20 avril 2011

Temps de lecture : 6 min

Quel rapport entre le printemps arabe, le Japon, et le marketing et la communication?

Et si plus rien n’était « Under Control» aujourd’hui? Face à l’imprévisible, les hypothèses de demain et leurs expérimentations seront plus sûres que les certitudes d’hier. Le point de vue de Michel Hebert, président de No-Logic Consulting et auteur du livre à paraître, «le marketing et la communication face à l’imprévisible»*

C’est tout de même bizarre au fond, nous n’avons jamais autant parlé du principe de précaution, de responsabilité sociale, ou de responsabilité tout court. La technologie a avancé à pas de géant, on peut tout faire et tout savoir grâce à elle…

Et pourtant, les catastrophes arrivent les unes après les autres, de façon imprévisible, sans frapper, de façon impolie (même pas bonjour !)… Suivent alors les crises de tous genres: financière. BP inonde la Louisiane, un petit volcan empêche la terre de tourner durant plusieurs jours, Toyota a les freins qui lâchent, les déficits grandissent jusqu’à mettre un pays en quasi faillite. La chine s’est réveillée («Quand la chine s’éveillera le monde tremblera» disait Alain Peyerefitte, il n avait pas tort !) et rachète les dettes des pays européens, etc. Le directeur artistique d’une grande maison de couture célèbre Hitler, mettant la marque dans une situation «imprévisible».

Et puis c’est le printemps arabe, et une catastrophe nucléaire au japon inimaginable. On est envahi de «Cygnes noirs», comme le fait remarquer Nassim Nicholas Taieb: «On n y croyait pas, jusqu’à les découvrir en Australie, et là… il a bien fallu y croire». Et pourtant, tout était « Under Control ». On a en réalité envie de dire: « Nothing is Under Control ».
On tente de gérer l imprévisible et son désordre, «les béances d’incertitudes», comme disait E Morin, avec la pharmacopée et la sémantique du siècle dernier, avec des méthodes imaginées avant 1970, pour «le monde de l’ordre». Alors bien sûr, ça ne marche pas très bien pour gérer «le monde du désordre».

La crise imprévisible au Japon et dans le marketing et la communication.

Points commun: elles sont imprévisibles, impensables, inimaginables et obligent à une réactivité immédiate.
Mais autre point commun, notre intelligence des crises se base sur des faits anciens, devenus des références (exemple «la crise de 29» utilisée à toutes les sauces au moment de la dernière crise financière), la hauteur des vagues observées au Chili (vagues de 6 mètres il y a 20 ans et plus, on sait qu’elles ont été 3 ou 4 fois plus hautes lors du tsunami d’il y a un mois) pour démontrer que la centrale nucléaire au Japon était «sous contrôle et construite dans les règles de la plus haute sécurité.

Ces événements passés ont fini par faire office de loi et tranquilliser le monde. Le blabla aidant des techniciens prenant la parole pour assurer la population que tout est «sécurisé», renforce la sécurité «perçue» par les citoyens. Les experts sont eux mêmes convaincus de ce qu ils disent, malgré la légèreté de leurs discours. L’arrogance occidentale des techniciens, des donneurs de leçons et des obsédés de la vision de l’avenir du monde en fonction de l’observation du passé, fait bien des dégâts. Nous sommes prisonniers d’un système de réflexions cloisonnées, nous sommes prisonniers de l’histoire passée qui est notre banque du savoir, notre livre d’histoire qui va nous servir à bâtir le futur.

Crises dans les entreprises

Le sujet est finalement le même, il existe partout des banques de cas, certains vieux de 20 ans, où on apprend ce qu il faut faire dans telle ou telle circonstance. Et on applique encore ces recettes.
La crise dans les entreprises est l’occasion d’appliquer nos souvenirs d’études supérieures, mais pas d’inventer des solutions, même si le monde a changé. On récite les solutions référentielles: telle marque en 1987 avait eu le même problème et l’avait résolu de telle manière. Tout cela fleure bon la sécurité. Sauf qu’ en 1987 ou même antérieurement, les cas mettaient en concurrence deux ou trois marques par marchés, Coca contre Pepsi, Avis contre Hertz, etc.….

Aujourd’hui Coca et Pepsi ont des dizaines de milliers de concurrents dans le monde et des risques d’imprévisibles beaucoup plus forts et différents, car il y a en plus des opportunistes en nombre qui cherchent les interstices pour prendre des parts de marché. Sans compter Internet qui accélèrent les choses. Enfin la société n est plus la même, ne l’oublions pas. Mais comme pour la crise japonaise on pense que tout est sous contrôle, et que les cas étudiés avec de magnifiques power point, nous serviront à régler les problèmes…

Ce qui nous arrive avec le Japon, est ce qui peut se produire dans les entreprises. Des événements lourds de conséquences. L’incident dans une maison de couture avec son directeur artistique, une histoire compliquée chez un fabricant de voitures français ….un mort dans une chaine de sandwicherie (qui n est pas américaine) etc.…. montrent que les problèmes qui peuvent éclater dans une entreprise, peuvent être aussi des tsunami, et des fortes secousses sismiques.

Notre intelligence des crises est dépassée

Le passé nous a appris la science des secousses sismiques, mais jamais d’une secousse sismique, d’un tsunami et d’une centrale au bord de la mer qui tombe ensuite en lambeaux, non. On ne pouvait imaginer les trois à la fois. C’est ce que rappelle Patrick Lagadec directeur de recherche à l’Ecole Polytechnique, spécialiste des crises hors normes. «Notre intelligence des crises, dit il, est dépassée» .Il rajoute: «sans doute la seule façon de tenter de régler le problème de la centrale nucléaire au japon est l’improvisation. Imaginer et tester des solutions, car il n y a pas de solutions issues de la logique. Nous avons été habitués à avoir en tête des « jardins tirés au cordeau », nous devons nous familiariser avec la broussaille».

Dans les sujets de l’entreprise c’est pareil, nous devons nous familiariser avec la savane et tenter de nous repérer. Il faut donc comme au Japon expérimenter des choses pour trouver un nouveau savoir. C ‘est essentiel et difficile. Essentiel, car c’est le seul moyen de sortir de situations inconnues, difficile, car «on forme les décideurs pour des situations domestiquées et avec des réponses programmées».

Google doit son succès à une suite d’expérimentations successives

Le concept d’expérimentation est important pour l’avenir. Il peut nous aider à créer des entreprises mobiles, réactives, capables d’affronter les pires dangers, à condition de déconditionner nos cerveaux.
Les pires dangers sont là ou l’ont déjà été: la vache folle, des médicaments qui font des morts, une marque de voiture automobile française, une maison de haute couture, des freins qui ne freinent plus pour plus de 4 millions de voitures d’une marque japonaise, un avion de fabrication française qui tombe sans explication du coté de Rio, des entreprises où il y a des suicides….

Si le monde est imprévisible et imprédictible, alors il faut apprendre par nous mêmes, apprendre à réfléchir vite (Patrick Gadalec évoque la création de groupes de réflexion rapide) émettre des hypothèses, en lançant des initiatives sur le marché et en observant les résultats. C’est le seul moyen d’arriver à obtenir du savoir, de la compétence, de l’expérience. Après tout, comment fait la science pour découvrir des solutions si ce n est en expérimentant de nouvelles formules en laboratoires?

Dans le domaine du net, l’expérimentation a été à l’origine de la création d’entreprises parmi les plus importantes du monde. Google doit son succès à une suite d’expérimentations successives, comme le rappelle Jeff Jarvis dans «Que ferait Google à votre place». «Devenons des virtuoses du prototype», dit de son côté Gary Hamel dans «la fin du management».

Au fond, les marques du web illustrent bien ce qui pourrait se passer aujourd’hui dans les marchés traditionnels: que font elles, ces marques devenues des «stars» dans l’incertitude et l’imprévisible? Elles ne créent pas de business plan en priorité, elles ne figent pas les choses, elles sont dans la mobilité. Elles émettent de nombreuses hypothèses, puis elles prototypent rapidement leurs idées qu’elles mettent sur le marché. Et elles observent ce qui se passe en modifiant leur offre au fur et à mesure des interactions (mobilité exigée). C’est de la «mobilité apprenante».

Tel est le fonctionnement du marketing de l’expérimentation. Oui c’est artisanal, oui cela peut ressembler à une approche pragmatique, «de l’épicier» qui change ses étalages en fonctions du chiffre de la veille…. Et si c’était cela le marketing de demain, un marketing certes pragmatique, mais tellement plus mobile d’une part et tellement plus proche des citoyens d’autre part, citoyens qui ont avant tout besoin de faire confiance aux produits qu’ils achètent.

Désormais face à l’imprévisible, les hypothèses de demain et leurs expérimentations seront plus sûres que les certitudes d’hier.

Michel Hebert
Président de No-Logic consulting

*«le marketing et la communication face à l’imprévisible. Plus l’entreprise sera mobile, meilleure sera sa stabilité ». A paraître en mai. Editions L ‘Harmattan

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