2 décembre 2009

Temps de lecture : 3 min

Media: par-delà le bien et le mal

Le digital prépare un nouveau monde. Dans cet environnement, les écrans prennent une place de plus en plus importante. Une réalité qui peut rendre anxieux : de nombreux penseurs y voient de multiples risques... Les media sont-ils une menace ? Au-delà, peut-on édicter une morale des media ? Par Thomas Jamet...

Le digital prépare un nouveau monde. Dans cet environnement, les écrans prennent une place de plus en plus importante. Une réalité qui peut rendre anxieux : de nombreux penseurs y voient de multiples risques… Les media sont-ils une menace ? Au-delà, peut-on édicter une morale des media ?

Dans un ouvrage très intéressant (« Faut-il interdire les écrans aux enfants ?»)*, le philosophe Bernard Stiegler et le psychanalyste Serge Tisseron livrent tout le mal qu’ils pensent des écrans et de leur utilisation abusive, notamment auprès des jeunes. Serge Tisseron met en avant une baisse de la « deep attention » au profit de l’« hyper-attention » (destructrice selon lui du lien social et négative à la construction de l’identité) et dépeint une génération dans laquelle les enfants perdent un contact pourtant structurant avec l’extérieur.
Pour Bernard Stiegler, les écrans sont des pharmakon (des drogues) potentiellement aussi dangereux que positifs. Mal utilisés, ils déclencheraient selon lui un processus d’addiction stimulant les pulsions de consommation et mettant l’individu sous le contrôle des marques. Toujours selon Stiegler, les « télécrates » et les gouvernements qui ne limitent pas l’accès aux écrans pourraient être attaqués dans un avenir proche, comme l’ont été par le passé les promoteurs de l’amiante ou du tabac. Une vision très négative donc, qui fait de cet essai un véritable brûlot contre les écrans et leur utilisation actuelle (et une critique à peine voilée du système capitaliste et du marketing)…

Si le propos est évidemment légitime lorsqu’il s’agit de dénoncer les excès de la consommation TV et de protéger les enfants de certains abus, la critique semble quelque peu dépassée en ce qu’elle porte principalement contre les industriels et les producteurs de contenus, accusés d’inoculer quasiment délibérément désinformation et manipulation. Un vieil argument rappelant parfois Serge Tchakhotine et son « Viol des foules par la propagande politique » (sorti en… 1939), et limité aux seuls mass media. Car si les jeux vidéo sont abordés dans l’ouvrage, Internet l’est finalement assez peu et les auteurs passent à côté d’éléments majeurs comme l’interactivité et la délinéarisation des contenus qui changent pourtant structurellement le rapport aux écrans.

Le mot même de « télévision » (littéralement la diffusion d’un contenu en broadcast à un ensemble de personnes) a perdu de son sens à l’ère de la « catch up TV » et du PVR. Les media digitaux ne sont pas des media permettant d’injecter des messages de manière descendante dans l’esprit des individus. Aujourd’hui l’humain a bel et bien pris le pouvoir. Le moteur des nouvelles technologies n’est plus en effet l’émetteur ou le pouvoir en place, c’est l’humain. On parle même de media sociaux. Car, loin de distancer et d’isoler comme semblent le laisser entendre Stiegler et Tisseron, le digital est en train de redéfinir les contours de la sociabilité. Une étude récente du Pew Research Center en fait la démonstration : le digital rapproche plutôt qu’il n’éloigne, et exacerbe la capacité sociale (ceux qui partagent des photos sur la toile ont par exemple plus de chances d’entrer en discussion avec des personnes ne partageant pas leurs opinions politiques, et les bloggers ont plus de chance de se confier à quelqu’un d’origine ethnique opposée qu’à un individu lambda).

Il faut donc penser autrement les médias, sans regarder vers le passé, et surtout sans moraliser. Le nouveau monde digital et le nouvel environnement médiatique ne peuvent pas être définis en fonction de ce qui a précédé, et encore moins être empreints de jugements idéologiques. En abordant ces sujets dans « L’Esprit du Temps », Edgar Morin avait bien compris que ce qui était en jeu avec les nouveaux media n’était pas de fonder une nouvelle morale (qu’est-ce qui est « bien », qu’est-ce qui est « mal » ?), mais de comprendre qu’un nouvel imaginaire émerge, transcendé par la nouvelle culture médiatique.

Même si le propos de Stiegler et Tisseron peut donc apparaître critiquable, nous pouvons néanmoins les remercier de continuer à ouvrir le débat sur les écrans car il est évident qu’il faut réguler les abus (je parlais il y a quelque temps « d’ascèse digitale » et d’une auto-régulation des usages et attitudes digitaux). Mais au fond, toute leur analyse n’est pas si négative dans l’ouvrage. Un passage de Serge Tisseron est à cet effet assez limpide, définissant en quoi les digital natives sont en train d’inventer un nouveau monde : « nous sommes dans une période de transition (et les nouveaux usages inventent de nouveaux comportements) (…) Personne ne sait de quoi seront capables les enfants de demain. »

Espérons donc que nous saurons imaginer, espérer, raisonner ce nouveau monde avec optimisme, réalisme, et pragmatisme mais surtout sans regarder vers le passé, sans œillère ni moralisme. Les médias méritent mieux que cela !

  Thomas Jamet est directeur général adjoint de Reload, structure de planning stratégique, d’études et d’expertise de Vivaki (Publicis).

thomas.jamet@reload-vivaki.com
www.reload-vivaki.com

*Bernard Stiegler, Serge Tisseron : « Faut-il interdire les écrans aux enfants ?», éditions Mordicus, novembre 2009

Bernard Stiegler
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