11 novembre 2009

Temps de lecture : 3 min

Le mur n’a jamais existé

Il y a 20 ans, le mur de Berlin tombait. La fin de l'histoire peut-être, mais avant tout la fin d'une séparation entre deux mondes. Si le monde a bien changé depuis, la séparation et l'isolation restent des thématiques en débat lorsqu'on évoque Internet et les usages des technologies digitales. Une étude américaine vient justement de sortir et de prouver que pratiques digitales ne riment pas avec isolation sociale, bien au contraire ! Par Thomas Jamet

Il y a 20 ans, le mur de Berlin tombait. La fin de l’histoire peut-être, mais avant tout la fin d’une séparation entre deux mondes. Si le monde a bien changé depuis, la séparation et l’isolation restent des thématiques en débat lorsqu’on évoque Internet et les usages des technologies digitales. Une étude américaine vient justement de sortir et de prouver que pratiques digitales ne riment pas avec isolation sociale, bien au contraire !

La chute du Mur de Berlin a fait se rapprocher deux mondes : l’Ouest et sa société de consommation, sa liberté et sa culture, et l’Est et ses dizaines d’années de frustrations et de privations. Nous nous souvenons tous du symbole, et les multiples commémorations de cette semaine sont là pour nous rappeler à quel point il est émouvant et symbolique que deux mondes séparés se retrouvent.

Les 20 ans qui nous séparent de la chute sont ceux pendant lesquels les technologies digitales ont envahi notre quotidien. Le mobile, Internet et les réseaux sociaux ont tellement investi nos vies que nombreux sont ceux qui pensent que ces objets créent un nouveau monde et que réel et virtuel s’opposent. Les chercheurs en communication le disaient depuis des années : ces outils ont changé la communication interpersonnelle, sans pour autant isoler les individus. Mais une étude récente du Pew Research Center (étude complète en dessous) va plus loin en apportant des arguments contre les idées reçues.

Menée auprès de plus de 25 000 Américains à l’été 2009, cette étude montre que l’usage des nouvelles technologies a plus tendance à rapprocher qu’à éloigner. Les utilisateurs de réseaux sociaux ont ainsi un réseau de connaissances 20% plus large que celui des non-internautes,  plus de chances d’aller dans un parc public ou dans un bar tandis que le contact en face à face reste leur premier moyen de communication avec leurs proches. Plus étonnant, l’étude révèle que ceux qui partagent des photos sur la toile ont plus de 60% de chances d’entrer en discussion avec des personnes ne partageant pas leurs opinions politiques et que les bloggers ont 95% de plus de chance de se confier à quelqu’un d’origine ethnique opposée… Activité digitale rime donc avec ouverture sociale, mais cela nous rappelle surtout que le virtuel et le réel ont finalement toujours partagé la même « réalité », et qu’il ne fait pas sens d’imaginer un « mur » entre les deux.

Le mot « virtuel » lui-même est galvaudé dans son utilisation digitale et même quelque peu dénigré, comme s’il était pétri d’une immatérialité suspecte. Hérité du latin virtus (vertu), il ne s’oppose pas du tout au « réel ». Au contraire il signifie « potentiel » plutôt qu’ « irréel ». Les travaux de Pierre Levy ou Gilles Deleuze le montrent : le « virtuel » est ce qui n’existe pas de manière « actuelle », c’est-à-dire « dans le monde » mais dispose d’un potentiel d’ « actualisation », c’est-à-dire capable de s’animer et de devenir ainsi un véritable prolongement du réel. Les joueurs de jeu vidéo, les membres de sites de rencontre ou de réseaux sociaux comprennent bien ce potentiel d’ « actualisation » et d’irruption du potentiel, du tangible dans la vie réelle, à partir d’éléments « virtuels ».

Mais la notion de « réel » elle-même (prétendument opposée à celle de virtuel) doit être questionnée. La pensée constructiviste issue de de Kant et prenant ses sources dans le nominalisme de Guillaume d’Ockham a montré que ce que nous imaginons être le réel, est en fait une construction de notre esprit, de notre entendement humain, et jamais le reflet exact de la réalité. Une subtilité dans l’étude du langage qu’a relevée le linguiste Ferdinand de Saussure en faisant la distinction entre « signifiant » (l’objet) et le « signifié » (ce qui se cache derrière l’objet).

C’est  ce que relève Philippe Rigaut dans son ouvrage « Au-delà du virtuel » : « la fiction langagière de nos perceptions fonde depuis toujours l’imaginaire consistant de la vie humaine.  En ce sens, (les nouvelles technologies) n’apportent rien de nouveau sinon une dilatation quasi infinie de la réalité et de ses simulacres qui nous soutiennent. Les débats sur le plus ou moins de réalité du virtuel sont donc, à ce niveau, de faux débats: notre monde a toujours été virtuel, dès que l’homme a commencé à parler ».
Le virtuel et les nouvelles technologies ne sont donc absolument pas séparés du réel par un « mur » qui opposerait ces deux mondes, comme l’ont été un jour l’Est et l’Ouest. Le mur entre réel et virtuel n’a jamais existé. Le virtuel est partie prenante du réel.
Bienvenue dans un monde où nous pouvons espérer que le seul « mur » sera celui de Facebook…

Retrouvez l’intégralité de l’étude Pew Research Center ici.

  Thomas Jamet est directeur général adjoint de Reload, structure de planning stratégique, d’études et d’expertise de Vivaki (Publicis).

thomas.jamet@reload-vivaki.com
www.reload-vivaki.com

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