette demande là.

Propos recueillis par Benjamin Adler

 *Vincent Rubio est l’auteur de «La foule. Un mythe républicain ?» paru en 2008 aux éditions Vuibert.

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