8 septembre 2014

Temps de lecture : 4 min

Féminisme, influence, petite culotte et publicité

Alors que l’association Brave Girls Alliance lance une campagne pour débarrasser les médias et la mode de Photoshop aux Etats-Unis, la marque de sous-vêtements Dear Kate défend à sa manière la beauté authentique : dans sa dernière campagne, des cheffes d’entreprises de la Silicon Valley se dénudent. Pourquoi cela fait-il polémique ?

Alors que l’association Brave Girls Alliance lance une campagne pour débarrasser les médias et la mode de Photoshop aux Etats-Unis, la marque de sous-vêtements Dear Kate défend à sa manière la beauté authentique : dans sa dernière campagne, des cheffes d’entreprises de la Silicon Valley se dénudent. Pourquoi cela fait-il polémique ?

La femme Barbie aux mensurations (faussement ?) parfaites restera sans doute toujours un argument esthétique marketing pour les marques et les médias. Comme nous le relations en février dernier, le magazine nord-américain Sports Illustrated en apporte la preuve avec son ode annuelle à la beauté plastique dans le très populaire numéro spécial maillot de bain. L’exposition publique de la gent féminine dans son plus simple appareil peut aussi servir à lever des fonds pour une bonne cause – comme les rameuses de l’université de Warwick en Angleterre – ou bien éveiller les consciences et faire sauter des tabous sur le sport féminin – à l’instar des joueuses de l’équipe nationale canadienne de rugby. Mais quand pour une marque de sous-vêtements, des cheffes d’entreprise de la Silicon Valley posent un brin dénudées, faut-il crier haro sur un crime de lèse féminisme ou applaudir l’audace et le double message d’une campagne utile ?

Avant de vous demander de répondre à la question et de susciter le débat, car c’est bien là l’intérêt de cet article, il est important de donner les faits. Pour promouvoir fin août la sortie de sa dernière collection Ada, nommée ainsi en hommage à Ada Lovelace la première programmeuse de l’histoire, Dear Kate  décide de faire poser en sous-vêtements six pionnières de la programmation web au féminin, toutes CEO de startups reconnues dans la Silicon Valley. La campagne met en scène les patronnes en petite culotte mais vêtues pour quatre d’entre elles d’un tee-shirt et pour les deux autres, d’un soutien-gorge. Autant dire rien de bien sulfureux !

Chantre de la beauté réelle défendue par exemple par Dove, Aerie et The Brave Girls Alliance via leur actuelle pétition anti-Photoshop, Dear Kate avait déjà joué cette carte publicitaire dans d’autres campagnes, avec des danseuses, des sportives et des bloggeuses. Visiblement ce qui ne choque pas pour ces femmes fait jaser quand il s’agit des égéries du « girl power » dans la sexiste et machiste Silicon Valley. « La fracture entre les perceptions sexuelle et professionnelle de la femme n’y a jamais été aussi grande, argue dans TIME la CEO de Glimpse Labs, Elissa Shevinsky. Dans ce contexte, se montrer comme cela en petite tenue dégage forcément une connotation sexuelle et vous décrédibilise comme patronne technologique sérieuse. »

La top Lyndsey Scott, porte-parole du deux en un

Auteur l’an dernier dans Business Insider d’une tribune partiale contre le sexisme dans l’industrie des nouvelles technologies, Elissa Shevinsky n’est pas la seule féministe à pourfendre la campagne de Dear Kate. Pour les défenseuses de l’émancipation du beau sexe dans la Silicon Valley, ces clichés font beaucoup de mal à la crédibilité des femmes comme cheffes d’entreprise. Vraiment ? Pourquoi plus qu’une sportive ou une chanteuse, une femme dirigeante économique devrait-elle être tenue à une exposition publique d’une rigueur quasi ascétique ? Pourquoi ce qu’Under Armour peut par exemple se permettre, Dear Kate ne le pourrait-il pas simplement à cause du statut social de ses modèles ?

Fondatrice de Geek Girl Web, Rebecca Garcia justifie sa participation à la campagne sur le site de Bustle : « J’ai accepté pour aider à casser le stéréotype qui veut que les femmes ne peuvent pas être à la fois belles et intelligentes. La plupart des jeunes adolescentes rêvent d’être des top-models et non pas des ingénieurs ou des programmeuses, pourtant les deux peuvent être possibles ». Après tout, une des mannequins vedettes de Gucci et Victoria’s Secret, Lyndsey Scott a bien récemment confié dans Forbes qu’elle apprenait à développer des applications pendant son temps libre.

Une femme aussi puissante en culotte qu’en costume ?

Alors oui les études et les chiffres sont là pour rappeler tous les jours que le secteur des nouvelles technologies est coupable de sexisme : seulement 18% des diplômés en science informatique et 20% des développeurs de logiciels sont des femmes. Selon des recherches de la Havard Business School, 56% des femmes qui font leur trou dans cette industrie jettent l’éponge en plein milieu de leur carrière.

Pour changer les mentalités, les parangons de la cause la desservent-elles en posant en sous-vêtements en train de coder ? « Non pas du tout, répond dans le Huffington Post un des modèles de la campagne, Adda Birnir la CEO de Skillcrush. « Cette campagne montre la femme dans sa complexité et je voulais soutenir cette initiative. Est-ce que cela peut repousser certains investisseurs ? Moi je pense en priorité à mes clients et mes utilisateurs et je n’ai eu aucun retour négatif de leur part. »

Mettre en avant la gent féminine pour ce qu’elle pense et ce qu’elle fait, voilà bel et bien l’ambition de Dear Kate. Dans cette optique, recruter des actrices du changement et des pionnières s’imposait. Julie Sygiel, fondatrice et CEO de la marque, s’en explique, elle aussi dans le Huffington Post. « Nous pensons que les femmes doivent être prises au sérieux quoi qu’elles portent. Cela vaut pour toutes les professions tant que cela n’a aucun impact sur sa capacité et intelligence supposées ». Elle poursuit avec une attaque bien sentie contre ses pourfendeurs : « Ceux qui voient du sexisme dans notre campagne sont ceux qui manifestent certaines attentes dans les femmes. Nous, notre vision des choses c’est qu’une femme est aussi puissante en sous-vêtements qu’en costume. » Voilà qui est plutôt bien dit, que l’on soit d’accord ou non avec elle. L’êtes-vous ?

Benjamin Adler / @BenjaminAdlerLA

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